Retour sur le Gone du Chaâba, livre d’Azouz Begag et film de Philippe Ruggia (critique dans notre précédent numéro) : comment un cinéaste s’approprie un écrit pour le conformer à ce qu’il désire communiquer.
Pourquoi adapter le livre d’Azouz Begag ?
Pour une fois, c’était l’histoire d’un enfant qui s’en sortait, un enfant issu de l’immigration, qui traversait les bidonvilles, qui traversait les cités de transit, puis les cités tout court… Et qui s’en sortait, qui n’était pas le môme qu’on voyait dans la rue en train de casser. Mais qui était devenu écrivain, qui avait à son tour transmis la mémoire des siens. Et j’avais trouvé cette histoire assez magnifique pour ce qu’elle représentait. En même temps, il y avait une chaleur humaine dans l’écriture, dans la façon dont il parlait de sa famille, dont il parlait de cette époque-là, qui m’avait aussi profondément touché.
Comment avez-vous travaillé avec l’auteur ?
J’ai écrit tout seul pendant un an. Non seulement c’est un roman, mais en plus, c’est un roman autobiographique, donc à la première personne. C’était difficile. Il fallait que j’arrive à rentrer dans le livre et à trouver mon propre regard, à trouver des liens avec mon histoire et ce qui mùe permettrait de faire ce film. Lorsque j’ai eu une version qui me semblait lisible, je l’ai envoyée à Azouz Begag, donc à l’écrivain…
Etait-ce une façon de se réapproprier l’histoire de Begag ?
Oui ! C’est ça… Il fallait que je me réapproprie cette histoire (d’autant plus que c’était une histoire vraie) avant de rencontrer l’écrivain, de pouvoir en parler avec lui, parce que j’avais peur que si ça s’était produit trop tôt j’aurais pu partir dans des directions qui n’auraient pas été les miennes.
Et finalement…
Ce que j’ai raconté en fait c’est l’histoire d’un enfant qui tombe amoureux des livres et c’est ça qui va provoquer à la fois l’éclatement culturel entre ce petit village algérien (qu’est le bidonville) et la France, et ce rejet des autres gamins qui n’acceptent pas cette espèce de réussite… Eh ! Bien… Lui va s’en sortir, en se réinventant sa propre culture, qui va être la culture des livres, la culture des mots.
Cet élément n’existait pourtant pas dans le livre…
Non… ça n’existe pas dans le livre. Mais Azouz en est l’exemple vivant, puisqu’il est devenu écrivain… Lui c’est davantage l’école qui l’a amené à ça, tandis que moi, c’est les livres. Et pas par l’école…
Ce film est finalement le mélange de deux histoires…
C’est ça… Le centre de la réussite de l’enfant du livre, Omar dans le film, n’est pas l’école mais des livres qu’ils trouvent dans une décharge… En définitive, personne ne lui donne : il découvre par lui-même.
Et qu’en pense l’auteur ?
C’est assez proche malgré tout du livre. Il y a des choses qui ont changé, mais l’âme du livre demeure. Du coup, il s’est complètement reconnu aussi dans cette histoire !
Nous remercions Catherine Ruelle de nous avoir autorisé à publier cet entretien///Article N° : 290