Bienvenue à Madagascar, de Franssou Prenant

Déconnexion du regard

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En sortie en salles en France le 15 mars 2017, cet essai documentaire fascine par la forme mais son approche mélancolique reste déconnectée de l’énergie de l’Algérie aujourd’hui.

Alger se dessine alors que le bateau approche. « J’ai 11 ans », dit la voix off de Franssou Prenant sur ces images tournées par son père géographe dans l’Algérie nouvellement indépendante où elle restera trois ans. Très vite ses souvenirs vont se mêler à une autre époque : la première décennie des années 2000 où elle y a résidé comme épouse de l’ambassadeur de Madagascar. Le film est entièrement composé d’images impressives d’Alger : des rues et des perspectives, des enfants qui jouent et se baignent, des scènes de rues, des cimetières, des marchés, des murs et palissades, le port, la mer… Très vite, d’autres voix s’entremêlent et se superposent, dont nous ne verrons jamais les locuteurs à l’écran. Franssou Prenant a convoqué ses amis, jeunes et vieux, dont elle retient des bribes de conversation.

C’est une mosaïque, un kaléidoscope mêlant données historiques et constats actuels. Sétif et la répression coloniale, l’oppression raciste des colons et la pauvreté des populations, la puissance de l’OAS, les plastiquages et les lynchages, puis les années terribles du terrorisme et l’incompréhension des médias occidentaux… L’Histoire traverse le film jusqu’à ce qu’un passage fictionnel utilise un texte de Rachid Mimouni sur un parc où les jeunes se rapprochent à l’abri des regards intrusifs et que ces mêmes jeunes parlent de la répression de la sexualité qui fait « des femmes des salopes et des hommes des frustrés », de l’hypocrisie et de la jalousie ancrée par la décennie noire, de l’emprise de la religion…

La multiplicité des voix, des opinions, des souvenirs agit comme un puzzle indécis, une polyphonie syncopée avec les images qui continuent leur déambulation dans les rues d’Alger. Rien ne s’incarne au fond si ce n’est une certitude reprise et répétée qu’une époque heureuse de liberté est révolue et qu’aujourd’hui ne règne qu’un marasme profond. Ce film attrape-tout baigne dans cette mélancolie. Mais cette vision reste dans le fond comme dans la forme profondément extérieure. Bienvenue à Madagascar : le territoire de l’ambassade est extra-territorial. Franssou Prenant avait appris l’arabe à Beyrouth et on lui a dit qu’au lieu de parler le Coran, elle n’avait qu’à parler français. La désincarnation des protagonistes sur des images qui n’entrent jamais dans une maison, qui ne s’attachent jamais à un personnage, inhibe le film. Sa contemplation se fige dans le passé. Ces images et ces impressions datent : l’Algérie d’aujourd’hui, ses mouvements sociaux, ses jeunes qui résistent, son nouveau cinéma, sont absents, au profit de considérations sur la perte, la fermeture des bars, la progression du mercantilisme mondialisé. Même, en fin de film, un tableau orientaliste apparaît comme une icone alors que la voix nous dit que les Algériens avaient de la classe et que les Algériennes étaient belles, si bien que ce film à l’imparfait plonge définitivement dans son ambigüité.

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© Survivance
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