Les documentaires sur l’homosexualité en Afrique sont rarement réjouissants. Call Me Kuchu s’attaque à décrire la situation dans un pays dont la situation est particulièrement tendue. En effet, l’Ouganda débat depuis 2009 de la ratification éventuelle d’un projet de loi qui introduirait la peine de mort pour comportement homosexuel dit « aggravé » (commis par des personnes mariées avec des enfants, porteuses du VIH, de notoriété publique, droguées, impliquant des mineurs ou handicapés, ou tout simplement récidivistes, c’est-à-dire une très grande majorité des personnes homosexuelles et transgenres). Cette loi comprendrait également l’obligation de délation, y compris de ses propres enfants, sous peine d’encourir trois ans de prison ferme. Il serait également interdit d’avoir des relations homosexuelles hors d’Ouganda, sous peine d’extradition pour être jugé au pays. Bien que se rapprochant des lois des pays les plus répréhensifs envers l’homosexualité, ce projet semble tellement extrême qu’il a attiré l’attention du monde entier et qu’il a été retardé par des hommes politiques conscients de l’opprobre international que sa ratification engendrerait.
Comme l’évoque Call Me Kuchu, de nombreuses instances internationales et pays du monde entier ont condamné publiquement cette initiative, citée par Obama dans son discours de campagne de 2008 où il invitait les Américains à faire preuve de modération envers la communauté homosexuelle à laquelle il souhaitait octroyer certains droits fondamentaux. Les protagonistes du film se battent pour que la situation actuelle, déjà très inquiétante, ne devienne encore pire : l’homosexualité est passible de prison à vie et la discrimination, le harcèlement, le chantage, les dénonciations, les coups et blessures, les viols correctifs et les meurtres font partie du lot quotidien des personnes homosexuelles et transgenres en Ouganda.
Pourtant, Call Me Kuchu s’attache en près de quatre-vingt-dix minutes à présenter une réalité bien plus complexe que celle de victimes de la haine sociale, notamment grâce au portrait tout en douceur du charismatique David Kato. Son meurtre bien connu vient comme un choc révélateur du danger qu’il encourait chaque jour pour défendre une cause et une communauté qui l’entoure tout au long du film, et qui lui survit, renforcée, empowered comme le dit une militante, par cette épreuve. Les réalisatrices racontent d’ailleurs comment elles ont découvert une communauté militante, visible et efficace.
Interviewées par Nicolas Kazamia pour l’émission canadienne Xtra, elles expliquent : « On s’apprêtait à parler de personnes victimes, (
) mais une fois sur place, on s’est rendu compte que s’ils sont effectivement persécutés (
), David et tant d’autres agissent chaque jour pour faire changer la situation, ils travaillaient dur, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et c’est d’ailleurs en bonne partie grâce à eux qu’on est au courant de ce qui se passe là-bas. » (1)
On découvre en effet toute une communauté s’impliquant à 100 %, faite d’individus prêts à raconter leurs histoires, leurs traumatismes, leurs vies clandestines, et leur fierté d’avoir surmonté les épreuves pour s’affirmer tel qu’ils et elles sont, sans aucun regret, aucune envie de retourner en arrière, de faire un chemin devenu absurde ou de quitter une structure qui les a construits, et sauvés. Car il faut bien se rendre à l’évidence : l’association de David Kato pour la défense des personnes LGBT existe dans un pays qui respecte la liberté d’expression et de presse, qui rend justice à David Kato lors de son procès en diffamation contre le tabloïd Rolling Stone, et où la pression internationale n’est pas prise à la légère.
L’influence extérieure n’est d’ailleurs pas unilatérale et l’on découvre les discours de haine véhiculés par les pasteurs évangélistes américains, dont certains sont blancs, haranguant l’Ouganda à porter les valeurs ultra-conservatrices que l’Amérique aurait abandonnées sous la pression des lobbies homosexuels qui empêchent les bons chrétiens d’élever leurs enfants comme ils l’entendent et menacent de les recruter pour répandre le vice et le péché. Ainsi, non seulement les lois homophobes sont-elles issues des Codes pénaux colonialistes, abandonnés depuis en Grande-Bretagne ou en France tandis qu’ils sont farouchement conservés dans de nombreux pays africains, mais le durcissement actuel est lui aussi d’importation occidentale, manipulant la religion et la Bible à des fins partisanes.
À y regarder de près, Call Me Kuchu ne présente pas une version simple de l’homophobie en Afrique. La mère de David Kato est fière de lui, malgré ses réserves quant à l’absence de descendance. Les scènes de peur et de violence font alternance à des moments de joie et des actions de résistance active.
L’évêque Christopher Senyonjo fait figure de héros, en prenant le parti des persécutés, fort de son statut religieux. Il ajoute encore un degré de complexité à l’analyse qui ne peut être hâtive : en Ouganda comme ailleurs, la religion peut se faire l’alliée des parias, plutôt que l’arme de la haine.
Autres documentaires sur l’homosexualité en Ouganda
Ouganda, au nom de Dieu (2010), documentaire de 72 minutes de Dominique Mesmin
Missionaries of Hate (2010), reportage de 45 minutes, présenté par Mariana van Zeller pour Current TV http://topdocumentaryfilms.com/missionaries-of-hate
Ouganda : Pire pays pour les homosexuels (The World’s Worst Place to be Gay) (2011), reportage (légèrement racoleur) de 58 minutes, présenté par Scott Mills pour la BBC 3 http://www.youtube.com/watch?v=fV0tS6G8NNU
1 – Texte d’origine : « The dominant narrative was very much one of victimization, ( ) and when we got there, we realized they are definitely being persecuted ( ), but David and other members of the community were actually doing a lot to change the situation and they were working really hard, 24 hours a day 7 days a week, and half of the reason we even knew about what was going on there was because of what they were doing. »///Article N° : 11995