Brooklyn : un repère de Caraïbe

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Véritable ville dans la ville, Brooklyn possède l’une des plus larges populations noire du pays et le doit en grande partie à l’immigration caribéenne.

Quand on grandit dans un milieu francophone, on a du mal à saisir l’ampleur de la diversité des populations de la Caraïbe. Débarquant à Brooklyn en 1999, c’est tout un festival de cultures « afro » qui s’est déployé devant moi. Beaucoup de ces Noirs croisés sur ma route ne se révélèrent jamais « juste » Américains : ils viennent de la Barbade, de la République Dominicaine, de Jamaïque, de Porto Rico, d’Antigua ou encore de Trinidad.
Une présence noire à Brooklyn
Son origine remonte au 19ème siècle. Un petit groupe d’esclaves libérés s’y était installé en 1838, créant une communauté vibrante et dynamique. Baptisé Weeksville, le village avait ses propres écoles, ses églises, et créa même l’un des premiers journaux noir-américains, The Freedman’s Torchlight (le flambeau de l’homme libre). Situé dans la zone de Bedford-Stuyvesant, il va progressivement s’étendre aux hameaux voisins, devenant au cours du 20ème siècle, le second plus grand quartier noir des Etats-Unis (derrière le « South Side » à Chicago). « Beaucoup plus imposant qu’Harlem, Bedford-Stuyvesant mériterait qu’on lui accorde davantage d’attention. A l’origine un quartier blanc, abandonné après la dépression des années 30, il recèle des trésors architecturaux, comme ces rangées de maisons en pierre, vieilles de plus d’un siècle ! Quand les Noirs de Weeksville se sont installés ici, ils ont apporté leur culture religieuse avec eux et ont construit de magnifiques églises, » explique Matt Postal, architecte urbaniste de Brooklyn.
Le décor n’est malheuresement plus aussi élégant aujourd’hui, même si les importants lieux historiques et culturels sont préservés – quatre maisons originelles de Weeksville sont classées patrimoine historique et transformées en musée. Mais tout autour, c’est un Bedford-Stuyvesant pauvre et délabré que l’on découvre quotidiennement. Et c’est là que les immigrés de la Caraïbe ont trouvé terre d’asile.
Immigration et rencontre de cultures
Ce fut pour moi un choc de réaliser que le fameux melting pot n’était en fait qu’un mythe. L’hermétisme aigu entre chaque communauté laisse une désagréable sensation de confinement. On peut faire le tour de Bedford-Styvesant sans rencontrer un seul visage blanc. « Je me souviens encore de la permière fois où j’ai vu une personne blanche », confie Vanessa Anderson, 24 ans, d’origine jamaïcaine. « Je devais avoir cinq ou six ans – avant ça, je n’en avais vues qu’à la télévision. » C’est ce contexte qui explique l’implantation des immigrés de la Caraïbe dans les quartiers « déjà » noirs de Brooklyn.
Arrivés en masse entre les années cinquante et soixante, certains fuyant un régime, d’autres des crises économiques, ils se sont en grande partie retrouvés dans ce type de quartiers. Aujourd’hui, les rues de « Bed-Stuy » portent leurs couleurs, leurs sons et leurs odeurs. Les fast-food offrent de succulents « beef patties » (beignets fourrés au boeuf épicé), une barquette de plantains frits, ou un « roti » (pain léger) accompagné d’une sauce curry. Les restaurants plus conventionnels offrent des spécialités : poulet « jerk », poissons grillés et et ragoûts aux saveurs chaudes.
Ce souffle de Caraïbes a fini par s’étendre à deux quartiers limitrophes de Bed-Stuy – Flatbush et Crown Heights. La jeune romancière haïtienne Edwidge Dandicat place d’ailleurs à Flatbush l’intrigue de son dernier roman Breath, Eye, Memory. Elle y évoque notamment la difficile cohabitation avec les Noirs-américains.
Le racisme marque en effet la vie de ces quartiers. Les immigrants, stigmatisés de tout temps, le sont doublement dans le cas des Haïtiens, la langue étant une barrière supplémentaire. L’accent francophone, encore fort chez les arrivants de première génération, est souvent source de moquerie. Mais certains dénoncent également un racisme des immigrants eux-mêmes à l’égard des locaux. « Ils ont comme un complexe de supériorité vis-à-vis de nous, Américains. Ils s’isolent, ne laissent pas leur gamins jouer avec les nôtres, sous pretexte que ce sont tous des voyous et ils ne jurent que par l’école », constate George Thompson, un Noir-américain. Il est vrai que les immigrés de la Caraïbe, en particulier les Haïtiens, ont cette spécificité d’accorder une grande importance à l’école. Ils sont nombreux à accéder au niveau universitaire et à exercer de hautes professions.
Chaque année, la Caraïbe à l’honneur
Aux Etats-Unis, le premier lundi du mois de septembre, Labor Day (équivalent de la Fête du Travail) est une journée de célébration. A Brooklyn, une parade géante à l’honneur des différents groupes de la Caraïbe défile sur plusieurs kilomètres le long d’une large avenue de la ville. Tradition apportée des îles, le carnaval antillais met en scène une succession de chars, à l’effigie de chacune de ces communautés. Introduits à grands renforts de musique (calypso et soca), ils arborent des décorations flamboyantes. Des danseurs aux costumes les plus fantasques y saluent la foule. « C’est mon événement favori de l’année », confie Vanessa Anderson avec enthousiasme. Entraînée par l’esprit de la fête, elle semble avoir trouvé pour un jour, comme par magie, un accent des îles. Noué en foulard sur sa tête : le drapeau jamaïcain. Ils sont environ deux millions chaque année à venir, comme elle, applaudir la parade et partager une culture commune.
En été, le festival Celebrate Brooklyn présente presque chaque week-end des concerts en plein air, à Prospect Park. Ce genre d’événements culturels contribue à la rencontre des différentes communautés noires, ce que tente ainsi Brooklyn tout au long de l’année.

///Article N° : 98

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