Editorial

Modernité de l'exception

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« des mots de feu ont pris la relève
mots de cendres mots de flammes
qui racontent le conte moderne
des enfants d’Icare venus d’Afrique »
Tanella Boni, Chaque jour l’espérance, L’Harmattan, p. 14

Lorsqu’on demandait à Dominique Wallon alors qu’il était encore directeur du Centre national de la Cinématographie français pourquoi il défendait tant les cinémas d’Afrique, il répondait que la France ne pourrait tenir tête seule face au bulldozer américain de l’uniformisation culturelle.
C’est à une alliance qu’il appelait, alliance des cinématographies différentes, celles qui se coltinent la difficile tache d’essayer de comprendre le monde pour le faire changer plutôt que de le reproduire pour l’accepter. C’est grâce à cette alliance qu’il fut possible de contrer l’offensive américaine pour inclure le cinéma et l’audiovisuel dans les négociations de l’Organisation mondiale du Commerce sur la libéralisation des services.
Aujourd’hui, le débat récurrent sur l’exception culturelle refait surface à la faveur des déclarations fracassantes de Jean-Marie Messier en décembre 2001. Le PDG de Vivendi-Universal, accessoirement dirigeant de Canal+, indiquait nonchalamment que « l’exception culturelle franco-française » était morte. Autrement dit que les Américains ne sont pas si méchants que cela. Nous en sommes tous convaincus mais remarquons simplement que l’hégémonie culturelle fait le terrain de la domination économique et politique. Constatons que Harry Poter et Le Seigneur des Anneaux ont balayé tout ce qui pouvait essayer d’exister à côté d’eux dans les salles en ce mois de décembre. Pourtant, ils n’étaient pas si mal ces petits films de décembre, malgré leur petits budgets. Même lorsqu’ils n’étaient pas français. Même si pratiquement aucun n’était africain. Face aux grands loups de l’entertainment, des films indépendants ont bien du mal à trouver une place au soleil.
Pourtant, affinons le raisonnement : n’opposons pas sommairement les Américains contre les Autres. Mais plutôt Hollywood contre le cinéma indépendant. Le classicisme contre le cinéma de rupture. Et cela dans le monde entier. Souvenons-nous du néo-réalisme qui cherchait à rompre avec la morale et l’esthétique ayant conduit à Auschwitz et à Hiroshima. Souvenons-nous de la Nouvelle Vague qui s’élevait contre le corporatisme, la primauté du scénario, la morale du récit, la mythification du passé et le refus du temps présent… Interrogeons-nous si le système des aides aux cinématographies différentes, dans leur volonté de les adapter au marché mondial, ne privilégie pas le classicisme. Ce serait grave car cette fameuse diversité culturelle que tous s’accordent à défendre passe justement par la création, l’originalité, la rupture.
Une production cinématographique ne contribue à l’exception culturelle que lorsqu’elle se détache du classicisme ou du dogmatisme progressiste, que si elle affirme un regard autre, celui d’une modernité en perpétuelle redéfinition. C’est cette exceptionnelle modernité que ce dossier décèle dans les cinémas d’Afrique. Sachant qu’il n’y a pas de modernité sans rupture.

///Article N° : 2058

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