Compagnie Théâtre du tigre (Gabon),
« Mal de Mots », de Dread Paul Mouketa. Mise en scène d’Algoubine Dine.
Ton nom figure sur le catalogue du Masa comme metteur en scène d’une pièce de Dread Paul Mouketa montée il y a bien longtemps
C’est à ma grande surprise que j’ai vu mon nom sur le catalogue que l’on m’avait envoyé. J’ai alors contacté la troupe pour leur dire que puisque la pièce porte ma signature, je souhaitais revoir le travail avant que la pièce vienne au Masa. Je suis resté sans réponse et ce n’est que deux jours avant la représentation que je l’ai vu. Il était trop tard pour l’annuler. La pièce a été jouée, c’était pour moi une catastrophe car je ne me reconnais pas du tout dans ce qui a été fait.
Il s’agit d’un spectacle que j’ai créé en 90, qui a fait son chemin en tournant dans de nombreuses capitales d’Afrique de l’Ouest. Il a connu un grand succès en 93 au Festival du développement au Burkina, deux ans après au FIA à Kinshasa où il a obtenu le prix Mikanza, le prix du spectacle le plus complet.
En tant que metteur en scène, mon travail était de porter ce texte qui n’est pas facile. C’était pour moi un acte de révolte par rapport à la léthargie qu’il y avait dans l’écriture dramatique en Afrique. Depuis les Indépendances, il n’y avait pas de nouvelle forme d’écriture propre au théâtre. J’avais rencontré Dread Paul Mouketa lors d’un colloque en 90 et il m’avait présenté son texte. On le lui avait refusé à l’université Omar Bongo du Gabon, sous prétexte qu’il n’était pas théâtralisable. J’ai eu envie de relever le défi et de montrer qu’on pouvait lui donner une forme théâtrale. Je crois que j’ai réussi. Ce jeu de mots m’a beaucoup intéressé dans son aspect non linéaire.
J’ai quitté le Gabon en 96 pour m’installer définitivement au Bénin et depuis 95, où j’avais aidé la compagnie dans ses répétitions en vue d’aller au FIA, et je n’ai plus revu cette pièce. Ils l’ont remontée à leur façon et c’est par reconnaissance qu’ils mettent mon nom, loin de me rendre service ! On remarque bien le problème de diction, qui prouve le manque de travail quotidien des artistes, surtout dans ce spectacle où les mots sont comme des projectiles et les dialogues comme des balles de ping pong ! Le rythme est complètement à terre et beaucoup de décalages visibles frisent la naïveté. Je me suis rendu compte qu’ils n’avaient pas tout compris.
N’est-ce pas aussi le risque de ta démarche de nomadisme qui consiste à semer des graines sans toujours savoir ce que cela donnera par derrière ?
Effectivement, c’est le risque de créer des spectacles et de les abandonner à la portée artistique de ceux avec qui on les travaille. Dans ce cas précis, c’est raté. Mais en général et par rapport à l’art dramatique, ils ont recueilli les fruits de ce qu’on a partagé ensemble. Je reconnais mon apport, mon travail, ma formation dans les Matitis, par exemple. J’avais déjà créé avec eux ce genre de spectacle, « Une femme comme une autre », où le style de montage et les comédiens sont les mêmes. Je revois avec plaisir certaines choses qui m’appartiennent.
Cela s’était déjà produit lors du Masa off en 99 avec les Tchadiens sur un texte de Koulsy Lamko. Les comédiens ont parfois le sentiment qu’ils maîtrisent tout mais sans le rythme rien ne tient plus. C’est alors que je me suis rendu compte du risque encouru à confier un spectacle sans quelqu’un qui puisse conserver les lignes maîtresses de la mise en scène.
Les Matitis se retrouvent dans le off alors que ce spectacle est dans le in
Je ne comprends pas comment on a pu programmer un spectacle dans cet état. J’ai même pensé à un moment donné que c’était un coup, une façon de m’assassiner. En même temps je ne le considère pas comme un coup raté. Je l’assume complètement. Mais c’est un faux pas du Masa.
Qu’en est-il de la structure que tu as montée au Bénin ?
Sa génèse part du Gabon. Quand j’enseignais à l’Enam, j’étais étonné d’y voir des personnes qui n’avaient pas de raisons d’y être. Par contre j’ai rencontré beaucoup de personnes très valables dans l’intérieur du Gabon qui n’avaient pas été acceptées à l’Enam dont le concours d’entrée repose sur l’oral et l’écrit. J’ai compris que les comédiens se trouvaient ailleurs que dans les écoles. C’est pourquoi j’ai fondé ce concept d’atelier nomade : une école qui se déplace vers ces comédiens. Cela a débuté en 90 pour vraiment prendre son ampleur en 92. On a tourné en Afrique Centrale jusqu’en 97 au moment du Fitheb au Bénin. Les quatre mois que j’ai passé au Bénin pour y préparer le Fitheb m’ont permis de cotôyer l’effervescence artistique du moment et de me replonger dans le bain, ce qui m’a donné envie de revenir. Il n’y avait pas spécialement de raison de rester au Gabon, financières notamment. C’est donc au Bénin que j’ai créé ce centre. Il fonctionne comme un centre culturel, accueille des résidences de toutes formes, arts plastiques, théâtre, musique
, loge les artistes de passage. La musique traditionnelle y trouve aussi un espace de promotion avec des concerts qui ont lieu sur la terrasse les mercredis. Cette année, j’ai un peu laissé la création pour mieux m’investir dans l’animation culturelle de ce lieu. Ce qui semble bien parti notamment après le passage du festival des migrations. Dans le quartier, les jeunes se sont constitués en association « Nomad club » pour soutenir les actions de l’atelier nomade. C’est leur manière de répondre aux concerts, aux spectacles gratuits que j’organise dans les rues du quartier et qui sont fort appréciés. Tout cela se gère sans subventions : je supporte les activités avec les cachets des stages et des ateliers que j’anime.
A Cotonou, les lieux manquent en dehors du CCF.
Oui, et c’est dommage. Les jeunes artistes qui aspirent à la reconnaissance et au financement sont quasiment devenus des fonctionnaires non déclarés du CCF où ils y restent à longueur de journée dans l’espoir d’une rencontre fructueuse ou d’un piston. Il est important de s’investir dans les structures locales.
///Article N° : 1955