A la scène comme à l’écran, les acteurs noirs ne sont pas légion dans le paysage artistique français. En dehors d’Isaach de Bankolé parvenu à tenir l’affiche pendant une dizaine d’années avec des premiers rôles au théâtre comme au cinéma, en dehors de Sotigui Kouyaté et Bakary Sangaré dont l’image reste attachée au théâtre des Bouffes du Nord, ou encore de Pascal Légitimus, le coloré des Inconnus, la France compte ses acteurs noirs sur le bout des doigts et la critique s’émeut encore aujourd’hui quand un metteur en scène comme Declan Donnellan confie le rôle de Rodrigue à un comédien noir : William Nadylam. Que veut-il signifier ? Y-a-t-il du sens derrière ce choix ?
Au théâtre comme au cinéma, on limite encore l’acteur noir à sa couleur. Les qualités de l’acteur importe peu à côté de sa plastique. Et quand il occupe l’espace, son image est bien souvent récupérée et mise au service d’intentions qui le dépassent : faire-valoir, touche exotique, trait d’humour, repoussoir, sexe-symbole, alibi social, ou figure ancestrale. Comment se manifeste ce phénomène, comment s’explique-t-il. Comment les acteurs eux-mêmes le ressentent-ils ? Pourquoi beaucoup choisissent de s’expatrier loin de la France ? Que faire pour que les choses changent ? Autant de questions que nous avons souhaité poser dans ce dossier.
Certes, nous n’avons pas été à la rencontre de tous les comédiens noirs, mais nous avons surtout voulu faire entendre des voix singulières, les voix de ceux qui arrivent dans le métier, comme Aïssa Maïga, héroïne du dernier film du Suisse Alain Tanner, ou Marco Prince, star de la musique que Peter Brook a fait monter sur les planches, les voix de ceux qui sont devenus des figures emblématiques, comme Greg Germain, héros des Médecins de nuit à la télévision, Sotigui Kouyaté au théâtre, Sidiki Bakaba au cinéma, mais aussi les voix de ceux dont l’action militante, les choix, les renoncements, l’expatriement parfois, l’exil même ont une valeur représentative des pérégrinations que connaissent les acteurs noirs qui loin de suivre un long fleuve tranquille construisent leur carrière en remontant à contre courant.
C’est aussi la démarche particulière de ces metteurs en scène et réalisateurs qui choisissent de travailler avec des Noirs comme Brook au théâtre ou Claire Denis au cinéma que nous avons tenté d’analyser.
Et afin de désenclaver la réflexion et de mieux la mettre en perspective, nous avons jeté un regard délibérément oblique sur le théâtre et le cinéma outre-atlantique, où la situation des acteurs noirs est bien sûr différente, où des metteurs en scène d’avant-garde comme Peter Sellars et Bob Wilson ont une démarche artistique très particulière avec les comédiens noirs, où le cinéma hollywoodien a inventé à la fin des années 80, de nouveaux types d’antihéros noirs, devenus très populaires, comique comme Eddie Murphy avec 48 heures, ou tragique comme Forest Whitaker dans Bird.
Un dossier délibérément polémique qui se veut au coeur du débat soulevé aujourd’hui par le Collectif Egalité et dont le titre » Acteurs noirs » ne reprend l’adjectif de couleur que pour mieux apprendre à s’en débarrasser, c’est-à-dire à voir les acteurs noirs d’abord comme des acteurs, dont le particularisme n’est que représentatif de la pluralité de notre société.
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