Antananarivo 2010 : la nécessité de la formation

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Du 9 au 17 avril 2010 se sont déroulées les 5ème Rencontres du film court de Madagascar. Outre une riche programmation donnant à voir des courts du monde entier sous différentes thématiques, le festival confirmait, à travers l’abondance de courts métrages malgaches, la vitalité du cinéma dans ce pays mais aussi les enjeux à l’œuvre.

Les courts de la compétition malgache
Comment les jeunes malgaches abordent-ils aujourd’hui leur rapport au monde par l’image ? Sur les 46 films présentés, neuf ont été sélectionnés. Trois prix ont été attribués par le jury international présidé par Tsilavina Ralaindimby, ancien ministre de la Culture (1993-1995) et maintenant consultant en communication, ainsi qu’un prix spécial CFI et le prix du public. Les films primés vont circuler dans tout Madagascar dans le réseau des Alliances françaises.
Une constatation s’impose : alors que dans les fictions, le manque de formation tant technique que scénaristique plombe la qualité des films, c’est dans l’animation, souvent l’œuvre de solitaires, que l’on trouve les œuvres les plus abouties. Ainsi en va-t-il de Varavaran-kely (Petite fenêtre) de Sitraka Randriamahaly, un petit film de 2’55 qui se détache par la belle simplicité tant de son dessin que de son récit construit autour d’un proverbe malgache : « Deux valent mieux qu’un » (car l’un peut relever l’autre). Un petit garçon s’ennuie en regardant par la fenêtre de sa maison, son attention est un moment captée par un oiseau mais lorsqu’il entend l’appel de ses amis, il se réjouit et va les rejoindre. La valse de leurs jeux est suggérée par des traits à peine ébauchés, qui permettent à un imaginaire ludique de s’installer. La balle fait tomber un enfant et le petit garçon l’aide à se relever. Ils ne sont à l’écran qu’un théâtre d’ombres. Le paisible oiseau vient reprendre sa place sur la petite fenêtre, écran dans l’écran. C’est tout simple, très court, et convaincant. La morale n’est pas assénée mais découle simplement du récit, cet ordre des choses est renforcé par la distance apportée par la stylisation.
Petite fenêtre n’eut aucun mal à emporter le zébu d’or. Sitraka Randriamahaly avait déjà obtenu le 2ème prix à l’édition de 2009 avec Sokaky (La Tortue, 2’45), une courte animation également très stylisée où une petite tortue est initiée par un crabe pour affronter la mer. Lorsqu’elle arrive à y pénétrer, elle vogue vers le large mais est alors cernée par les dangers.
Le jury hésita longtemps entre deux autres animations pour son 3ème prix. Il l’a finalement décerné à ATZ ! Aiz‘Tsik’Zao ! (Où en sommes-nous ?) de Vaika Ravaloson, 7’44. Le dessin en 3D en est certes un peu carré et sommaire, ne s’attachant que peu aux détails et cadrant en général en plans larges. Le rythme pourrait en être un peu resserré, mais le récit est fort bien ficelé, ménageant tension et suspense. Un employé de bureau joue, comme beaucoup de fonctionnaires à Madagascar, à des jeux de cartes sur son ordinateur. Lorsqu’il s’apprête à partir en week-end, son chef lui demande si le rapport urgent qu’il lui avait demandé est prêt. Constatant son incurie, il le vire. L’employé demande grâce et il lui accorde un répit jusqu’au lundi 8 h. Seulement voilà, rien n’est simple le week-end à Madagascar…
En quelques traits, c’est une tranche de vie qui se dessine ainsi, sans avoir besoin de brosser une pesante sociologie. Le héros n’en est pas un : il est pris au piège de ses faiblesses, mais tente de s’en sortir. En alignant une série suspenses et de qui pro quo efficaces, Vaika Ravaloson lui donne une certaine épaisseur que le coup de théâtre final vient renforcer. Derrière cette simple histoire qui cherche à divertir se profile le blocage d’une société sans émulation.
Le personnage de Manja Loatra (La Belle vie, 8′) d’Andry Rarivonandrasana est lui aussi un antihéros, sorte de Chaplin de la grande ville mais dont les pieds tournés vers l’intérieur sous ses jambes arquées témoignent du renversement opéré : il est tout aussi pauvre que Charlot mais ne réussit en rien. Les enfants rient de lui et les balaises lui piquent les colis à transporter. Lorsqu’il obtient enfin une charge qu’il finit par déposer exténué, son donneur d’ordre est sensible à sa misère et lui donne un billet au lieu de quelques pièces… La volonté sociologique est évidente, reprise dans le générique par des photos de la pauvreté ambiante. A la différence de Chaplin dont les aventures en perpétuels retournements développaient des thèmes universels capables d’émouvoir tout un chacun, l’humour d’Andry Rarivonandrasana en reste à glisser sur une peau de banane ou à se cogner à un lampadaire en matant une jolie fille. Outre un récit moins cohérent et soutenu et malgré la sympathie générée par ce personnage déjanté, c’est cette faiblesse qui a finalement détourné le jury de cette animation. Ce ne fut pas le cas du public qui lui a attribué son prix, les bulletins de vote remplissant l’urne dédiée à la fin de la projection.
Autre animation beaucoup plus faible, Afropower de Manohiray Randriamananjo (5’05) retrace le processus qui a permis au colon de « semer la merde » (représentée à l’écran) en faisant des dirigeants des marionnettes qui s’entre déchirent, pour continuer d’exploiter les richesses. Outre un dessin et un cadrage beaucoup moins travaillés, cette répétition sommaire d’un discours victimaire éculé date terriblement. Le clin d’œil au spectateur peut fonctionner mais ne l’aide en rien à avancer dans le monde d’aujourd’hui.
Sur les neuf films sélectionnés, ce sont ainsi trois animations qui ont ramassé les prix, tous trois couronnés par un prix spécial créé cette année par CFI qui va acheter les films pour les diffuser. Guillaume Pierre, responsable de la programmation Afrique-Asie à CFI était présent au festival pour rencontrer les réalisateurs.
Cela veut-il dire que les Malgaches y excellent davantage que dans la fiction, dont la sélection montrait de l’avis général les grandes faiblesses ? Il est vrai qu’on trouve à Madagascar de grands noms du dessin de presse et de la bande dessinée (cf. notre récent dossier Africultures n°79). Cette prédisposition tient-elle au fait que la langue malgache est très imagée ? C’est l’avis de Raymond Rajaonarivelo, cinéaste historique malgache. Il ne faudrait cependant pas réduire le jeune cinéma malgache à l’animation. On voit d’ailleurs les réalisateurs s’essayer aux différents genres pour en explorer les possibles. Mais comme le disait encore Raymond, « si le jury a davantage récompensé les animations, c’est en raison des faiblesses de la fiction ». Un film se distinguait par contre, qui a sans difficulté obtenu le 2ème prix : L’Acte de José Rakotobe (3’18). Il se distingue par le grand soin apporté à l’image : le réalisateur l’a story-boardé de bout en bout et ça se voit par son grand sens du cadre. L’histoire est simple : une femme est couchée, un homme lui prépare un médicament et lui amène, mais se munit aussi d’un grand couteau. On suppute le pire et une tension s’établit jusqu’au dénouement final. Sans aucun dialogue, le film joue sur la métonymie, masquant volontiers une partie de l’image par un rideau, assurant une unité chromatique bleutée, s’attachant à des gestes, à des détails, utilisant la profondeur de champ et témoigne ainsi d’un vrai travail de cinéma.
Si le réalisateur connaissait les films d’Alfred Hitchcock, il aurait mieux maîtrisé le traitement du couteau et n’aurait pas rompu le rythme et l’unité chromatique en fin de film, le dénouement ne l’exigeant pas, bien au contraire. Originaire de province et « missionné », comme il le dit lui-même lors d’une table-ronde, au festival par tout un groupe de jeunes vidéastes pour dire à quel point ils voudraient profiter de formations, José Rakotobe soulignait autant par sa présence que par son film l’importance de la formation et de sa décentralisation.
La vision des autres films renvoyait de façon récurrente à cette question, si bien que la revendication d’une école de cinéma à Madagascar fut le leitmotiv dominant du festival. A ce stade de développement, le jeune cinéma malgache doit s’améliorer techniquement mais aussi et surtout dans sa façon de prendre le cinéma comme expression des problèmes et aspirations de la jeunesse et de la société. La maîtrise technique de certains films ne servait parfois qu’un propos inabouti ou ambigu. C’est le cas de Condamné à mort de Karl Glenn Andriamahefa (5’35). L’argument est déjà sujet à caution : un gardien isolé est chargé de conduire un condamné à mort à travers un bois. A la faveur d’une ruse, celui-ci se retourne contre le policier et le flingue. Mais il sera rattrapé par le mauvais sort… Que nul n’échappe à son destin est une affirmation un peu limitée, qui demanderait sans doute davantage de subtilité que des scènes de combat ou de poursuite, même efficacement tournées comme c’est le cas ici. C’est également le cas de Rencontres de Mandresy Randriamiharisoa (4’04). Tourné en noir et blanc pour accentuer l’approche néoréaliste, le film est centré sur le rejet permanent de deux petits enfants mendiants puis sur un geste de bonté de la part d’un vendeur ambulant. Les enfants sont mignons et le geste du vendeur empreint de générosité. Ce message volontariste et bien-pensant est à des années lumière de la dure réalité des enfants des rues que l’on côtoie notamment dans le centre-ville d’Antananarivo… Il est toujours étonnant de voir des films trahir ainsi le réel dans leur volonté de happy end. Mais ce ne serait pas le plus grave si une chanson lyrique, sans aucun rapport au sujet, d’un crooner américain ne venait couvrir tout le film d’une sauce guimauve. Ainsi esthétisés, ce genre de films « témoignages », contrairement aux bonnes intentions de leurs réalisateurs, ne dérangent personne et ne changent rien à rien.
Il est difficile de s’appesantir sur Mouta sy ny nofiny (Mouta en rêve, 10’57) tant le film sert difficilement son propos. On sent la volonté du réalisateur d’évoquer par un cauchemar la réalité sociale, le manque d’avenir pour les jeunes et les blocages politiques, mais le manque de rythme et d’acuité scénaristique brouillent ces intentions. Surtout, le propos ne débouche que sur une peur qui n’est pas un cadeau pour le spectateur.
Reste un film qui déclencha la polémique dès la phase du comité de sélection : Tsy diso lalana (Le Vrai chemin, 8’30) de Nantenaina Ambinintsoa Rakotoarimanana. Sa maîtrise technique sur le modèle Mel Gibson l’a préservé d’être mis de côté, sans compter que le comité voulait rendre compte des différentes tendances des productions actuelles. Sa virulente remise en cause par le directeur du Centre Germano-malgache, membre du comité de sélection et co-financeur, poussa le festival à proposer, pour dénouer le conflit, une séance de discussion critique dédiée à ce film, que j’avais pour charge d’animer. Le grief était le manque de véracité des faits historiques : le film fait référence au martyre de nombreux chrétiens tués par une reine malgache alors que cela n’aurait été que de faible ampleur. Certes, le cinéma n’a pas pour prétention d’être historiquement exact, n’étant que la traduction infidèle du réel. Mais Le Vrai chemin (dont le titre fait déjà référence à la vérité), débordant de lyrisme, construit délibérément du mythe : le film prend la forme d’un clip basé sur un cantique, tandis que l’image fait penser à un retable. Le spectateur est appelé à partager une croyance en référence à sa propre foi chrétienne. Il n’est aucunement invité à une pensée critique. Il fut souligné au cours du débat combien un tel film pouvait être dangereux dans un cadre public, tant il vise à une essentialité indiscutable pour ne pas dire totalitaire. Il adopte l’inverse de la représentation religieuse : alors que celle-ci passe souvent par l’icône, qui manifeste par sa référence à la contemplation l’absence plutôt que la présence, Le Vrai chemin est violemment démonstratif et ne fait que proposer au contraire une idole à adorer.
Faiblesse documentaire
Le grand absent de la sélection était le documentaire. Pourtant, on sent à travers les films tant d’animation que de fiction le désir de rendre compte du réel, notamment de la pauvreté dans laquelle est plongée le pays mais aussi de l’impasse ressentie par une jeunesse dépourvue d’avenir.
En 2008, Andry Rarivonandrasana (qui obtient cette année le prix du public pour son animation Manja Loatra La Belle vie) avait reçu le 3ème prix pour son documentaire Survie. Nous avons eu l’occasion de l’analyser durant l’atelier de critique de cinéma de trois jours qui regroupait une vingtaine de journalistes et étudiants en médiation culturelle. Le sujet est d’une force terrible : les gens qui trient les ordures dans la grande décharge d’Antananarivo. Le film dévoile cette incroyable dynamique de la pauvreté, cette débrouille au quotidien qui réussit à passer de la misère à la survie. Tandis que certains arrivent à se bâtir leur maison avec l’aide d’une association dirigée par un prêtre, d’autres fabriquent du savon à partir des déchets. En parfaite contradiction avec ce qu’il vient de montrer, le film termine son omniprésent commentaire par « Ils ne vivent pas, ils survivent, loin de tout espoir ». Pire, il n’aborde son sujet que sur le mode du reportage ou du formatage ONG, préférant donner des chiffres que de se mettre à l’écoute des gens. Le rythme serré du montage ne permet à personne d’exister à l’image. Il est rare qu’il cadre une personne en dignité, et privilégie des plans d’ensemble donnant l’impression d’insectes grattant les ordures. Plutôt que de se mettre à leur niveau, il filme des hauteurs environnantes, les plongées de la caméra écrasant encore davantage ses sujets. Lorsqu’il s’entretient avec l’un ou l’autre, ce n’est que pour leur demander leur méthode de travail et non les laisser dire ce qu’ils ont sur le cœur.
Il est dommage qu’un sujet aussi fort ne donne qu’un aussi piètre résultat alors que la technique est relativement maîtrisée : comme pour les œuvres de fiction, le manque de la formation se fait lourdement sentir, qui poserait ces questions de cinéma. Le programme de résidences d’écriture documentaire Africadoc s’étend prochainement à l’Océan indien à travers DocOI, ce qui devrait rapidement changer la donne.
Perles réunionnaises
En une semaine, le festival offre en une série de séances (toutes gratuites) un véritable tour du monde du court métrage. Retenons ici les deux focus sur le cinéma réunionnais proposés par l’Adcam (Association pour le développement du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia) et le FIFAI (festival international du film d’Afrique et des îles), qui permettaient de voir ou revoir de très belles oeuvres. Le Petit monde de la rivière des roches (Alexandre Boutié, 2005, 52′) est un passionnant documentaire sur des pêcheurs à la bichique. Le réalisateur a partagé leur vie durant un an : il en résulte une empathie palpable dans le film. Ces hommes sont filmés en dignité et c’est toute leur force humaine qui fait le poids du film, lequel atteint une véritable métaphysique lorsque la force des éléments (orage, marée) révèle la fragilité des constructions humaines. En dehors de quelques effets inutiles de focale ou de zoom, le film offre un véritable récit humain alliant la puissance expressive du créole à une bonne dose d’humour.
D’une grande force également, Sous l’emprise des cannes (Olivier Carrette, 2005, 14′) aborde la violence exercée entre ramasseurs de canne à sucre, une violence récurrente dans la société réunionnaise, révélée par de sanglants faits divers. Entièrement situé sur un chemin entre les champs de cannes, le film puise explicitement dans la référence coloniale pour indiquer l’origine de cette violence. S’il la met en scène, il se garde cependant de centrer sa caméra sur les coups mais cadre plutôt ceux qui les donnent : sans se détourner de son sujet, il ne met ainsi pas le spectateur en situation de voyeur. Cette distanciation permet au film de donner corps à la prise de conscience du meurtrier de la gravité de son acte, si bien que l’ouverture rédemptrice de la fin s’impose sans peine.
Chef-d’œuvre « historique », Koman ilé la source (1989) de la regrettée Madeleine Beauséjour : un témoignage magnifique de proximité et d’empathie sur la vie des jeunes créoles, leurs problèmes de chômage ou de travail qui n’a rien perdu en actualité ! La richesse factuelle du département d’Outre-mer ne sonne que de pacotille en comparaison du faible développement de l’humain et du déni des cultures locales. Ce puzzle de tranches de vies tourne autour de Marie qui intègre tout ça comme une éponge, le film menant à une très belle scène finale devant une cascade où elle dit à son fils : « La tête de ta mère ne va plus ». Le fils qui était hors champ rentre par le bas du cadre et nous sourit, superbe ouverture à la vie.
Mohamed Saïd Ouma, programmateur du FIFAI et réalisateur, proposait en écho son Matso, épilogue au mythe de la cinquième île (2007, 4′) : un texte de Matso na Makyo que l’on écoute d’autant mieux que le film se réduit au plan fixe d’une barque de pêche, de ces kwassa-kwassa qui chavirent régulièrement en tentant de faire passer des clandestins d’Anjouan à Mayotte. Il parle de l’invention du visa qui introduisit le drame, de faire apparaître les morts, de l’indifférence des Français à ceux qui sont devenus des étrangers chez eux, de ces Français « à peau noire » qui les emploient sans respect… La violence est ici dans le texte, l’image permettant non de la voir mais de se la représenter : un frêle esquif face à l’océan, que l’on emprunte par nécessité. Belle distance de la part d’un réalisateur qui a lui-même perdu une tante dans les kwassa-kwassa.
Week-end à Londres, un documentaire de Rafick Affeejee (2008,18′) met en perspective avec délicatesse le récit d’enfance d’une mère à la Réunion et la vie de ses enfants et petits-enfants à qui elle rend visite à Londres. Cette empathie est très parlante, la « vie tranquille » à laquelle aspirait la mère dans la dureté des conditions de vie créole étant représentée à l’écran par l’insouciance de sa petite-fille. C’est dans ce parallèle bon enfant renforce étonnamment la dimension humaine de ce témoignage.
Quelques propositions simples, diverses, sans prétention, qui sont autant de leçons de cinéma, auxquels nous ajouterons le joli film du Mauricien David Constantin, Made in Mauritius (2009, 8′), fable ludique sur les méthodes du commerce et la mondialisation où un vieux laboureur ne trouve pas le fusible nécessaire à réparer son poste de radio. Il n’écoute que d’une oreille son épicier qui cherche à lui en faire acheter un neuf, jusqu’à ce qu’il découvre qu’il y a autre chose à y gagner… Made in Mauritius regroupe toutes les qualités d’un bon court métrage : une action simple et bien ficelée servie par une maîtrise sans effets de l’image et du montage, des personnages qui trouvent en peu de mots une épaisseur dépassant largement le court temps du film, mais aussi un reflet de la diversité mauricienne avec de la musique indienne et un épicier chinois, tout le monde parlant créole…
Des ateliers de formation
Pour contribuer à pallier à ce déficit de formation, le festival invite des personnalités à animer des ateliers de trois jours. C’est ainsi que Raymond Rajaonarivelo, auteur des magnifiques Tabataba (Rumeur, 1987), Quand les étoiles rencontrent la mer (1996) et Mahaleo (2005), était invité pour animer un atelier sur la réalisation. Le réalisateur vietnamo-guinéen Mama Keïta anima également un atelier sur le scénario. Jean-Laurent François, formateur de l’ILOI (Institut de l’image de l’Océan indien, La Réunion) anima un atelier sur le cinéma d’animation. Le dynamique Moussa Alex Sawadogo, qui dirige le festival Afrikamera à Berlin, fit de même pour un atelier sur la production audiovisuelle. Catherine Ruelle (RFI) fit une conférence très suivie sur les cinémas d’Afrique et le cinéma malgache. Quant à moi, j’étais présent pour animer un atelier sur la critique cinématographique.
Faute d’avoir été libérés par leur rédacteur en chef et devant donc continuer à assurer leur travail quotidien, seuls quelques journalistes furent réguliers sur la quinzaine d’inscrits, mais l’atelier fut également fidèlement suivi par des étudiants en médiation culturelle, souvent brillants et très motivés, qui profitaient de leurs vacances pour y participer. Divers films furent analysés, des documents d’analyse filmique visionnés, des critiques écrites et collectivement critiquées… Les échanges furent riches et lorsqu’il fut établi que le volcan islandais empêchait les avions de partir, il faut décidé de poursuivre l’exercice avec les réalisateurs des films sélectionnés ! L’enjeu était aussi de permettre à Madagascar de participer à la dynamique de la Fédération africaine de la critique cinématographique qui comporte maintenant plus d’une vingtaine de pays.
Ti’Kino Gasy
Avec l’appui de Thomas Lesourd, réalisateur en résidence au festival Off-court de Trouville (France), les Kinos ont pu reprendre après leur arrêt en 2009 lié à la situation politique. Le principe : « Faire bien avec rien, faire mieux avec peu et le faire maintenant ! » L’idée, qui fait le tour du monde, est en effet de confier du matériel de tournage et de montage à des jeunes désireux de « passer à l’acte » : des courts se produisent ainsi en trois jours, forcément fragiles mais profitant d’une belle spontanéité. En assurant à tour de rôle les différents métiers du cinéma, les jeunes peuvent sentir celui qui les attire le plus et décider ainsi d’une orientation. Choisissant la forme du clip musical ou bien usant de clins d’œil marqués au cinéma de genre, les films orchestrent des surprises, des rencontres ou de petits suspenses. Projetés devant un large public devant la gare centrale désaffectée d’Antananarivo, ils témoignent du désir de cinéma dans un pays où les rares salles de cinéma ont cessé une programmation régulière et ne projettent plus que sur location le week-end des films populaires tournés en vidéo et en malgache, phénomène que nous avions déjà abordé avec un de leurs principaux réalisateurs, Henri Randrianierenana – lire notre [entretien n°3598].
Il continue ainsi à se faire plus d’une dizaine de longs métrages par an qui offrent une alternative locale aux telenovelas. En l’absence de toute législation, les divx de films piratés s’étalent en tous sens sur les marchés et les trottoirs. J’y ai acheté Avatar groupé avec trois autres films sur le même cd. On le trouve un peu partout à 1000 Ariarys (0,35 centimes d’euro). La télévision l’a déjà passé plusieurs fois, dans des conditions de qualité très médiocres… Les films malgaches, par contre, doivent être estampillés d’un tampon officiel et ne peuvent être vendus ainsi sur le trottoir. Ils sont également piratés mais on les trouve en un endroit plus discret.
Perspectives
Une table-ronde posait en fin de festival la question des perspectives. Dans ce pays aux richesses touristiques considérables, le cinéma ne manque pas d’arguments pour justifier le soutien d’une politique culturelle : au-delà du dépliant touristique, il propose un imaginaire apte à motiver le voyage. A l’heure où l’on débat assidûment du rôle de la culture dans le développement, Madagascar est en outre un lieu idéal pour des tournages, associant la beauté des paysages et des coûts peu élevés. Mais il manque encore l’infrastructure d’accueil professionnel nécessaire. Et pour le moment, même le festival ne reçoit aucun financement malgache.
Interrogé sur son rapport à l’international, Raymond Rajaonarivelo évoqua la similarité qu’il avait trouvée dans le rapport des Malgaches à la nature et leur respect des choses avec les Aborigènes d’Australie. Il fait ses films pour les Malgaches mais aussi pour les autres, et cherche donc des thèmes universels dans l’écriture. Il est pour cela intéressant de travailler avec des scénaristes d’autres provenances qui peuvent aider à élargir la vision.
Le réalisateur Laza, directeur du festival, souhaite que celui-ci contribue à structurer une école de cinéma permettant justement cette ouverture dont les jeunes réalisateurs ont très besoin. A cet égard, il serait important de pouvoir former des formateurs. En terme de visibilité, l’internet devient essentiel, et même si les connexions malgaches sont encore fluctuantes, il faut le penser en termes d’avenir.
Sur la question de l’international, Françoise Kersebet, déléguée générale de l’Association pour le développement du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (ADCAM) à la Réunion, évoqua, citant le plasticien photographes réunionnais Laurent Zitte (également présent au festival), « les limites du nombril » : il faut pouvoir voir les films, « manger du film ensemble », mais aussi avoir l’information, connaître les statistiques. La vieille question d’une base de données revenait ainsi sur le tapis : des contacts ont été pris pour développer la base Sudplanète / Africiné à Madagascar, et rendre ainsi compte de la vitalité des créateurs malgaches sur le plan international. Il est essentiel, insistait Françoise Kersebet, de pouvoir donner une visibilité aux projets en développement, mais aussi de développer les différentes filières métiers du cinéma, à commencer par les producteurs qui peuvent trouver leur économie dans les clips et la publicité pour prendre des risques sur des productions cinématographiques, ou bien les repéreurs, très importants pour attirer les tournages.
Guillaume Pierre, directeur Afrique et Océan Indien à CFI, insista sur l’importance du cinéma et de l’audiovisuel dans la vie collective d’une nation. CFI pousse les télévisions nationales à montrer des films locaux, insistant sur le fait que les ondes représentent un espace public où on ne peut mettre que des productions étrangères. Par ailleurs, le retour de recettes de productions locales passant sur des chaînes thématiques européennes peut être intéressant.
En définitive, le festival agit comme lieu de mise en réseau, notamment pour aboutir à une association des réalisateurs malgaches qui pourrait servir de lobby pour que le ministère s’engage davantage pour la profession. L’enjeu essentiel est que la vitalité créative dont témoignent les 46 films présentés à la sélection dispose de la formation nécessaire pour améliorer la qualité des productions. La qualité des films présentés lors de la carte blanche à l’Ecole supérieure d’audiovisuel de Marrakech (ESAV) témoignait sans ambiguïté possible de l’importance d’un institut du cinéma.* Quelle qu’en soit la forme, une école de cinéma est à Madagascar aujourd’hui une nécessité.

* On retiendra notamment Où vas-tu ? de Khalil Zgrayou (fiction, 23′) qui met en place avec une belle subtilité et une grande maîtrise de l’image et du rythme la confrontation entre un père et son fils à l’époque de la marche organisée par Hassan II sur le Sahara occidental.
** Pour mieux connaître le cinéma malgache, lire le livre de Karine Blanchon : « Les cinémas de Madagascar (1937-2007) » (Ed. L’Harmattan, collec. Images plurielles)
///Article N° : 9448

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Les images de l'article
Les étudiants participants à l'atelier sur la critique : Mialivola, Mialy, Tina, Ericka, Mbola, Synthia, Tony, Daniel, (en rose) Nekena, (en blanc) Yannick, Manou
Mur d'images de l'atelier de création d'objets optiques dans le hall du Centre culturel Albert Camus
L'atelier de création d'objets optiques
Mama Keïta et une réalisatrice malgache dans le hall du CCAC
Salle de montage des "kino"
dans la salle de montage des "kino"
Travelling sur le tournage d'un clip durant les "kino"
La gare désafectée d'Antananarivo
Le Centre culturel Albert Camus qui héberge et soutient le festival
Vue d'Antananarivo depuis l'avenue de l'Indépendance
Avenue de l'indépendance
Après une séance
Vendeurs de divx piratés sur le trottoir au marché
Stand de divs piratés
Catherine Ruelle (RFI) saisie en sortant d'une séance
Le public vote à la sortie de la séance de la compétition des courts malgaches
Présentation des "kino" devant plusieurs centaines de personnes devant la gare d'Antananarivo
Vonjy Harivola Andriamanantena et Lova Randriambololonirina, président et secrétaire de l'association T-Movie, qui regroupe de jeunes réalisateurs
Les bénévoles du festival
Raymond Rajaonarivelo
Laza, directeur du festival
Tsilavina Ralaindimby, président du jury, en explique les choix lors de l'émission de télévision en direct de remise des prix et de diffusion des films primés sur la RTA, chaîne privée de grande audience, dans un hall bien rempli
Prix du public remis par Raymond Rajaonarivelo à Andry Rarivonandrasana pour "Manja Loatra" (La Belle vie, animation)
Mota, qui avait tenu un ciné-concert très original combinant des images intimistes et ludiques et ses chansons durant le festival, sur la scène de la RTA.
Présentation des trophées
3ème prix remis par Mohamed Saïd Ouma, programmateur du FIFAI de la Réunion, à Vaika Ravaloson pour "ATZ ! Aiz 'Tsik 'Zao !" (Où en sommes-nous ? animation), avec invitation à présenter son film au FIFAI
2ème prix remis par Moussa Alex Sawadogo, directeur du festival Afrikamera de Berlin, avec invitation au festival, à José Rakotobe pour "L'Acte" (fiction)
1er prix remis par Thomas Lesourd (festival Off-courts de Trouville, France) avec invitation au festival à Sitraka Randriamahaly pour "Varavaran-kely" (Petite fenêtre, animation)
Les 4 lauréats
Guillaume Pierre, directeur Afrique et Océan Indien à CFI, remet le prix CFI aux trois films d'animation primés, avec achat des films pour diffusion sur la chaîne
Raymond Rajaonarivelo et Moussa Alex Sawadogo lors de la soirée de remise des prix à la RTA
La salle à la RTA
En conclusion, une petite vue des hauteurs d'Antananarivo





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