Bilan du Fespaco 2009 : « Le vrai avenir du Fespaco se joue dans l’autonomie institutionnelle »

Entretien d'Olivier Barlet avec Michel Ouedraogo, délégué général du Fespaco

Print Friendly, PDF & Email

12750 badges délivrés, 362 films projetés, des centaines de milliers de spectateurs : le Fespaco n’est pas affaire facile à gérer. La 21ème édition a cependant été entachée de désastreux problèmes d’organisation. Il nous semblait dès lors important de laisser son délégué général répondre aux interrogations et en tirer le bilan et les perspectives.

Le Fespaco 2009 a connu une recrudescence de problèmes d’organisation. Que s’est-il passé ?
Tous les supports, programme, catalogue etc. doivent bien sûr être prêts à temps, mais il faut pour cela que tout nous arrive à temps, que les réalisateurs envoient leurs présentations et leurs films à temps. Il nous faut avoir la certitude d’avoir les films pour établir le programme. Les responsabilités sont partagées. Loin de nous l’idée d’accabler qui que ce soit : nous assumons nos responsabilités et invitons tous à assumer les leurs. Nous limiterons pour cela les inscriptions au 31 octobre pour la prochaine édition. Nous sommes d’accord avec ceux qui disent qu’au bout de 40 ans, le Fespaco ne doit pas reproduire les mêmes erreurs mais il faut aussi dire qu’au bout de 40 ans, les cinéastes ne peuvent pas arriver avec leur film sous le bras pour la cérémonie d’ouverture ! Tout est lié ! Des films inscrits ne sont jamais arrivés et ont dû être déprogrammés. Nous faisons notre autocritique et nous allons tirer les conclusions des erreurs commises mais la qualité du travail dépendra aussi en grande partie des réalisateurs.
C’est pourtant à chaque festival que la question se pose ainsi. Des changements de personnes à la tête des commissions ont-ils favorisé une perte d’expérience et de transmission d’expertise ?
Les responsables sont avertis des questions organisationnelles. Reste ensuite l’application sur le terrain. Cet aspect a pu jouer mais l’essentiel est pour nous de tirer les leçons et de faire en sorte qu’à tous les niveaux une responsabilisation prenne place, y compris de la part des réalisateurs.
Vous indiquiez trois mois avant la manifestation ne disposer que de 33 % du budget nécessaire. Le délégué général doit ainsi se faire chercheur de fonds alors même qu’il serait temps de se consacrer à plein à l’organisation. Est-ce là aussi un handicap important ?
Les questions financières jouent énormément sur la qualité de l’organisation. Le festival est financé en grande partie par l’Etat burkinabé et par des partenaires comme la France, l’Union européenne, l’Organisation internationale de la Francophonie, ainsi que des médias comme RFI ou TV5. Mais lorsque le délégué général passe son temps à courir pour la mobilisation des fonds, il ne peut se consacrer aux tâches d’organisation. Le vrai avenir du Fespaco se joue dans l’autonomie institutionnelle : tant que nous n’aurons pas une véritable autonomie, il sera difficile de mener les actions en amont. La lourdeur bureaucratique et administrative des procédures est telle que l’organisation en pâtit. Ce sont des goulots d’étranglement ! Si nous voulons donner toute sa force au Fespaco, il lui faut l’autonomie financière.
Des bruits de couloir soufflaient que l’Etat burkinabé avait versé très tardivement les fonds, ce qui empêchait par exemple d’émettre les billets d’avion à temps.
Effectivement, nous n’avons pas reçu les fonds au moment où il le fallait mais il ne faut pas accabler l’Etat burkinabé : tous les partenaires sont impliqués. Des institutions qui peuvent prendre en charge leur transport et leur hébergement demandent au Fespaco de le faire. Ce sont autant de professionnels qu’on ne peut faire venir. Il faut une réflexion globale sur le statut du Fespaco : doit-il prendre tout le monde en charge ? La contribution au Fespaco n’est pas seulement donner de l’argent mais aussi prendre en charge le déplacement et l’hébergement de ses membres. La charge financière serait moindre et nous pourrions mieux nous consacrer à l’organisation. Le Fespaco du 21ème siècle doit-il être comme celui du 20ème siècle ? Une évolution est nécessaire pour diminuer les charges.
Vous aviez d’abord annoncé un budget souhaitable de 2 milliards de francs CFA, puis 1,5 milliard et le budget s’est finalement élevé, d’après nos sources, à 980 millions avec 110 millions de rentrées (entrées en salles, publicités, prix spéciaux, cartes étalon, etc).
Oui, c’est dans cette fourchette, mais au moment où je vous parle, je n’ai pas encore mobilisé l’ensemble et des prestataires me poursuivent ! Les institutions accordent 40 ou 50 % et payent le reste après, mais après c’est souvent six mois plus tard ! Que fait le prestataire en attendant ? Il n’a plus confiance ! Une réflexion globale s’impose. Nous allons discuter sans tarder avec nos partenaires pour envisager ces questions et savoir s’ils veulent vraiment soutenir le Fespaco : les fonds sont mobilisés sur papier mais pas dans les faits pour une bonne organisation.
En tant qu’institution étatique, le Fespaco peut-il accéder à davantage d’autonomie ?
Oui. Une structure d’Etat peut disposer de toute son autonomie. L’essentiel est de redéfinir les relations administratives entre le Fespaco et l’Etat. Le lien administratif ne doit pas être une chape : il faut la souplesse qui lui permette de prendre les décisions nécessaires au bon moment. Si une autonomie totale est souhaitable, cela peut se passer dans une structure étatique au statut particulier mais sans ingérences et nuisances.
Le ministère de tutelle peut-il entendre cette demande ?
Nous la soumettons. Il est capable de l’écouter car il sait où se situe l’intérêt du cinéma africain et du Fespaco. Ce n’est pas une question de souveraineté de ministère. C’est une question posée au niveau politique. Si on veut que le Fespaco soit un outil panafricain et performant au niveau international, son statut doit évoluer. Il n’y a pas d’autre solution.
Cela va dans le sens de votre volonté de faire du Fespaco une institution d’action permanente à même de soutenir la diffusion globale du cinéma et non plus seulement une biennale événementielle ?
Oui, c’est la réflexion : que le Fespaco soit une institution politique pour travailler à la diffusion du cinéma africain et pas seulement une biennale. Il peut jouer ce double rôle : une institution forte entraînant une biennale forte.
C’est ce que vous entendiez par « Vision 21 » ?
Oui, le problème est aujourd’hui de savoir comment faire du Fespaco une institution du cinéma africain. Ceux qui ont fondé le Fespaco en ont fait un outil panafricain, un outil continental. Le problème aujourd’hui est d’en faire un outil international. La finalité est que le Fespaco devienne l’institution la plus importante du cinéma africain. Entre la mission institutionnelle politique et celle de créer un événement fort dans le monde, le Fespaco aura toute sa raison d’être.
N’y a-t-il pas un tiraillement entre l’ancrage africain et la visibilité internationale ? Ne serait-ce que dans la concurrence entre le public ouagalais et les badgés qui veulent voir les films et occuper les places ?
On conçoit encore les festivals comme il y a 40 ans. Le Fespaco est à l’âge de la maturité : une autre réflexion doit se faire. Il y a 20 ans, le festival avait davantage de ressources et moins d’intervenants sur la biennale. Les badges étaient gratuits et faciles, les salles ouvertes, mais nous avons émis 12 750 badges en 2009 ! Nous n’avons pas les places nécessaires ! A cela se sont ajoutés ceux qui sont venus d’Europe pour participer au festival. Il faudrait que ceux qui ne sont pas des professionnels du cinéma n’exigent pas d’avoir un badge. Une réflexion profonde est nécessaire pour que les véritables professionnels aient accès aux salles. Un journaliste qui n’a pas été désigné par son organe ne peut pas exiger un badge car il ne vient pas pour un travail professionnel. Certains deviennent des obstacles à l’avancée du Fespaco. Cette réflexion doit être menée aussi par des gens comme vous qui avez une voix qui porte dans le monde du cinéma et de la presse. Le Fespaco peut-il drainer encore ce qu’il drainait ? Je ne le crois pas : des solutions sont à trouver.
Cette année a vu une augmentation importante du nombre de films, 362, que le Fespaco a tenté de gérer par une augmentation du nombre de lieux de projections. Mais il reste trop de spectateurs pour trop peu de salles.
Oui, c’est pourquoi nous travaillons à l’ouverture des salles périphériques au Fespaco. Nous avons refusé du monde par manque de place. La programmation doit suivre : les longs métrages ne peuvent pas tourner partout. Cela fait une dizaine d’années que le Fespaco n’avait pas ouvert de salles périphériques. Nous allons mettre des navettes pour tenir compte des problèmes d’accès.
L’interdiction des séances en plein air n’a-t-il pas nuit à l’aspect populaire du Fespaco ? Quel était le fond de cette décision ?
Nous n’avons pas interdit mais recadré. Ceux qui pensent que cela a nuit à l’aspect populaire du Fespaco se trompent. On ne peut pas faire une chose et son contraire. On ne peut pas créer une économie autour du cinéma en faisant des projections en plein air qui dépeuplent les salles de cinéma. Notre souhait est de sauver et développer les salles, y entretenir un confort qui les pérennise. Organiser des projections gratuites en plein air en dehors de la commune de Ouagadougou, parfois jusqu’à 20 km de distance, a aidé à bien recadrer les choses : cela a permis à ces populations d’accéder au cinéma tout en préservant la logique de salles de cinéma dans les quartiers périphériques. Nous n’avons pas encore exploité tous les possibles : dans chaque arrondissement, il y a au moins une ou deux salles de cinéma.
Quel était le prix du billet dans les salles périphériques ?
500 Fcfa.
On est quand même au-dessus du prix habituel.
Ce qui est important c’est l’affluence. Le prix habituel est de l’ordre de 300. Ce n’est pas une grande différence et les billets étaient déjà à 500 il y a dix ans.
La carte étalon est passée de 10 000 à 25 000 en une édition.
Le pass professionnel est donné aux réalisateurs, comédiens et journalistes. Il n’est jamais acheté. A la différence de la carte d’abonnement étalon qui permet de rester dans la salle sans arrêt. C’est un privilège qui a son coût. Même à 25 000 il y a eu rupture de stock. Un réalisateur m’avait conseillé de la mettre à 50 000. Pour aller au cinéma, vous payez de l’ordre de 5 à 6000 Fcfa en Europe. Il faut savoir que les prix pratiqués au Fespaco seront appliqués par la suite. Le film de Boubakar Diallo passe maintenant à 1000 et 500 F l’entrée, comme au Fespaco. C’est ainsi que la cinématographie africaine peut vivre. Si le Fespaco pratique des prix bas, il sera difficile d’amener le prix des places à des niveaux acceptables pour la profession.
Quel bilan pour le marché du film ?
Positif : la responsable Mme Kourouma pourra vous le confirmer. Nous avons prévu 76 stands qui ont tous été occupés, contre une vingtaine de stands dans les anciens locaux du Méliès. Nous passerons à 150 stands à la prochaine édition dans un espace très professionnel. Les questions de l’éloignement du SIAO et de l’écho dans la salle de projection seront prises en compte à l’avenir. Les Sud-Africains, qui étaient plus d’une centaine, avaient loué des cars et se déplaçaient sans problème. Les gens doivent comprendre qu’ils ne peuvent tout attendre du Fespaco et tout se passera bien.
Finalement, quel bilan global ?
L’affluence a été très importante, des Ivoiriens comme Sidiki Bakaba ou Samba Bakary ont renoué avec le Fespaco, Haïlé Gerima nous a proposé son film et a ainsi remporté l’étalon d’or même s’il n’est pas venu physiquement… Cette véritable mobilisation autour du cinéma africain nous interpelle tous pour que le Fespaco devienne un festival majeur pour contribuer à son avancée en dialogue avec les autres cinémas du monde. Cette édition est pour nous expérimentale : nous allons tirer toutes les leçons nécessaires, et attendons de tous des suggestions pour améliorer le Fespaco. Il est l’affaire de tous.
Vous mentionnez l’absence de Haïlé Gerima : avait-il été invité ?
Oui, comme beaucoup d’autres qui n’ont pu venir pour des problèmes de calendrier ou personnels. Nous travaillerons à ce que certaines personnes dépassent ces questions personnelles.

interview réalisé par téléphone le 18 mars 2009///Article N° : 8462

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire