L’exposition individuelle contemporaine intitulée Le messager de Amor Ghedamsi est accueillie par Archivart Gallery, sis à Jinene Eddonia, 11 rue Nelson Mandela, 2046 Marsa en Tunisie, de l’historienne de l’art Wafa Gabsi, en ce début d’été 2025 (14 juin-14 juillet). Elle offre à l’appréciation trente-huit œuvres de technique mixte sur toile, bois et papier.
Les œuvres picturales du plasticien et écrivain Amor Ghedamsi invitent à se relier non seulement à notre mère Nature, mais au Cosmos et à nos racines humaines, aussi bien qu’à la culture locale et aux mythes de nos ancêtres. Certes, les valeurs humaines d’écoute, de générosité, d’humilité, d’amour de l’Autre y sont présentes. De fait, le lien qui rattache organiquement l’être humain aux plantes, arbres, animaux, minerais et à son semblable s’y exprime, entraînant dans son sillage les valeurs humaines d’écoute, d’humilité, de générosité et d’amour.

Livre des secrets
Amor Ghedamsi, né en 1964 à Tunis où il vit et travaille, est un plasticien et écrivain tunisien dont le père est originaire de Ghedames, situé au Sahara tunisien, et la mère de Menzel Temime. Il est une figure connue de la scène artistique en Tunisie par ses articles et ses participations aux débats et symposiums sur l’esthétique et l’art actuel. Cet artiste qui expose depuis 1990 en Tunisie et dans plusieurs pays étrangers est à sa sixième exposition individuelle. En tant qu’intellectuel, il pratique également l’écriture en langue arabe. Quand il rédige un texte critique sur l’œuvre visuelle d’un artiste, il ne se contente pas de la commenter, mais creuse en remontant à la genèse de l’œuvre en question tout en interrogeant son processus créateur. Si bien que le texte produit devient lui-même une création. C’est la preuve non seulement de l’envergure du champ de ses connaissances et de ses investigations, mais atteste que l’action de créer chez lui fait partie intégrante de sa nature profonde. Et qu’est-ce que créer si ce n’est s’ouvrir à la connaissance, par l’analyse et la réflexion ?

Rêve du gardien
Dans la présente exposition, l’omniprésence de l’écriture et du livre se manifeste à travers l’intégration d’un mot ou d’une phrase écrite à l’intérieur du tableau. Sous la forme de deux pages ouvertes d’un livre, on découvre des œuvres autoporteuses composées de deux tablettes reliées par des ficelles et dont on peut admirer les deux côtés, exemple : Livre des secrets, technique mixte sur bois, 32 x 25 cm.
Un très grand tableau occupe le milieu de l’espace parsemé de fines paillettes dorées : Rêve du gardien, technique mixte sur toile, 220 x 200 cm. Une dizaine de tableaux de moyen format, par exemple : Compagnon, technique mixte sur toile, 190 x 110 cm, et le reste sont en petit format. La palette est constituée de couleurs terre avec une dominante du jaune pâle. Seuls le vert, le bleu et le rouge sont vifs et purs, tandis que le reste des couleurs utilisées sont des gris colorés ou des couleurs lavées. Des compositions en aplat agencées de manière symétrique, lumineuses et harmonieuses structurent un jardin imaginaire aux arbres parfaitement taillés, aux êtres humains et animaux en train d’accomplir une danse rituelle.

Compagnon
L’univers plastique d’Amor Ghedamsi évolue au fil des années et de l’expérience en se constituant son propre vocabulaire plastique avec l’image de son arbre de vie et de ses oiseaux comme piliers de son langage. Des figures en aplat de poissons parfois voguant au ciel, de grands oiseaux au long cou, des paons, des lions, un zèbre, un singe, des oies, etc. Le fait de laisser s’exprimer son subconscient lui permet de faire remonter à la surface et d’intégrer à son espace pictural ces éléments inscrits dans ses gènes. Ces tableaux ne sont pas emprisonnés dans des cadres. En méditation, le spectateur se laisse transporter avec fluidité d’œuvre en œuvre comme s’il s’agissait d’une grande fresque ou d’un jardin fictif. Néanmoins, un voyage spirituel méditatif est offert à l’âme où tout baigne paisiblement dans une douce lumière. Cette cohérence découle d’une ingéniosité dans l’emploi des couleurs, du graphisme en pointillé, de la richesse des signes et des symboles patrimoniaux. Cette iconographie est puisée dans la culture autochtone amazighe, ainsi qu’orientale et persane de la miniature, de l’enluminure, de la peinture sous verre tunisienne et dans les temps immémoriaux des premiers hommes qui ont occupé le Sahara.

Le voyage
Avec le bleu du ciel et le vert des arbres, l’artiste Amor Ghedamsi instaure l’équilibre entre terre et ciel. Entre ces deux fondamentaux de l’univers terrestre, il place les animaux et les arbres afin de compléter sa mélodie visuelle. Quant à l’être humain, il est présent, un parmi les animaux, les fleurs et les plantes. Bien qu’il soit placé au milieu, l’homme ne domine pas, mais rayonne. Le corps occupant le centre, il échange les vibrations bienfaitrices avec la nature. Ainsi, cet humanoïde naît-il des fragments de papier portant des traces de rouille, récupérés de la rue tunisienne qu’il intègre au tableau. Contrairement aux autres règnes qui animent l’espace peint à l’acrylique, la silhouette humaine associée au matériau usagé qu’est l’affiche publicitaire est imprégnée du passage du temps et du vécu humain, social et politique. Ainsi en est-il de : Le voyage, technique mixte sur bois découpé, 95 x 98 cm. Et comme le plasticien l’annonce, le matériau est son langage parce qu’il charrie toute une posture, toute une philosophie.

Arbre labyrinthique
Au-dessus du personnage central, telle une couronne, figure une icône sous forme de cercle ou de demi-cercle, d’arabesque à huit ou dix branches ou d’un labyrinthe, par exemple : Arbre labyrinthique, technique mixte, 64 x 50 cm. Ces éléments sont la base de son écriture plastique. En outre, l’âme de l’Afrique y est présente par ses couleurs, sa mythologie, ses grottes préhistoriques, son désert et ses valeurs humaines. L’un des titres des tableaux rappelle cette parole de sagesse : « Tu n’es qu’une branche dans l’arbre de l’existence ».

Exposition Le messager de Amor Ghedamsi. Archivart Gallery, Marsa, Tunisie – © Photos de Amel Bouslama
Dans un texte dense qui présente l’exposition, la commissaire, Wafa Gabsi, fondatrice de la plateforme Archivart, écrit entre autres : « …Nous reconnaissons très bien une peinture d’Amor Ghedamsi comme quelque chose que nous connaissons, et pourtant nous ne savons pas comment la saisir ni ce qu’elle signifie. Elle a ce pouvoir sacralisant qui émane d’une source supérieure et spirituelle, celle de la force cosmique ». En effet, loin des vanités, des conflits de ce bas-monde et de sa folie meurtrière, voici une pratique plastique liée au système de l’univers qui gère l’unicité des règnes animaux, végétaux et humains et qui prouve leur parfait équilibre et connectivité.
Au-delà du simple fait qu’elles sont objet d’investissement marchand, ces œuvres picturales créées de la main, de l’esprit et du cœur d’Amor Ghedamsi sont les signes de notre vulnérabilité et précarité. Elles sont des vecteurs, des éveilleurs à partir desquels se dégagent une sagesse, une aura et une dimension mystique. Ainsi l’artiste à travers ses œuvres devient-il à plus forte raison cet éveilleur, ce messager des consciences.
Amel Bouslama, artiste visuelle