Cendres, d’Idrissa Guiro et Mélanie Pavy

Une inscription dans le monde

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Sorti sur les écrans français le 10 juin 2015, Cendres suit une Franco-Japonaise qui vient de perdre sa mère et ramène ses cendres au Japon. Un film d’un extrême sensibilité et d’une grande beauté.

Une femme, Akiko, perd sa mère et revient du crématoire avec ses cendres. Cette mère était japonaise, actrice, compagne de Dominique Gaisseau, un réalisateur français de documentaires. Elle a fréquenté la Nouvelle Vague et figuré dans Made in USA de Godard, à l’écran avec Anna Karina. Elle laisse à sa fille ses carnets intimes qui lui révèlent comment elle a vécu son rapport au monde autant qu’à son enfant, mais aussi les images d’elle que son compagnon a tournées. Akiko ramène les cendres au Japon où elle vit depuis 16 ans. Sa mère est née à Hiroshima et a tenu à accoucher à Hiroshima. C’est aussi là qu’elle avait perdu sa sœur, lors de la bombe atomique : ses parents y étaient retournés pour l’y chercher mais n’avaient rien vu, résonnance à Hiroshima mon amour. Le cinéma fait ainsi écho à l’aventure humaine et tout s’entremêle à l’heure de la mort dans la question de la représentation : l’interculturalité et les choix d’une mère éprise de liberté qui regrette sa distance envers sa fille, l’expérimentation de la Nouvelle vague mais aussi ses préjugés, la grande Histoire des peuples et des guerres. Tout cela est articulé avec finesse, par évocations plutôt que par énonciations.
Pour continuer à vivre, Akiko se doit ainsi de faire le deuil de sa mère, au sens où elle tente d’appréhender cette complexité qui résonne en chacun de nous en ce siècle mondialisé. La caméra très pudique et sensible du Franco-sénégalais Idrissa Guiro, qui signe également avec Mélanie Pavy la réalisation du film, suit Akiko dans son voyage de retour au Japon où la famille se réunit pour honorer la mémoire de sa mère exilée. Les plans serrés du départ, sur les objets et les gestes dans l’appartement de la mère à Paris, s’élargissent au Japon pour embrasser la famille dans son environnement mais aussi pour restaurer le temps et la distance de l’observation. Cela donne une magnifique scène d’ouverture de l’urne, à la fois très drôle et profondément humaine, la tradition japonaise qui ordonne les restes s’accommodant mal de cendres trop fines où ont disparu toutes traces d’ossements.
C’est cette humanité des protagonistes que ce film sait saisir, dans une culture qui nous est très éloignée et qui est consciente de sa spécificité. Ozu n’est pas loin. Cette réussite documentaire, au sens d’un profond respect du regard nous permettant d’appréhender les ressentis et les croyances constituantes de la communauté familiale, prend encore davantage de poids lorsqu’elle est enrichie des émouvantes images de la mère d’Akiko (tournées par son père), de ses souvenirs d’actrice et de son rapport au cinéma (donc au monde), de la difficulté de son positionnement face au cliché de la Japonaise chez ces réalisateurs critiques encore peu conscients sur ce plan, du rapport au pays natal et à la douloureuse mémoire du Japon, du rapport à l’interculturalité d’un couple mixte et à l’exil. Tout cela résonne chez Akiko, qui tente de transmettre ce qu’elle en comprend à ses proches et de vivre avec.
Que fait donc ainsi un Sénégalais entre France et Japon ? Il manifeste d’abord une sortie de l’assignation à un continent et de la référence obligatoire à des vécus africains. Mais il y a aussi dans cette histoire d’errance entre les cultures un vécu qui n’est pas étranger au vécu du peuple noir. La quête d’expérimentation de la mère tout comme son refus de la détermination d’une apparence sont pour Akiko un héritage à recueillir. A travers ses cahiers, cette mère absente lui lègue bien davantage que des cendres et quelques bibelots : une inscription dans le monde. Ce film s’affirme dès lors un retour au pays natal : la revendication d’une place qui ne se réduit pas à un territoire et ne se résume pas à un passé pour permettre un nouveau départ en dignité.

///Article N° : 13034

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