Abdoulaye Konaté

Sentiments textiles

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Le plasticien malien Abdoulaye Konaté expose ses œuvres textiles à la Maison de la Revue Noire, à Paris.

On l’imagine dans son atelier bamakois, dessinant les croquis de ses futures tentures grand format, cherchant le bon agencement des tonalités, tâtonnant pour trouver la couleur parfaite. Celle qu’il a en tête et que les teinturiers vont devoir reproduire. Abdoulaye Konaté est un artiste fasciné par les artisans et il partage avec eux l’humilité et la rigueur. Lui qui a étudié la peinture à l’Institut national des Arts de Bamako (puis à l’Institut supérieur des Arts plastique de La Havane) est venu au textile de manière naturelle. « Au Mali, il est difficile de trouver du matériel pour peindre. Tous les continents ont développé leur art avec leurs propres matériaux. On a beaucoup de textiles au Mali, je me suis donc tourné vers cette matière qui me permet de trouver les couleurs que je veux. C’est un plaisir intense pour moi de travailler les teintes, de voir surgir les nuances. »
C’est une belle démonstration de cet amour pour la couleur qui attend le visiteur à la Maison de la Revue Noire. Dès l’entrée, par la librairie, une tenture qui passe par toute la gamme des violets, happe le regard et le noie dans une nappe prune d’une profondeur presque irréelle. Ce n’est que le début… Les œuvres, bien qu’abstraites, véhiculent des émotions et racontent aussi des histoires. Ainsi, Croix de lumière et Croix de sang qui jouent sur les dégradés de noir et blanc et se rapportent « à la façon dont se créent les religions, dans la force et dans le sang ». On retrouve la même chromie blanc-rouge-noir dans Les offrandes couleurs mais cette fois-ci en positif puisque c’est le blanc – qui reflète étonnamment la lumière – qui domine. « Ces trois couleurs sont une constante des offrandes et des sacrifices en Afrique : le coq, la cola, les cauris, le mouton, le bœuf, le lait… tout tourne autour d’elles ! »
Plumage de pintade explore la gamme des gris, avec de petits points blancs ourlés de noir rappelant les plumes de l’oiseau, qui tient une place importante dans la tradition orale. « On dit que les pintades vivent en groupe et que le groupe suit la première pintade. Cela revient à critiquer celui qui ne fait que suivre le mouvement… » Dans une autre oeuvre, l’ocre prédomine, rappelant la tenue des chasseurs traditionnels. De façon générale, l’ensemble des pièces est inspiré de la tenue des musiciens senoufo et des korodougas, les « bouffons sacrés », « une sorte de caste, comme le sont les chasseurs », précise Abdoulaye Konaté. Les korodougas portent généralement des bandes de tissus sur leurs vêtements, symbolisant les haillons qui rappellent combien l’apparence est futile et l’humilité importante… « Je m’inspire du fond traditionnel malien, j’utilise le patrimoine visuel et oral, et j’ai toujours allié technique et concept. Je travaille sur la composition mais aussi sur le message. »
Les œuvres sont réalisées à partir de bouts de bazin teintés, coupés, recoupés puis cousus. Sur certains, des points sont brodés, comme sur la magnifique Composition numéro 6 qui rappelle un ciel étoilé et dont les teintes font replonger dans les nuits bleues de Bamako. Ici, Abdoulaye Konaté a intégré un nouvel élément : les bandes de tissus sont cousues entre elles. Une nouvelle étape dans ce travail au long cours. Deux pièces moins récentes sont aussi exposées, et qui rappellent la teneur plus engagée de l’oeuvre du plasticien. On se souvient de son patchwork de 6 000 m2 couvrant le stade de Bamako, lors de la cérémonie d’ouverture de la CAN 2002, pour interpeller sur le sida. Ici, on pourra voir Gris-Gris blancs (en référence à la crise israélo-palestinienne) et Génération biométrique, une évocation de l’immigration clandestine, avec « ces bateaux chargés d’hommes qui chavirent et les corps qui flottent à la surface de l’eau ». D’où leurs silhouettes (découpées en wax, bazin…) incomplètes, comme tronquées, amputées d’une partie d’elles-mêmes. « Je ne dirais pas que je suis un artiste engagé mais je m’intéresse aux problèmes sociaux. Je vois la souffrance humaine. Généralement, les gens la traitent sous un angle politique, moi je la présente toujours sous un angle social. »
Grand Prix Léopold Sedar Senghor de la Biennale de Dakar en 1996 (avec l’oeuvre textile Hommage aux chasseurs du Mandé), c’est Abdoulaye Konaté, à présent, qui fait partie de jurys (Biennale de photographie de Bamako, Rencontres d’Arles…). Après avoir été chef de section au Musée national du Mali puis directeur du Palais de la culture de Bamako, il est directeur général du Conservatoire des Arts et métiers multimédias (CAM) depuis 8 ans et porte un regard plein d’enthousiasme sur la nouvelle génération d’artistes maliens. « La formation au niveau supérieur et les nouvelles technologies donnent plus de possibilités aux jeunes artistes. Ils commencent à s’affirmer en photo, en vidéo, en multimédia. » Pourtant, sur la colline qui accueille le CAM, tous ne savent pas que leur directeur est aussi cet artiste textile subtil. « Je ne montre pas mes œuvres à l’école. Je ne veux pas que les étudiants se mettent à copier, à imiter car ils auront du mal à se « retrouver » ensuite. Il faut qu’ils cherchent leur propre voie, développent leurs propres techniques. » Et arrivent, comme lui, à exprimer leurs sentiments artistiques.

Tentures – Teintures
Exposition à la Maison Revue Noire
07 mars – 05 mai 2012
du mercredi au samedi – 13:00-19:00h
8 rue Cels 75014 PARIS
///Article N° : 10642

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Les images de l'article
Abdoulaye Konaté, Croix de Lumière, textile, 208x284cm, 2010 © courtesy maison de la revue noire
Abdoulaye Konaté, Gris-Gris Blancs, textile, 254x390cm, 2008 © courtesy maison de la revue noire
Abdoulaye Konaté, Plumage de Pintade, textile, 166x255cm, 2011 © courtesy maison de la revue noire
Abdoulaye Konaté, Génération biométrique (série 1), textile, 296x640cm, 2008 © courtesy maison de la revue noire
Abdoulaye Konaté, Les Offrandes de couleurs, textile, 144x229cm, 2012 © courtesy maison de la revue noire





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