Les archives Sembène et Vieyra à Bloomington : entretien avec Alain Sembène, Jacques et Stéphane Vieyra

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Organisé par le laboratoire sur les débuts des cinémas d’Afrique (Early African Cinemas Lab) dirigé par le professeur Vincent Bouchard, un atelier d’une quinzaine de jours sur les archives d’Ousmane Sembène (Lilly Library) et Paulin Soumanou Vieyra (Black Film Center & Archive) a regroupé du 27 mai au 6 juin 2025 une quinzaine d’universitaires et de chercheurs à l’Université d’Indiana à Bloomington (Etats-Unis). Occasion d’explorer davantage les parcours de ces deux précurseurs des cinémas d’Afrique, cet atelier va déboucher sur un livre collectif qui sera publié en fin d’année. Les fils des deux cinéastes étaient présents, interrogés ici par Saïba Bayo (qui filme) et Olivier Barlet.

 

Impressions de Bloomington

Olivier Barlet : Nous sommes ici à Bloomington en présence de chercheurs venus pour travailler sur le passé de vos familles. Que ressentez-vous ?

Alain Sembène : En fait, il a été très difficile de faire venir ces archives. Cela a demandé plusieurs années C’est la première fois que je viens à Bloomington et c’est avec beaucoup d’émotions. J’avais craint que ces archives ne disparaissent, mais les voilà sauvées, et dans d’excellentes conditions. Je suis très satisfait du résultat. Tout a été numérisé, aussi bien les textes que les films. Ces archives font venir des chercheurs du monde entier, et permettent de mieux connaître et comprendre mon père.

Stéphane Vieyra : J’avais déjà été invité à un atelier en 2019 qui se donnait pour but d’étudier l’importance de Paulin Soumanou Vieyra sur la scène du cinéma africain. Différents intervenants ont discuté de l’opportunité de transférer les archives que nous avions récupérées. Notre mère avait préservé tout ce patrimoine. Nous l’avons rapatrié en France, pour le préserver mais les malles se trouvaient dans une cave. Les archives ont résisté au temps mais il fallait mieux les conserver et les transmettre. La Covid a retardé les choses mais nous avons pu les transférer en 2021 au Black Film Center & Archive. En trouvant à la Lilly Library un carton d’invitation que notre mère avait fait pour fêter ses 40 ans chez Sembène, je me suis rappelé le lien très fort qui unissait nos deux familles. Nous, les enfants, nous avons pris le relais. Et nous sommes heureux que les archives de nos parents se retrouvent dans la même université, cela a du sens.

 

Les deux familles

Alain Sembene, Jacques et Stéphane Vieyra répondent aux questions d’Olivier Barlet

Olivier Barlet : Quels souvenirs avez-vous des relations de vos deux familles ?

Alain Sembène : On était très proches. On a été élevés ensemble. J’étais gosse, si bien que le fait que nos pères étaient dans le cinéma était secondaire. C’était un peu une famille. On se voyait régulièrement, plusieurs fois par semaine, et on avait de très bonnes relations. Il y avait beaucoup d’affection, vraiment une très bonne ambiance. Cela a créé des liens très forts. C’est plus tard que j’ai pris conscience qu’il y avait un patrimoine culturel. Mon père voyageait beaucoup, si bien que pour moi, la famille Vieyra était un moyen de me stabiliser psychologiquement. Elle m’a beaucoup apporté.

Olivier Barlet : Et du côté Vieyra, on voit  dans les archives que Paulin lui aussi était toujours par monts et par vaux…

Jacques Vieyra : Oui, il voyageait énormément. Mais ma mère était présente. On s’était habitués à ce qu’il parte et il revenait avec des cadeaux. On avait pris l’habitude. Je n’ai pas vraiment senti son absence.

Stéphane Vieyra : Je savais qu’il y avait des cadeaux qui arrivaient quand il revenait !

Olivier Barlet : Vous avez à peu près le même âge, non ?

Stéphane Vieyra : Non, Jacques et moi on a six ans d’écart.

Jacques Vieyra : Et Alain a quatre ans de plus que moi.

Alain Sembène : C’est moi le plus âgé. Le doyen, si on peut dire !

Stéphane Vieyra : C’est vrai que Paulin était très absent. Je me souviens qu’à chaque fois qu’on avait du poulet-bicyclette, c’est qu’il était allé en Haute-Volta. Il avait une valise en carton, qu’il utilisait pour ce voyage-là. Et pour les autres voyages, il avait une autre valise. Et dans un débarras de la maison, il y avait des vêtements d’hiver, incompréhensibles pour moi car ils étaient très chauds !

Jacques Vieyra : La maman a senti les absences. Elle en parlait parfois…

Olivier Barlet : Ghaël Samb m’a dit que vous avez formé un groupe nommé  » Les héritiers « . Cela vous permet-il de gérer à plusieurs la question des archives ?

Stéphane Vieyra : Oui, ce groupe est né d’une volonté de partager nos déceptions dans nos recherches, dans la sortie des films, la vente de minutes de films, etc. Ghaël est très active, Henriette Duparc aussi. Je crois d’ailleurs que l’idée première vient d’Henriette Duparc. Personnellement, je gère PSV films et je suis déjà saturé. Tout ça est un peu lourd et on a débuté un groupe WhatsApp pour recenser les héritiers. Je fais passer un entretien où j’explique les règles du groupe. Il y a les enfants de Momar Thiam, le fils de Johnson Traoré, la famille Duparc, Alain est actif, etc. Avec le Maroc et l’Algérie, nous sommes à peu près une trentaine. Cela reste ouvert.

 

Des archives aux Etats-Unis

Les salles réfrigérées à 10 degrés celsius et 30 % d’humidité de l’entrepôt des archives stockées à l’université d’Indiana sont impressionnantes de hauteur et de capacité

Olivier Barlet : Concernant les archives, je ne vous apprends rien en disant que des voix s’élèvent en Afrique qui regrettent, alors même que le mouvement de restitution d’objets historiques d’Europe vers l’Afrique ne fait que débuter, que les archives de Sembène et Vieyra soient passées aux Etats-Unis. Que leur répondez-vous ?

Jacques Vieyra : C’est vrai qu’au départ, ça m’a paru très bizarre qu’on mette les archives aux Etats-Unis. On est de la veine de notre père, pour la renaissance africaine, et pour que les choses soient gérées par les Africains. Il m’a fallu du temps pour le réaliser et je remercie Stéphane d’avoir pris cela en mains. Je crois qu’il faut effectivement dépasser les clivages. Il est important que le public comprenne qu’il ne s’agit pas d’objets mais de papiers et de pellicules qui peuvent pourrir, qui peuvent disparaître. Nous profitons de la culture de la préservation des Américains.

Stéphane Vieyra : Bien sûr, la France a aussi cette culture mais, malgré nos demandes, nous n’avons pas eu de réponse. Nous avons donc perçu la connexion américaine comme la Providence. Il faut que le public réalise que c’est mieux pour les archives qu’elles se retrouvent aux Etats-Unis dans les conditions optimums qu’on a ici, dans un des centres d’archives les plus importants du pays. La zone de stockage a une hygrométrie parfaite et il n’y a pas beaucoup d’endroits au monde avec une telle qualité.

Olivier Barlet : Il me semble qu’après hésitations, Ousmane Sembène avait donné ses films à la Cinémathèque africaine de Ouagadougou.

Alain Sembène : Les copies mais pas les originaux, qui se trouvent en Europe ou au Maroc, dans les laboratoires. Mon père avait lui-même, avant sa mort, pris l’initiative d’envoyer ses archives aux Etats-Unis. L’université d’Indiana avait été son point d’entrée aux Etats-Unis dans les années 70. Il y avait séjourné. Durant toute sa carrière, il a eu de très bonnes relations avec les universités américaines. Mais pas seulement, il y avait de nombreux amis dont Dany Glover et Spike Lee. Il a aussi contribué activement au festival africain de New York dans le Bronx et à Harlem.

Lilly Library : la salle de consultation

Olivier Barlet : Les archives sont-elles accessibles aux chercheurs du monde entier ?

Alain Sembène : Oui, elles ont été presque toutes numérisées et sont accessibles gratuitement par internet. Cela fait partie de l’accord initié par mon père. J’ai commencé à travailler avec le Fespaco et ai contacté les archives du Sénégal pour qu’elles puissent y avoir accès, ainsi que la cinémathèque marocaine qui a été inaugurée en février 2025. Je suis très content que ces archives soient conservées ici dans d’aussi bonnes conditions.

Olivier Barlet : On m’a dit à la Lilly Library que si je voulais une copie de tel ou tel document, c’est 30 cents la page.

Alain Sembène : Oui, si on veut une copie physique, c’est payant, c’est du travail, c’est normal. Mais pour avoir accès aux documents, c’est gratuit. Et vous photographiez ou scannez ce que vous voulez dans vos consultations sur place ou téléchargez sur internet, et cela est gratuit. Jusqu’ici, à peu près 90% des archives sont numérisées. Il y a plusieurs milliers de pages !

Olivier Barlet : Au niveau des archives de Paulin Soumanou Vieyra, le programme de numérisation subit un arrêt du fait du retrait de la subvention fédérale sous l’ère Trump…

Des casiers d’archives de Paulin Soumanou Vieyra en consultation dans une des pièces du Black Film Center & Archive

Stéphane Vieyra : Le parcours de Vieyra est semé d’embûches ! Ce n’est pas quelque chose qui me surprend ! Il y a toujours des rebondissements. J’avais proposé les archives à l’INA mais ils ne voulaient que les photos. Une amie archiviste m’avait dit de surtout ne jamais dissocier les éléments d’une collection. Il fallait préserver l’ensemble. En France, personne ne pouvait débloquer un budget pour s’occuper de toute l’œuvre. C’est pourquoi le choix des Américains était une opportunité à saisir. Et j’en suis complètement satisfait. J’avais visité le stockage dès 2019 et j’étais très impressionné. De très hautes tours mais tout est accessible ! Les documents sont désinfectés à l’arrivée, ils sont stabilisés, avant d’être rangés dans une atmosphère à l’hydrométrie mesurée. Le responsable a un téléphone qui le renseigne sur les données en permanence. S’il y a une différence de température dans telle ou telle zone, une alerte est lancée. On a vraiment l’impression que les archives sont en sûreté. Maintenant, pour la numérisation, cela a été un long processus. Terri Francis, la responsable du Black Film Center & Archive est venue en France pendant une semaine consulter les archives pour évaluer leur pertinence et a été convaincue. Aujourd’hui, le nouveau directeur, Novotny Lawrence, a pris le relais et Jason Byrne assure la numérisation avec une grande compétence. On le sent passionné. Il a réussi à classer toutes les archives en les référençant par dossiers dans les casiers. On peut donc d’ores et déjà consulter la liste des archives sur le site. Quant à la numérisation, elle en est à 30 % des éléments. Effectivement, le nouveau gouvernement a supprimé le budget de 325.000 dollars alloué au niveau fédéral comme il l’a fait pour un grand nombre de programmes dans toutes les universités. Nous sommes donc à nouveau à la recherche de budget. Pourquoi pas un mécène africain pour nous permettre de continuer ? Cela pourrait financer les études d’un étudiant africain pour faire un doctorat sur ces archives. L’université d’Indiana a une fondation qui est en capacité de recevoir des dons. En tout cas, nous sommes à la recherche d’une solution. On va se battre !

 

Le différent entre Sembène et Vieyra

La collection de pipes d’Ousmane Sembène et ses lunettes de soleil (Lilly Library)

Olivier Barlet : On croise donc les doigts ! Il est clair dans les recherches que nous faisons sur les archives que les relations entre Sembène et Vieyra étaient excellents. Vieyra écrit toujours « Vieux » et Sembène lui demande plein de services. Dans une liste de choses à lui rembourser, il y a même les chaussures d’Alain et ses frais de dentiste ! Il était producteur mais aussi producteur exécutif ! Il y eut cependant une petite crise peu avant la mort de Paulin, où Sembène lui a retiré la production de Samory. En savez-vous davantage ?

Alain Sembène : Moi, je ne peux pas te répondre, parce que mon père ne m’en a jamais parlé. J’ai toujours eu de bonnes relations avec celui que j’appelais Tonton Vieyra jusqu’à son décès. Donc, sincèrement, je ne sais pas.

Jacques Vieyra : Je suis donc le seul à avoir eu les paroles de Paulin. Il m’a raconté. C’est assez banal, finalement. Un petit coup de sang. Je résume ça avec le recul, mais qui fait un peu mal. C’est la première fois que mon père me parlait comme ça. C’était en 1986. Je revenais de l’Union Soviétique. Sans rentrer dans les détails, le différent a porté sur la poursuite du travail sur Samory qui était bien avancé au point de réaliser des premiers rushs, ou bien de se détourner sur cet autre projet qu’était Camp de Thiaroye. Sembène voulait mener les deux en même temps. Mon père voulait continuer à travailler à fond sur Samory, et voulait continuer, sinon il préférait arrêter. Sembène lui a dit : « Si c’est ça, tu arrêtes tout de suite ». Et c’est parti comme ça. Il y a eu un froid, mais la relation n’en est pas restée là. J’ai passé Noël avec les deux, le dernier qu’ils ont passé ensemble en 86. Sembène était là, c’était toujours Tonton Sembène, mais ça s’était tiédit. Après, il y a eu le FESPACO en février, le dernier FESPACO de mon père, et le dernier de Thomas Sankara. Mon père est revenu au Sénégal, et est tombé malade…

Stéphane Vieyra : Je travaille à un long métrage biographique sur Paulin. J’ai fait quelques interviews à Dakar. J’avais en tête cette histoire des deux vieux. En discutant avec Ben Diogaye Bèye, j’ai compris qu’il s’agissait de Camp de Thiaroye. Mais je traduis différemment la chose parce que moi, j’ai l’ADN de mon père et je connais mon père dans son côté rigoureux. Il raconte dans sa thèse qu’il avait arrêté un projet de film car il aurait fait concurrence à un autre sur le même sujet. Je connais mon père et sa démarche de loyauté, d’équilibre, etc. J’ai donc compris sa position. Le projet de Ben était établi, financé, et allait être tourné avec les équipes de tournage arrivées à Dakar. Connaissant mon père, je comprends son incompréhension. Malheureusement, il est décédé assez rapidement après cet épisode. Et il y a une image forte qui me reste, celle de Jean Rouch dans une salle de cinéma, qui rend hommage à mon père décédé. Il remercie Sembène d’être présent, lequel est assis par terre dans un coin, meurtri. Et moi, je me dis que c’est peut-être le choc de n’avoir pas eu le temps de se réconcilier.

Jacques Vieyra : Il ne faut pas trop extrapoler. Il y a eu un coup de sang. Voilà.

Saïba Bayo : Sembène donne sa version sur la controverse dans une interview avec Meissa Diop publié par Walf Fadjri en 1988. Selon lui, le scénario de Ben Diogaye Bèye, Thiaroye 44, avait reçu un financement de l’État du Sénégal à travers la SNPC (Société nationale de production cinématographique), ainsi que d’autres partenaires, notamment l’Algérie. Ils ont attendu, mais le film ne sortait pas, alors que le budget alloué était pratiquement épuisé. L’État du Sénégal a contacté l’association des cinéastes sénégalais, dont Sembène était le président. L’État était prêt à compléter le financement sous la responsabilité de l’association. Pour Sembène, il n’était donc plus question de laisser Ben faire le projet. En tant qu’ancien tirailleur, il n’était pas non plus tout à fait d’accord avec la vision que Ben avait des rapports entre Blancs et Noirs. Il a donc cherché un autre cinéaste pour écrire un nouveau scénario. Clarence Delgado confirme d’ailleurs que Sembène avait invité d’autres jeunes à faire le film, même si Delgado lui-même avait refusé, car il trouvait que Sembène ne laissait pas assez de place. C’est ainsi que Thierno Faty Sow a été choisi, et qu’effectivement il s’est retrouvé invisibilisé. En tout cas, les deux scénarios sont en réalité deux versions d’une même histoire. Je pense que c’est un sujet vraiment délicat. Il faut tout de même rappeler que Vieyra et Sembène travaillaient sur Samory. On peut juste supposer que Vieyra ne pouvait pas comprendre que Sembène mette ce projet de côté pour Camp de Thiaroye, de façon presque impulsive. Ce qui est tout à fait compréhensible.

Olivier Barlet : J’en ai parlé avec Ben Diogaye Bèye. Il disait très clairement qu’il n’en voulait pas à Sembène. Il a par contre publié son scénario Thiaroye 44 aux éditions L’Harmattan pour que les choses soient claires. On voit dans les archives que cela n’a pas développé une forte animosité. Sembène était un personnage structurant.

Alain Sembène : La dernière image que j’ai de Paulin, lorsqu’on a dû l’évacuer sur Paris, c’est lorsque mon père m’a emmené le voir à l’hôpital. Tonton était dans son lit, tout maigre. Il me dit : « ma vieille carcasse est fatiguée ». On était anéantis. C’est la dernière image que j’ai de lui. Et c’est une image que je n’aime pas. Je préfère quand on faisait la fête, chez lui ou chez nous. C’est cette image que je retiens.

 

Les autorités sénégalaises

De gauche à droite : Jacques Vieyra, Saïba Bayo, Stéphane Vieyra, Alain Sembène

Saïba Bayo : Et concernant les archives, quel a été votre rapport avec les autorités sénégalaises ?

Stéphane Vieyra : J’ai eu à rencontrer Hugues Diaz qui était nouveau directeur du cinéma. Une rencontre incroyable, organisée par Clarence Delgado. Tout s’est déclenché. C’est grâce à lui qu’en 2012, on a fait un hommage national à mon père. Il a fédéré les universitaires et autres intellectuels sénégalais sur une semaine. Nous avons fait don de toute la bibliothèque familiale à l’université Cheikh Anta Diop. Une exposition de quelques archives de mon père, ses cartes de presse, ses médailles, etc. a été organisée dans leurs locaux. J’ai pris confiance. Nous avons pu présenter l’exposition au FESPACO en 2013. J’indique toujours que mon père était Sénégalais d’adoption et Béninois de naissance. J’essaye toujours de mettre un symbole béninois sur moi et le boubou sénégalais car nous sommes ancrés au Sénégal. Et nous avons demandé que le Sénégal reçoive une copie des archives quand elles seront numérisées. C’est écrit dans notre protocole d’accord avec le Black Film Center. Pour le Bénin également. Le côté panafricain de Vieyra reste encore à travers les archives. Pour 2025, l’université Gaston-Berger organise un colloque à Saint-Louis. Et ce serait bien que le 4 novembre soit une journée de commémoration car c’est la date du décès de notre père. On pourrait déposer une gerbe au cimetière de Bel Air, où sont enterrés nos parents. J’ai en outre officiellement demandé à la mairie de Dakar Plateau de nommer une rue du nom de Paulin, en hommage à son rôle dans les premières actualités sénégalaises. Afrique-sur-Seine a été fait avec deux Sénégalais : Jacques Mélo Kane et Mamadou Sarr. Il pourrait y avoir une exposition d’archives et la projection de son long métrage En résidence surveillée qui fait sens pour le Sénégal.

Jacques Vieyra : Je m’appelle Jacques en référence à deux Jacques : Jacques Fontaine, qui a recueilli mon père pendant la guerre, et Jacques Mélo Kane, décédé trop tôt en 1958, qui était l’ami de mon père. Il est important de bien situer Paulin dans ses liens avec le Sénégal. Deux de ses sœurs, tante Jacqueline et tante Renée, ont étudié au Sénégal, de même que son propre père, Tertulien. A Paris, il a évolué dans un milieu africain et largement sénégalais. Il était très proche de la famille Diop, et notamment du poète David Diop, qui est décédé au large de Dakar dans le crash d’un avion en août 1960.

Alain Sembène : Nous avions proposé qu’une archiviste sénégalaise participe à cet atelier mais ce fut sans réponse.

Jacques Vieyra : Je crois que le dysfonctionnement est systémique. Ce ne sont pas seulement les individus. Il n’y a pas de passation dans ce système.

 

La restauration des films

Le directeur des archives d’Indiana explique l’utilisation de la salle réfrigérée à basse température dédiée aux archives de films en danger. De gauche à droite : Vincent Bouchard, Jacques et Stéphane Vieyra, Alain Sembène

Alain Sembène : Aucun pays n’a voulu numériser, les Américains l’ont fait. Je suis reconnaissant que cet atelier ait été organisé par Vincent Bouchard et Stéphane Vieyra, cela m’a permis de venir et voir de mes yeux les archives. Sembène et Vieyra ont travaillé ensemble et leurs archives sont au même endroit. Et les films existent et circulent.

Olivier Barlet : Comment s’est passée la restauration d’En résidence surveillée ?

Stéphane Vieyra : Au niveau américain, Mahen Bonetti, du New York African Film Festival, m’a aidé et Criterion a voulu pouvoir proposer L’Envers du décor après la restauration de Ceddo, ce qui fait qu’ils distribuent aussi les films de Paulin. Le CNC a financé à hauteur de 25 000 € la restauration d’En raison surveillée. Quelque chose d’improbable, alors que mes premières tentatives datent de 2012. Il fallait prouver qu’il y a eu des capitaux européens ou français qui avaient financé le film à l’époque. L’Institut Français a mis aussi 20 000 € pour arriver au tarif complet de la restauration. Mais il fallait aussi des passionnés au laboratoire. Ils n’ont pas attendu le bouclage des subventions pour démarrer la restauration. Le but était de pouvoir le présenter à Cannes Classics qui exige un standard élevé

 

Les hommages

Séance à la Lilly Library de reconnaissance des personnes sur les photographies archivées (photocopiées pour l’occasion). De gauche à droite : Vincent Bouchard, Alain Sembène, Erika Dowell, directrice associée de la Lilly Library , et les frères Vieyra

Olivier Barlet : Le centenaire de la naissance d’Ousmane Sembène a été célébré en 2023 avec des rencontres, colloques et publications. Cette année 2025, c’est celui de Paulin Soumanou Vieyra. Alain, quel bilan tires-tu de celui de 2023 ?

Alain Sembène : Il y a eu beaucoup de commémorations dans le monde entier, c’était très positif. La Cinémathèque française avait organisé une magnifique rétrospective. Au Sénégal aussi il y eu de nombreuses commémorations et les films y ont été montrés. Ce que je trouve extraordinaire, c’est que les gens s’intéressent. Je pense qu’il faut canaliser cette énergie. Cette génération des débuts du cinéma africain, c’était des passionnés, qui aimaient le cinéma et se sont donné cœur et âme. C’est une belle surprise de voir qu’il y a une attente du public.

Stéphane Vieyra : Le grand public ne connaît pas Vieyra, c’est plus difficile. On prépare les choses depuis longtemps. Le Fespaco 2025 a célébré. Il est dommage que nous n’ayons pas eu la sélection à Cannes Classics qui aurait donné une impulsion, mais on continue dans différents pays, au Brésil, aux Etats-Unis, au Sénégal, en France, etc., pour une clôture au Bénin, je l’espère.

Olivier Barlet : Le nom Vieyra a une origine brésilienne ?

Jacques Vieyra : Oui, l’aïeul de Paulin Vieyra a été déporté de Bida, un petit royaume du Nigeria, et est passé par Porto Novo sans doute, au Dahomey à l’époque, avant de parvenir au Brésil. En 1835, à la suite de la révolte des Malês, certains esclaves ont été affranchis et sont revenus au Dahomey. On les appelle les Agoudas. Sabino Vieyra avait pris le nom de son maître, un Juif maranne qui s’appelait Vieyra. Comme à l’origine il s’appelait Mama Gouyé, il est devenu Gouyé Vieyra. On retrouve dans les archives de Paulin Soumanou Vieyra un des testaments de son père, de mon grand-père, Tertullien Vieyra, qui a signé Tertullien avec les prénoms de son père et les prénoms de cet aïeul, c’est-à-dire Tertullien Sabino Sébastien Gouyé Vieyra. Gouyé a disparu ensuite dans la descendance, bien que certains aient voulu au contraire mettre en avant le nom d’origine.

Olivier Barlet : Au Fespaco 2025 était présenté un film en compétition officielle sur la révolte des Malês : Malès, du Brésilien Antonio Pitanga. Un grand merci à tous pour cet échange !

 

L’accès aux archives est gratuit en ligne : 

Les archives Sembène ont été numérisées à 90 %. Elles sont accessibles en ligne sur https://archives.iu.edu/catalog : entrer SEMBENE dans le moteur de recherche et la liste des casiers apparaît, qu’il faut ensuite explorer par dossiers. Pour ce qui est consultable, cliquer sur « on line content » et descendre l’arborescence en cliquant sur les mots soulignés. Lorsque le téléchargement est proposé (Printable view), il peut mettre un peu de temps selon la connexion.

Le contrat prévoit qu’une copie de l’ensemble des archives numérisées sera fournie sur disque dur en fin d’année aux autorités sénégalaises pour mise à disponibilité.

Concernant les archives de Paulin Soumanou Vieyra, la numérisation n’est avancée qu’à 30 % environ. La suppression de la subvention fédérale par l’administration de Donald Trump oblige à chercher de nouvelles solutions, le contrat de l’archiviste en charge devant être interrompu. La liste en est visible sur https://archives.iu.edu/catalog/VAE5497 (contents)

 

Conservation des archives

Elles sont entreposées à la Ruth Lilly Auxiliary Library Facility (ALF) qui garantit dans ses hangars une température constante de 50 fahrenheit [soit (50°F-32)×5/9 = 10 degrés celsius], inférieure à 30% d’humidité. L’unité destinée au soin des bobines de pellicules présentant de graves signes de désintégration (le plus souvent par le syndrome du vinaigre) a une température encore inférieure. La chambre froide à l’arrivée des éléments est réglée à -8 °F (-22 degrés celsius) et stoppe (gèle) le processus de dégradation.


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