Aide publique française : de la coopération au commerce

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Le livre édité en Afrique dans l’Aide publique au développement française
Concentrée dans l’aide à la lecture publique, le soutien au livre édité en Afrique dans l’aide publique au développement française (APD) reste insuffisante au regard du montant des exportations de livres français en Afrique subsaharienne qui, en moyenne, croît d’année en année. Ce montant représenterait, selon les pays d’Afrique, de 85 à 100 % du marché local du livre.
Une part de l’APD française est utilisée à l’achat de livres majoritairement français à destination des pays en développement (PED). Ces achats passent par les coopérations dites bilatérale, multilatérale et décentralisée (aide des collectivités locales françaises aux collectivités locales africaines).
Aide bilatérale – L’aide au développement du livre en Afrique sert aussi la promotion de la francophonie, et par conséquence les éditeurs du Nord. Une partie de cette aide paye les salaires de quelques coopérants français, chefs de projets et assistants techniques des projets d’aide à la lecture publique et à la filière du livre franco-africain.
Le Bureau de l’écrit et des bibliothèques, service du ministère des Affaires étrangères (MAE) français – Ce bureau privilégie le développement de réseaux de bibliothèques de lecture publique, dont les rayons sont emplis de livres français encore peu achetés sur place, et surtout de livres issus du don (associations de don et coopérations décentralisées). Mais comment faire autrement au vu de la faible production de livres en Afrique ? Engager l’avenir serait mettre davantage de moyens au soutien à la chaîne du livre dans ces pays, quitte à voir les rayons s’éclaircir un peu en attendant. (cf. Et si l’Afrique travaillait avec l’Afrique ?).
Cependant, d’après les éditeurs, les libraires et les bibliothécaires d’Afrique, ces projets créent un environnement propice au livre. Ce qu’ils déplorent est que lorsque ces projets s’arrêtent, tout s’arrête ! La France n’a pas su construire avec les Etats africains les bases solides d’une politique durable en dehors de ces projets. Elle a créé et crée encore des dépendances. Le dilemme est complexe car ces mêmes éditeurs bénéficient des subventions d’aide à l’édition proposées par le MAE et l’AIF (Agence de la Francophonie) et qu’aujourd’hui, sans ces subventions, ils reconnaissent qu’ils produiraient difficilement.
Cependant, malgré cette spirale infernale, les éditeurs d’Afrique coéditent de plus en plus avec leurs homologues africains et nord-africains. D’importantes coéditions ont été lancées en 2002, de différentes natures : coproductions, coéditions classiques et coéditions solidaires. Citons la collection Enjeux Planète, initiée par l’Alliance des éditeurs indépendants, celles du Serin et de Libellule, de Ruisseaux d’Afrique au Bénin, Miroirs d’Encre imaginée par Cérès, éditeur tunisien, et enfin le grand succès de cette année 2003, le livre A quand l’Afrique ?, entretien avec Joseph Ki Zerbo, titre initié par Jean Richard des éditions d’En-bas en Suisse et édité par neuf éditeurs dont six d’Afrique (cf. Africultures 56). L’Alliance des éditeurs indépendants et leurs alliés (membres adhérents du monde entier), créent des liens et tissent des réseaux réunissant des éditeurs du Sud mais aussi des éditeurs du Nord autour de projets communs (cf. Alternatives solidaires).
La Direction du livre du ministère de la Culture et de la Communication – Ce ministère aide l’édition française et non l’édition en Afrique. Même s’il forme indirectement, par l’intermédiaire de France Edition, des libraires africains, c’est davantage pour développer le potentiel d’exportation de la production française.
Ces deux ministères français sont aussi les principaux bailleurs de fonds des associations spécialisées dans le don de livres vers les pays du Sud. Ces associations sont subventionnées à tous les niveaux des coopérations (cf. La chaîne du don). Les programmes de tous ces organismes devraient être évalués autrement : aujourd’hui, ces évaluations sont faites par des professionnels français participant eux-mêmes à cette chaîne du don et de l’aide au secteur du livre et de la lecture – généralement des bibliothécaires français qui évaluent leurs propres actions. Pour mesurer l’efficacité des actions à long terme, ne faudrait-il pas envisager des évaluations par les destinataires de ces projets ?
Aide multilatérale – Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM), le Fonds de développement européen, l’ONU avec le PNUD, la CNUCED, l’UNESCO, l’UNICEF, le HCR etc. reçoivent une partie de l’aide multilatérale (cf. L’aide et la dette : qui aide qui ?). L’étrangeté de cette aide multilatérale est que des organismes financés par cette aide (particulièrement ceux de l’ONU) dénoncent les méfaits des autres (Banque mondiale et FMI) financés par cette même aide… L’aide multilatérale est surtout le bras armé des appels d’offres internationaux et dons de livres neufs, généralement scolaires. Les critères d’éligibilité de ces appels d’offres sont tels qu’ils éliminent d’office tous les petits et moyens éditeurs du Sud. Ce sont encore les éditeurs français, et, dans une moindre mesure, leurs filiales (Hachette et EDITIS en tête pour la Côte d’Ivoire par exemple) qui remportent ces marchés (cf. Le livre scolaire et Le livre de jeunesse).
Le rôle de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) – Elle tient un rôle plus actif dans le soutien au livre, mais ses moyens de financement manquent de lisibilité et de visibilité. L’AIF mène de multiples actions. Signalons les 21 réseaux de Centres de lecture et d’animations culturelles (213 CLAC créés en milieu rural) dans 18 pays d’Afrique, de l’Océan indien et des Caraïbes. L’AIF est à l’origine d’un centre de formation aux métiers du livre (CAFED) à Tunis. Elle a mis en place de nombreux programmes de soutien à l’édition africaine, en jeunesse particulièrement, subventionne de nombreuses rencontres professionnelles avec comme objectif de structurer des réseaux de professionnels du livre. Plus récemment, cette agence a créé de nombreux prix du livre, dont un prix pour un livre écrit en langue africaine, le prix Kadima. L’AIF prend aussi position face à l’Organisation mondiale du commerce : dans un communiqué de presse daté d’août 2003, l’Agence invite ses partenaires, Etats membres de la francophonie, à s’abstenir de tout engagement pour la libéralisation des biens et services culturels à l’OMC (AGCS ou Accord général sur le commerce des services).
Les coopérations décentralisées – Les collectivités locales françaises rechignent à mener des coopérations dans le secteur du livre. À ces actions qui ont peu d’effet d’annonce à court terme, elles préfèrent des actions à plus fort potentiel médiatique. Charité bien ordonnée commence par soi-même…
Depuis une dizaine d’années, les coopérations françaises décentralisées soutiennent parfois le développement de la lecture, rarement le livre édité en Afrique. Elles coopèrent soit directement en mettant à contribution leurs services en charge de la coopération ou de l’international, soit elles délèguent à des services publics de la collectivité (direction des bibliothèques, bibliothèque, espaces verts etc.) ou à des structures associatives (quartier, association spécialisée dans le secteur visé). Ces coopérations privilégient encore trop le don de livres d’occasion, ou neufs dans le meilleur des cas – l’opération en apparence la moins onéreuse des coopérations dans le livre.
La course aux financements et la concurrence entre opérateurs, publics, privés et/ou associatifs, est plus forte aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Opérateurs et programmes se marchent sur les pieds devant les portes des bailleurs, et les projets en pâtissent. Sur le terrain, souvent, les partenaires du Nord oublient les structures existantes, associatives, en reconstruisant le monde du livre. Chacun met en avant son projet et le mot coordination, le  » nous « , disparaît du vocabulaire, pour le  » moi je « . Certains projets récents laissent parfois espérer de nouveaux comportements au travers de trop rares actions d’aide à la création, à la fabrication et à l’achat de livres africains sur place.
De la coopération au commerce : mode d’emploi
L’édition n° 2148 de Jeune Afrique (17 mars 2002) indiquait :  » EDITION : bientôt une structure panafricaine. A l’initiative de l’écrivain français (et ami de Jacques Chirac) Denis Tilliniac, une maison d’édition panafricaine devrait voir le jour en septembre-octobre prochains. Les éditions Gallimard, à Paris, ont déjà donné leur feu vert, et plusieurs groupes industriels internationaux opérant en Afrique – on cite notamment Bolloré et Mimran – ont promis d’apporter une part de financement. LA maison d’édition panafricaine aura deux sièges : Dakar, pour l’Afrique francophone, et Nairobi, pour l’Afrique anglophone.  » (1)
Pour la France comme pour le Canada, coopérer avec l’Afrique veut dire lui vendre ses livres. Pour parfaire la mainmise, les multinationales (Hachette et Editis pour la France, Beauchemin et Hurtubise HMH pour le Canada) prennent des participations parfois majoritaires dans le capital de maisons d’éditions africaines… où mieux, comme ci-dessus, s’invente un beau projet.
La Centrale de l’édition – Dans les dernières statistiques extérieures 2002 du Syndicat national de l’édition française (SNE), statistiques des douanes françaises retraitées par son opérateur la Centrale de l’édition, M. Hervé Gruénais, administrateur délégué de cet organisme écrit :  » En Afrique, le réseau des librairies est en telle perte de vitesse que la progression ou la diminution des ventes ne reflète que le niveau des marchés scolaires, qui sont financés en grande partie par la communauté internationale. En Côte d’Ivoire, une seule librairie maintient, dans un contexte particulièrement incertain, une réelle activité, ; encore faut-il ajouter qu’elle dépend d’un groupe pharmaceutique. « .
La Centrale de l’édition est un Groupement d’intérêt économique (GIE) groupant les principaux éditeurs français et l’Etat français (par importance : ministères de la Culture et de la Communication (MCC), des Affaires étrangères et de l’Outre-mer). La Centrale vit des cotisations de ses membres et est leur opérateur pour le groupement, le transport et l’assurance (crédit et transport) de livres français vers l’étranger. Il gère les subventions du MCC pour le transport des livres exportés, les crédits d’achat aux libraires étrangers, l’élaboration des statistiques françaises etc. La Centrale de l’édition a le quasi monopole des exportations françaises de livres, car seul le transport passant par elle bénéficie de subventions. La Centrale de l’édition travaille aussi très étroitement avec France Edition (autre satellite du SNE et du ministère de la Culture français) qui depuis de nombreuses années forme des libraires en Afrique et partout où il est possible d’exporter des livres français.
Aide sous condition – Un exemple d’aide à la librairie africaine accordée par le MCC : un crédit d’achat avec obligation de s’adresser à la Centrale de l’édition pour sa commande, avec une remise inférieure à celle généralement cédée aux réseaux de distribution en France. Ces réseaux de distribution qui sont dans les mains de Hachette et EDITIS, groupes faisant la pluie et le beau temps au SNE avec près de 2 milliards d’euros de CA pour un CA total de l’édition française de 2,3 milliards (cf. L’Edition en France).
Autre exemple, extrait des consignes à l’attribution des aides aux libraires étrangers (source : www.centrenationaldulivre.fr) :  » Les subventions sont attribuées sur décision du Président du Centre national du livre, après avis d’un comité d’experts. Les membres de ce comité sélectionnent les dossiers en fonction de leur conformité aux critères d’éligibilité, de l’intérêt du projet, ainsi que de la situation financière de l’entreprise. Pour chaque dossier, il est attribué un taux d’aide par les membres du comité d’experts. Les subventions sont ensuite versées sous forme de crédits d’achat auprès de la Centrale de l’édition. L’aide accordée par le Centre national du livre ne pouvant excéder 50 % de la commande du libraire, celle-ci doit être au moins égale à deux fois le montant de la subvention. Le bénéficiaire qui pourra dès lors finaliser sa commande ferme et définitive devra fournir à la Centrale de l’édition ses justificatifs de paiement auprès des distributeurs. La Centrale de l’édition soldera ensuite le compte de sa commande auprès des distributeurs.  »
Les exportations françaises de livres vers l’Afrique francophone – Pour l’année 2002, elles s’élèvent vers les 19 pays étudiés à 30,72 millions d’euros et représentent 4,9 % du montant total des exportations françaises de livres (628,8 millions d’euros pour la même année). Cette somme est composée pour l’essentiel de livres scolaires et représente suivant les pays de 85 à 100 % des marchés nationaux du livre. Les marchés intérieurs, inter- et intra-régionaux de l’UEMOA et de la CEMAC s’en trouvent donc extrêmement affaiblis, voire inexistants dans certains pays, cette politique étant en place depuis les indépendances.
Pour le livre, la France n’importe pratiquement rien de l’Afrique francophone ni des pays du Maghreb. Notons que la balance commerciale est dans ce secteur déficitaire pour la France de 216,891 millions d’euros avec l’Union européenne.
Le montant des exportations vers le Gabon en 2001 et 2002, pays de 1,2 million d’habitants soulève quelques interrogations. Même si ce pays a un niveau de vie plus élevé que les autres pays, et qu’il compte un taux de francophones de 91,6 %, comment expliquer cette importation massive vers un pays qui compte si peu d’habitants ? Les Gabonais se laisseraient piéger par des pratiques pour le moins douteuses dans le contexte d’un pays africain, comme celle utilisée pour la vente d’encyclopédies françaises. Une armée de petits soldats, représentants de maisons d’édition françaises et rémunérés au pourcentage, vendent à crédit des encyclopédies. Pour doper les ventes, ils offrent, selon les cas, un téléviseur ou un poste de radio neufs à la signature du contrat. Les mensualités peuvent atteindre l’équivalent de 40 euros par mois, et la durée du crédit 3 ans.

1. Entreprise française, le Groupe Bolloré est fortement implantée en Afrique. Il est la holding de la société de transit international Saga, partenaire privilégié de la Centrale de l’édition, principal groupeur, transporteur, assureur des livres français vers l’étranger. Bolloré est également le leader mondial du transport de l’axe Nord-Sud. Il est en effet propriétaire de six lignes maritimes reliant l’Afrique au monde entier et gère deux réseaux de chemins de fer en Afrique. Ce groupe est un acteur important dans l’exportation, l’usinage et la commercialisation des matières premières, des plantations de café, huile et caoutchouc et dans l’industrie du papier. En 2002, le groupe Bolloré a réalisé un chiffre d’affaires de 5,472 milliards d’euros, dont 3,617 milliards dans sa branche transport. Il affiche une augmentation pour cette activité de 66,1 %.///Article N° : 3175

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