Bande de filles de Céline Sciamma

Au-delà des clichés

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Bande de filles a fait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs au dernier festival de Cannes, avec une excellente réception. Faut-il voir dans ce succès critique la célébration des clichés d’un cinéma penchant sur l’ethnographie ou bien la reconnaissance de la singularité d’un regard ?

L’intérêt de Bande de filles est justement qu’il évite les clichés, ou plutôt qu’il les retravaille pour les dépasser. Pourtant, cette adolescente noire timorée qui comprend qu’elle ne pourra échapper à son destin qu’en se battant aurait pu donner lieu à une plongée dans les idées reçues. Si ce n’est pas le cas, c’est grâce aux subtilités de l’histoire mais surtout à l’esthétique de Céline Sciamma : la caméra proche des corps est d’une grande douceur, captant les gestes et les regards en un cadrage mettant en exergue la beauté et l’humanité des personnages. Marieme qui en bande deviendra Vic (Karidja Touré) est dans tous les plans, le film suivant en permanence son point de vue. Cette identification ménagée avec une héroïne n’est pas seulement juste émotionnellement mais aussi politiquement : si c’est bien le groupe qui suit une initiation, Vic doit passer par la solitude pour se définir et s’en détacher. Son douloureux parcours fait d’une série de refus est emblématique d’une réinvention possible qui la sort du chemin tracé, et partant de l’immuabilité de la Cité. C’est elle qui se forge son destin et non parce qu’elle y est acculée.
Si Bande de filles se situe en banlieue, il n’a rien des codes du film de banlieue, expression consacrée pour désigner les films qui la réduisent à des clichés. Il n’est pas tourné caméra à l’épaule et ne baigne pas dans le rap. Il ne s’emploie pas à démontrer sa légitimité. Il travaille au contraire en scope la stylisation et les couleurs chatoyantes, utilise des travelings et steadycams ou place sa caméra sur pied pour des épisodes tendant souvent vers le plan séquence. Cela permet à Vic d’avoir un destin romanesque. La violence des femmes n’est pas nouvelle (bien que jamais reconnue), ce qui est récent (et date de l’époque où Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur), c’est les bandes de filles, phénomène au demeurant marginal. Vic et ses amies ne sont ni douces ni maternelles : bruyantes et déterminées, elles expriment une violence politique, en lutte contre les interdits et les assignations. Elles sont toutes noires, de même que les garçons qui les côtoient : il y a là encore un choix politique de représentation de cette part invisible de la diversité. Et cela dans la société française : quand Vic peut enfin jouer au jeu vidéo avec son frère et qu’il lui donne le choix entre le Brésil et la France, c’est la France qu’elle choisit sans hésiter.
Il n’est ainsi pas neutre de choisir des adolescentes noires pour exprimer ce qui fait la base du cinéma de Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, Tomboy) : la construction du féminin, l’affirmation des désirs, le jeu avec les identités. Elle trouve en elles la vitalité nécessaire à son propos. Car si Bande de filles sert les filles qu’il met en scène, c’est en rendant compte de leur magnifique énergie, c’est en filmant – sans justement les enfermer dans le stéréotype autre que celui qu’elles travaillent elles-mêmes en résistance – leurs gestes, leurs danses, leurs paroles, leurs formules, et cela dans les espaces qu’elles se créent, comme ces chambres d’hôtel qu’elles louent pour pouvoir être entre elles. Il y a de la rage dans cette énergie, et c’est cette rage qui permettra à Vic de sortir du déterminisme de son environnement social, et cinématographiquement de sortir du cadre. La transgression, beau programme !

Un autre regard : Lire la critique de Claire Diao sur Bande de filles ///Article N° : 12503

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© Pyramide Distribution
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