Dakar, Yaoundé : la vidéo a besoin de cinéma

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Dakar, du 15 au 20 décembre 2004 : festival du film de quartiers. Yaoundé, du 1er au 6 juin 2005 : festival Ecrans noirs. Deux occasions de voir les films des jeunes vidéastes sénégalais ou camerounais, et de mesurer à quel point ils profitent des formations audiovisuelles locales (Média Centre à Dakar, les classes de cinéma initiées par Bassek Ba Kobhio à Yaoundé). Avec à Dakar, la leçon de cinéma de Sembène aux étudiants.
Dakar
Le Media Centre de Dakar (MCD) est un grand bâtiment situé sur l’Avenue Cheikh Anta Diop, à l’angle du Canal IV, non loin de l’université. A l’intérieur, des bureaux et salles de réunion mais aussi des salles de montage équipées de matériel professionnel. Une salle de cinéma avec des gradins et une grande scène a aussi été aménagée sous une bâche en marge du bâtiment. Ciné-club : des films y sont projetés chaque semaine.
Financé par l’ONG norvégienne Forut, le Media Centre est avant tout une formation où douze jeunes, six filles et six garçons à parité, sont choisis sur dossier pour étudier l’audiovisuel en un an. Une structure de production et un festival se sont greffés sur cette activité, qui prennent tous deux la dénomination de « films de quartier ».
C’est bien sûr cette proximité qui est mise en avant : une volonté domine ici d’ancrer le travail dans la réalité sociale du pays, de poser une alternative aux images télévisuelles habituelles, de susciter la réflexion et le débat, de mobiliser les forces sociales.
Des films d’école sortent de cette formation en un an (qui passe à trois ans sous la houlette du nouveau directeur Samba Félix Ndiaye) : le festival a pour but de les montrer et attribue un prix à l’un d’entre eux. Il est aussi l’occasion de voir d’autres productions vidéo internationales ainsi que des films sénégalais. Occasion rare : en l’absence de relais télévision pour la diffusion ou d’équipement adéquat des salles, ces films restent dans leur boîte. Le public est abondant dans les lieux de projection qui lui sont proches, l’université pour les étudiants, Yoff, Pikine, Rufisque, Ngor et les Parcelles pour les projections itinérantes. Il est plus difficile à réunir malgré la gratuité des séances dans les beaux jardins de maison de la Culture Douta Seck ou même au Média Centre où les séances scolaires sont les mieux visitées.
La télévision sénégalaise, encore en situation de monopole malgré les promesses d’ouverture du président Wade mais dont l’audience est grignotée par les bouquets de chaînes satellites, ne s’investit que très rarement dans une production endogène. Pas de coproduction, mais pas non plus d’achat des films produits localement. Pourtant, les « films d’école » sont plus qu’acceptables : ils parlent aux gens de leur quotidien, et leurs qualité techniques sont indéniables.
C’est ce qui frappe au premier abord dans les cinq « films d’école » retenus pour le festival. Vieux Samba, de Serigne Mbodj, primé par L’Ebène du film d’école par le jury, a toutes les qualités d’un bon court métrage bien maîtrisé : jouant sur la dualité de situation, il monte en parallèle le lynchage d’un jeune qui lorgnait sur le radio-cassettes d’un 4×4 et le bon moment que passe son propriétaire auprès de sa maîtresse. A l’école de Djibril Diop Mambety, qui reste ici le modèle absolu de toute une jeunesse éprise de cinéma, les images cherchent le symbole et la perspective, le hors champ donne sens (les rires de la maîtresse), le montage alterné renforce le rythme, les dialogues sont absents mais le propos est radical. La cinéphilie a du bon : la trace de Peckinpah ou de Lynch se sent dans les scènes d’action remarquablement efficaces. Le résultat est convaincant. La scène d’amour est tournée avec pudeur et sensibilité, la sensualité étant suggérée par des métonymies ou des métaphores, bracelets, dos, ombres, rires etc. Par contre, le lynchage est d’une troublante brutalité, la cruauté de la mise à mort est mise en exergue avec force coups et jets d’hémoglobine au ralenti. Berk. On comprend que l’effet d’opposition soit recherché mais on retrouve là une représentation problématique de la violence qui place le spectateur comme voyeur, objet d’une manipulation qui lui ôte toute liberté de pensée.
Dénoncer ? Les spectateurs connaissent trop bien la glauque réalité de leur quartier. Point n’est besoin de leur resservir leur vécu sans le retravailler sous une forme artistique pour favoriser la distance et la réflexion. Toute la question est là : tout est montrable à condition d’y mettre les formes d’une représentation signifiante et non d’une reproduction utilisant les ficelles du spectaculaire.
Comme leurs anciens, les vidéastes affichent leur volonté de faire évoluer leur société en affrontant les questions sociales qui fâchent. Aïcha Thiam avait remporté le prix du festival 2003 avec son excellent documentaire sur les enfants des rues, Fi Sabililahi, une phrase arabe de mendicité prononcée par les talibés que le marabout envoie mendier dans les rues dans leur apprentissage de l’humilité et de la sagesse. Une activité qui s’avère lucrative, le don quotidien étant un des piliers de l’islam. Bien monté avec rythme, bien cadré, soutenant par des mouvements de caméra le déplacement des personnages dans l’image, le film maniait différents registres, les uns moins heureux comme des ralentis esthétisants sur les mains qui mendient, d’autres davantage comme un intermède musical (Wasis Diop) sur les regards des enfants ou un entretien avec Abdou Aziz Kabe, un islamologue signalant que cette pratique ne trouve aucune justification dans le Coran.
Mais là où un tel documentaire commence à utilement déranger, ce n’est pas qu’il montre ce que chacun sait déjà, c’est qu’il connaît son sujet et met les points sur les « i » : des parents ne contrôlent pas l’état sanitaire de leurs enfants et les abandonnent sans soutien, des accidents arrivent au milieu des voitures, un véritable trafic d’enfants se met en place, lesquels se réfugient dans la drogue pour se réconforter, en sniffant de la colle. Le cadre juridique est alors évoqué, qui demande l’application de la loi contre la mendicité.
On imagine l’impact d’un tel travail s’il passe à la télévision. Même réflexion concernant Des larmes aux sourires de Maïmouna Gueye, où un père raconte le viol de son garçon de cinq ans par un homme de 40 ans. On touche là à des non-dits sociaux et cette prise de parole mérite la plus grande diffusion : la pédophilie n’est traitée dans la presse que comme un fait divers alors que les abus sexuels sont par exemple courants sur les talibés ou bien au sein des familles elles-mêmes. Ceux qui ont été abusés risquent de devenir des abuseurs : un cercle vicieux est masqué alors qu’il demanderait à être vraiment pris en compte. Maïmouna Gueye le traite avec sensibilité et pudeur, laissant au père le temps de son témoignage, son émotion et sa progressive difficulté d’élocution étant hautement révélatrices. Par contre, les essais d’illustrations sont un peu trop évocateurs pour être convaincants et surtout, le cadrage du père reste terriblement incertain, zoom avant, zoom arrière, si bien qu’un déphasage s’inscrit avec ce qu’il dit. Une poésie aurait été à trouver, qui réduise les têtes parlantes à l’écran. Ici encore, dans le cadre comme dans le traitement, un peu plus de cinéma.
En prenant pour sujet Malal Tal (Fou Malade), célèbre rappeur sénégalais qui se fait à la fois le défenseur et le porte-parole des malades mentaux, Ramatoulaye Fall se saisit dans Un monde à part d’un cas exceptionnel et éminemment sympathique. On le voit en situation, avec son groupe « Bat-haillon blindé », notamment lors d’entretiens collectifs avec les malades mentaux, et tout cela est passionnant. L’art-thérapie et le ndoep sont également abordés, si bien que c’est ici la construction qui pose problème : c’est un film de cœur, optimiste, mais qui reste un peu touche à tout, alors même que la démarche de Malal Tal de changer le regard sur les malades mentaux est essentielle.
Côté fiction, de très belles choses dans l’essai d’Ousseynou Gueye d’évoquer le passé dans La Boite à souvenirs. Sans dialogues, centré sur la parole des objets, jouant d’éclairages en clair-obscur et de décors travaillés soulignés par le format 16×9, le film est très construit, ce qui n’est pas sans se sentir dans des raccords marqués (horloge, fondus enchaînés, etc.). Malgré une belle accroche et le maintien d’une ambiance, une distance s’inscrit entre l’esthétique léchée et l’âme qu’appelle cette plongée dans le souvenir, si bien que le film se réduit à un bel exercice de style.
Ce n’est pas le problème du captivant Yandé, de Thomas Mbane Ndoukine Diouf, qui s’attache au destin d’une fille de 21 ans. De condition modeste et confrontée à la violence du père, elle échoue dans ses études. Que lui reste-t-il pour s’en sortir ? La prostitution ? Les petits boulots ? Ou bien se prendre en charge à plusieurs dans un projet collectif et solidaire, le restaurant « Les Filles vraies » ? Le message n’est pas déguisé mais il passe car le film est traité avec rythme, utilisant celui d’un tam-tam entraînant. Très découpé et bien monté bien qu’avec des raccords parfois un peu secs, insérant des flashs sur les peintures de Babey Diop, traitant avec bonheur des abus faits aux femmes, le film laisse une impression volontaire et positive.
Cinq films d’école donc, tournés au bout d’un an de formation, dont certains affichent déjà une impressionnante maîtrise et qui témoignent tous d’une véritable démarche de cinéma.
Clin d’œil à une autre formation au cinéma, Profis à Ouagadougou, le Burkina Faso était notamment présent avec un autre film d’école, La Moto rouge, de Serge Armel Sawadogo (13′, 2003), où l’on retrouve la démarche du Média Centre d’accompagnement d’un jeune par un réalisateur confirmé, ici Issa Ibrahima de Traoré, de Sahélis Productions). Le film s’appuie sur un scénario bien construit mais très théâtral, multipliant quiproquos et surprises. Cet aspect très dialogué le fait dépendre du jeu des acteurs, d’autant plus que la caméra les filme en plans assez serrés. Mais le propos est amusant, éternelle problématique de la jalousie et de ce qu’elle entraîne, proche des séries produites à Ouaga. La moto est habilement utilisée comme outil scénarique révélateur jusqu’à la fin du film.
Mais la grande révélation du festival fut Djaay Diap, une fiction de 5 minutes du Sénégalais Ismaël Thiam (par ailleurs acteur principal dans Vieux Samba). C’est tourné tout près du Média Centre, sur les bords du canal. Quatre compères y jouent aux cartes pour de l’argent, mais aussi pour leurs habits. On pense à Bon voyage Sim de Mustapha Allassane (1966) : les accélérés donnent un sens supplémentaire, se superposant à ce qu’on capte de l’action et des dialogues hachés. Le tout est au rythme des percussions et le nouveau venu est vite déplumé et en slip, mais il saura retourner la situation et ira vendre les habits gagnés à Colobane. Le grain de folie qui fait ainsi danser image et son est un vrai plaisir. Ancré dans l’environnement dakarois où chacun se retrouve, le film déclenche l’enthousiasme de la nouveauté du procédé et du clin d’œil humoristique. Il a reçu l’Ebène du jury, tandis que Des tas de choses, un documentaire touchant et inventif de la Suisse Germinal Roaux (28′, 2003) sur un jeune trisomique obtenait l’Ebène du film étranger et que Sum-sum saba d’Adams Sie, une production des Films du quartier, recevait l’Ebène du documentaire, un film qui signale que dans un pays à 90 % musulman, « les Sénégalais boivent de façon immodérée ». Tel l’absinthe des anciens temps, le sum-sum est un alcool entraînant une accoutumance dont il est difficile de se défaire et qui tue à petit feu en rendant fou. Une ex-danseuse, un ex-ingénieur filent une relation touchante dans les nuages de l’alcool qu’ils sirotent ensemble. La réussite du film est de leur donner malgré leur autodestruction toute leur dimension humaine, qui ouvre sur la compréhension plutôt que le rejet. Ses failles techniques sont cependant trop flagrantes pour servir le sujet comme il le mérite : montage trop lâche, digressions déstabilisantes, gros plans indiscrets, son inaudible. Un très beau sujet mais tant de faiblesses ! « Quelle langage, quelle méthode, quelle sensibilité allez-vous développer ? », demandait Ousmane Sembène, parrain de cette édition du festival, lors de sa « leçon de cinéma » aux élèves du MDC.
Les appels de Sembène
« Au cinéma, les grandes fresques sont plus faciles à filmer mais sur un petit tableau, comment faire glisser la caméra pour rendre les détails, pour rendre vivant le tableau ? La sensibilité, la douceur de la caméra sont essentielles ! » Le vieux lion s’est plié aux questions des étudiants, insistant sur leur rôle social : « C’est à vous d’enseigner à la grande masse comment lire un tableau et y être sensible. »
Sans cesse, il en appelle à la connaissance : « Si on dépasse la société wolof, chaque société a sa manière et sa couleur. Dans l’Afrique antique, le blanc était la couleur du deuil, avant les religions. Il y a tout ça à apprendre, à connaître. » « Vous devez lire, vous instruire, scande-t-il. Quel est le dernier roman sénégalais que vous avez lu ? Quels sont les livres écrits sur le cinéma africain ? » demande-t-il à la salle. « Vous faites un petit groupe et vous échangez entre vous. Vous pouvez dire du mal de l’auteur, il n’est pas là ! Ou du bien ! Et les images viendront avec. Ne vous coupez pas des autres non plus, y compris des Européens. Il faut lire la revue qui parle de scénarios, l’acheter à plusieurs. Apprendre, toujours apprendre ! Même à mon âge, je continue d’apprendre. C’est l’émulation qui compte. On avait autrefois des ciné-clubs jusqu’à Pikine ! »
L’apprentissage est aussi une pratique : « Les courts métrages sont très importants, une maîtrise à acquérir, du montage, du son. Après deux ou trois, on a le souffle. Il faut multiplier les stages d’assistanat. Alors vient la maîtrise d’un long métrage. »
A Maïmouna Gueye, la réalisatrice de Des larmes aux sourires sur le viol d’un jeune garçon : « La pédophilie a toujours existé. Notre métier est large et infini. Comment l’urbanisation a-t-elle changé nos mentalités ? Nous vivons maintenant chacun dans notre nid. Nous pouvons même fermer les rideaux pour ne pas devoir nourrir les enfants des voisins. Nyaye était sur l’inceste en 1964, un 25 minutes : le film avait tellement choqué que Senghor avait écrit aux organisateurs du festival de Locarno que ce film ne représentait pas le Sénégal ! Or je suis Sénégalais, même si je ne représente pas le Sénégal ! C’est important que vous ayez le courage de faire un film la question du viol ! Le problème est de savoir sur quoi débouche le film. On sait que le problème existe. Ce qui rend intéressant est politique : à quoi ouvre le film. C’est notre travail. Je le répète : les hommes politiques font du cinéma, nous nous faisons des films ! »
Aux étudiants qui saluent le combat des anciens et demandent quelles solutions face aux difficultés pour faire des films : « Oubliez que nous nous sommes battus ! Seule la passion peut vous aider. Personne ne peut vous donner de solution ! Ce n’est pas le cinéma africain qui vous rendra riche ! Il n’y a pas de plus ingrat qu’un peuple : quand on fait ce qu’ils veulent, tout va bien, mais sinon ! (…) Notre société n’a pas toujours raison : on peut être irrespectueux. Il faut tout violenter, tout bousculer ! Y a-t-il une culture sénégalaise ? Non, il n’y en a pas ! Il y a une diversité de cultures dans une fusion qui le Sénégal moderne. (…) L’Europe ne nous a pas apporté la modernité. Elle améliore la qualité de vie par sa technique. C’est cette quête de modernité qui importe et doit tailler vos films. »
Sur le numérique : « On s’adapte. La machine ne définit pas la créativité ou la sensibilité. Depuis 50 ans, j’ai travaillé pour la première fois avec la vidéo pour faire un pilote. Cela me pose un problème technique mais l’essentiel est la sensibilité. »
Sur le financement : « N’attendons pas que les autres nous financent. L’Etat peut aider mais ne va pas financer. Cela n’empêche pas d’écrire notre scénario. Je n’ai pas fait tous les films que je voulais : dois-je me lamenter ? Sans l’aide extérieure, on ne ferait pas de film. Ils ont leurs règlements : on lit et on prend si on est d’accord. »
Passionnante matinée où Sembène parle sans fard aux étudiants. « Je m’excuse : je ne vous ai rien apporté mais je suis avec vous. J’aimerais avoir un ou deux assistants du MCD avec moi la prochaine fois. Comme je suis vieux, le filles n’ont aucune chance avec moi et aucune crainte à avoir. C’est du travail seulement. Sans concession. Le plateau, c’est ça. Ceux qui travaillent avec moi le savent. Je me mets en défi de vous battre. Même si vous faites les cent mètres, moi je fais les deux cents mètres, on va voir ! »
Yaoundé
Au Cameroun, la structure de production de Bassek ba Kobhio, Terres africaines, soutient certains cinéastes sortis des écoles de cinéma, en leur fournissant le matériel de tournage ou en les employant comme techniciens sur les films produits, tandis que d’autres essayent d’exister par ailleurs. Ils ont leur forum au moment du festival Yaoundé Tout court organisé par le magazine Sud Plateau mais le festival Ecrans noirs leur offre également une tribune. Le matériel de tournage ? L’équipe de Lorenzo Mbiahou a bien failli ne plus le revoir quand un taxi qui en avait été chargé s’est enfui avant de prendre les passagers pendant que ceux-ci devaient discuter avec la police à l’aéroport ! Il a été heureusement retrouvé trois jours après grâce à son numéro, lui et le matériel. Avec ce genre d’imprévus, ce tournage qui devait durer quatre jours a pris plus d’un mois ! Aller retour est centré sur Bonaventure, un jeune Africain (interprété par l’excellent Thierry Ntamack) qui doit, de retour d’Europe, annoncer à sa fiancée Samantha dont il a un enfant que, ayant découvert son homosexualité, il n’est plus celui qu’elle croit. Il se refuse à elle, est mal dans sa peau, se heurte à l’homophobie ambiante, ne sait se décider entre sa famille et ce qu’il ressent. L’arrivée en vacances de son compagnon hollandais va le pousser à la vérité, ce qui n’ira pas sans drame.
Très convaincant lors de la phase d’incertitude grâce à une multiplicité d’idées de mise en scène portées par le jeu des acteurs et la caméra portée de Paul Kobhio qui se fait mobile à souhait sur des personnages eux-mêmes en mouvement, le film perd en puissance à l’arrivée du compagnon hollandais. Tandis que le propos se fait grave, l’image se plombe et les personnages se figent dans des attitudes accablées, comme si le réalisateur ne savait plus sur quel pied danser et quelle distance adopter. Le film se fait explicatif mais cela reste des mots. Son point de vue n’apparaît pas plus clairement à l’image que dans ses déclarations : il n’est pas facile d’affirmer en Afrique aujourd’hui que deux êtres de même sexe peuvent s’aimer. On est tout de suite soupçonné de prendre parti pour une déviance occidentale, de pervertir la jeunesse. On en revient à la question de ce courage dont parlait Sembène qui permettrait d’être convaincant jusqu’au bout.
Avec le même chef opérateur, Serge Alain Noa réalise avec Le Cercle vicieux le premier épisode d’une série humoristique, lauréat du concours de scénario 2002 d’Afrique centrale. Dinka, qui vient de recevoir ses indemnités de licenciement, sera le pigeon idéal alors qu’il lorgne sur une belle serveuse. Son jeu est très théâtral, en phase avec la tradition camerounaise du théâtre populaire, les cadrages en gros plan soulignant ses grimaces. Ce cinéma d’hyperbole pourrait fonctionner si les mimiques n’annonçaient pas ce qui va suivre, le rendant prévisible, et si le scénario ne se résolvait pas à une recherche d’effets. Mais le public communique avec cette satire en phase avec le vécu quotidien : le machisme, la famille abandonnée, l’envie de gravir l’échelle sociale. Des contacts avec des télévisions camerounaises laissent espérer une diffusion.
 » La corruption nous tient, tout tourne autour du pognon « , scande le rap qui introduit et clôture La Quête des points (Ecole d’aujourd’hui) de Ben Green. Des élèves passent un examen et les résultats ne sont pas brillants pour certains. Pour repasser au-dessus de la moyenne, l’un corrompt le professeur avec une bouteille de whisky tandis qu’une autre lui offre ses charmes – des pratiques courantes dans de nombreux pays. En six minutes, Ben Green manie l’ellipse habilement pour aller à l’essentiel : le geste qui propose et le geste qui accepte. En cela, il pointe la vraie nature de la corruption : un acte et non une donnée sociologique désespérante, un acte que l’on choisit de faire. Dénuder la poitrine de la jeune fille n’est dès lors pas une impudeur gratuite mais fait sentir par le choc qu’il induit combien l’acte de corruption est éthiquement condamnable. Le film de Ben Green pointe ainsi avec efficacité une pratique immorale qu’il est possible de changer et non une permanence immuable sur laquelle on n’aurait pas prise. Une fois sorti de l’espace public de la classe où se joue la neutralité officielle, la corruption exige le secret : le film joue sur l’extérieur et l’intérieur de la demeure du professeur pour illustrer le passage à l’acte. Quelques flashs suffisent alors pour permettre à la valse des notes de commencer. En dehors de problèmes de son et de quelques plans un peu trop volontaires comme la décision énoncée de la jeune fille d’aller voir son professeur le soir, un film réaliste d’intervention sociale bien maîtrisé.
Côté documentaire, Arice Siapi a présenté Destin… Destinée ?, un 13 minutes tourné chez les Bororo du nord-ouest du Cameroun monté en collaboration avec la chaîne STV. Arice a partagé la vie des Bororo qui vivent dans une extrême pauvreté, sédentarisés car ne possédant plus leur bétail, et son film se veut un appel au secours pour que l’on résolve leur précarité. Elle a tout fait toute seule, des images au montage. Bien sûr, cela se sent. La matière est riche, les images maîtrisées, le montage dynamique mais une réflexion cinéma manque : les commentaires monocordes sont plus qu’illustratifs, ils disent ce qui se passe ou va se passer à l’image, la musique reprenant lorsque la voix s’arrête. Un jeune décrit son quotidien de berger mais on ne saura qu’après qu’il s’agit d’une traduction. On voudrait en savoir plus qu’une simple approche ethnographique sur ce peuple dont on sait la richesse culturelle, voir l’ombre d’une contradiction pointer au-dessus du simple constat…
L’enjeu est là : sortir de la solitude pour profiter des solidarités et des savoir-faire. Les formations communes favorisent ces liens. Surtout, elles posent la question du cinéma, qui n’est pas seulement technique : comme le disait Sembène, comment l’image peut-elle exprimer la sensibilité ? Sembène a insisté combien les films, les livres et les critiques sont des sources essentielles mais il a aussi parlé du courage de bousculer son peuple. La sagesse d’un vieux lion.

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Les images de l'article
le jury du festival du film de quartier : présidé par Ben Diogaye Beye (à gauche), avec Olivier Barlet, Fara Mendy (Directeur des programmes à la RTS), Thierno Dia (chercheur et cinéaste), Rokhaya Niang (actrice) et Mariet Bakker (directrice du festival Africa in the picture aux Pays-Bas) © O.B.
Ousmane Sembène lors de sa leçon de cinéma, entouré de Samba Felix Ndiaye et Thierno Dia © O.B.
Le Média Centre côté rue © O.B.
Séance scolaire au festival du film de quartier dans la salle du MCD © O.B.
à l'intérieur du MCD © O.B.
cocktail d'inauguration du festival du film de quartier © O.B.





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