Cotonou : émergence d’un festival panafricain

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Fort de son succès, le festival Lagunimages de Cotonou pourrait devenir un Fespaco du film documentaire.

Le trafic à Cotonou fait penser à une ruche sous l’enfumoir : les fameux zemidjan, deux roues-taxi qui vous emmènent partout à peu de frais, grouillent entre les voitures, serpentant dangereusement dans d’indescriptibles embouteillages. Partout, l’ostentation côtoie la dominante misère et le cinéma de réflexion semble un luxe bien surréaliste dans un tel contexte. Remplir une salle devient une impossible gageure.
Pourtant, Lagunimages l’a fait. Pas tout de suite, peu à peu, lorsque radio-trottoir a fait son travail que la multitude de journaux locaux n’arrive pas à remplacer malgré leur excellente couverture de l’événement. Hébergé par le Centre culturel français, le festival Lagunimages proposait durant dix jours, du 16 au 25 octobre 2000, une programmation très complète et gratuite de documentaires africains récents ainsi que de la production audiovisuelle béninoise. Têtes d’affiche invitées : le Haïtien Raoul Peck pour ses films sur Lumumba et le Camerounais François Woukoache pour Nous ne sommes plus morts, réalisé au Rwanda.
Une compétition du film documentaire béninois alignait devant un jury composé du cinéaste gabonais Dread Pol Mouketa, du documentaristes béninois Ndiagne Adechoubou et de moi-même une quinzaine de films témoignant de la vitalité et de la diversité de la production audiovisuelle béninoise. Les sujets sont riches mais leur traitement n’échappe pas à l’académisme. Pour la plupart, les films sont construits comme des reportages pédagogiques, alourdis d’un commentaire didactique et d’images illustratives. Les sujets touchent le plus souvent au patrimoine culturel ou touristique et évitent soigneusement l’actualité et la contradiction. Un atelier de réflexion évoquait la frilosité des télévisions africaines face aux sujets chauds et leur démission sur la question du public : si elle n’est pas pénalisée sur sa programmation, une télé se contrefiche de la réaction de ses téléspectateurs. L’enjeu est dès lors de redonner une place au créatif, notamment en faisant entrer des indépendants dans le circuit. Les séries produites par le Cirtef (Conseil international des télévisions francophones) portent sur les instruments de musique, l’habitat traditionnel, les produits du terroir ou les contes : rien de bien dérangeant ! Les deux chaînes de télévision béninoise (la publique ORTB et la privée LC2) produisent chacune des documentaires tout aussi conservateurs. Pas de quoi fidéliser un public qui lorgne vers les satellites.
Sans doute est-ce pour cela que le programme de Lagunimages a accumulé les films d’analyse politique, à commencer par Deux petits tours et puis s’en vont… de sa principale organisatrice, la documentariste d’origine zaïroise Monique Phoba, qui porte sur l’alternance dans le jeu politique béninois. Il ne s’agit pas de prendre forcément la politique comme sujet. Le fond du problème est de ne pas confondre, comme le rappelait Raoul Peck, documentaire et reportage : « Le documentaire est une tentative de comprendre le monde dans lequel nous vivons par des images, des personnages etc. dégageant une réflexion et une émotion. De ce fait, qu’il traite de thèmes politiques ou non, il est forcément engagé. Un bon documentaire laisse des traces en chacun. Le reportage, lui, est fait pour la consommation rapide. Il est périssable : les images perdent de leur force avec le temps si elles ne sont pas replacées dans un contexte. » Ainsi, si le documentaire n’est pas le meilleur véhicule pour le quotidien, « il permet de gérer le quotidien par la réflexion qu’il provoque« .
C’est exactement le but que se donne « On y va… ou Démocrastyles » du Gabonais Dread Pol Mouketa, film pratiquement invisible que Lagunimages permettait de découvrir. Les artifices de montage, de construction visible à l’écran avec titres et cadres, de récits personnels faisant apparaître les conditions de production et même le rapport ironique avec le producteur permettent au réalisateur de prendre distance avec le matériau brut de reportage sur les émeutes du printemps de Libreville et de la conférence nationale de 1990. Ce recul très personnel et en définitive très ludique donne un résultat touffu mais pas confus car c’est en définitive la question de l’émancipation du peuple noir qui est posée « qu’aucun support ne pourra contenir si ce n’est la mémoire de nos enfants ».
On sent bien que, comme le faisait ressortir un débat durant le festival, la différence entre le documentaire et la fiction s’étiole pour laisser la place au regard personnel d’un cinéaste, dès lors qu’il est traversé par le monde. L’Afrique n’a pas attendu la renaissance du genre opérée en France par Claire Simon, Denis Gheerbrant ou Nicolas Philibert. Mais en Afrique comme en Europe, le documentaire de création est l’œuvre de quelques-uns comme le Sénégalais Samba Félix Ndiaye, le Camerounais Jean-Marie Teno, la Togolaise Anne-Laure Folly…
Les uns comme les autres ont bien peu accès aux télévisions, qui seraient pourtant leurs mères nourricières, tant l’économie du documentaire ne passe que par le petit écran. Là où les télévisions européennes jouent la réduction systématique (réduction de la durée imposée au montage, cadrage des thèmes selon les cases de programmation comme histoire, société, nature, art ou découverte…) et tendent à privilégier un spectacle stéréotypé et généralisé sur toutes les chaînes (le zaping sur satellite montrant que leur multiplication n’apporte aucune diversité), il semblerait que les télévisions africaines laissent au réalisateur la durée qu’il désire mais ne prennent aucun risque sur les thèmes abordés. C’est partant de ce constat que le jury a préféré primer un film indépendant dont le traitement dénotait malgré ses imperfections une véritable sensibilité du réalisateur pour son sujet.
Car une véritable production existe au Bénin, que l’on aimerait voir initier de véritables débats publics. C’est ce qu’a réussi Lagunimages en programmant une journée Rwanda en présence de François Woukoache qui présentait Nous ne sommes plus morts et rencontra plus de compréhension à Cotonou qu’à Kigali. Le pli était pris et le festival a gagné en puissance, les salles se remplissant peu à peu, d’autant que la présentation de Divine carcasse de Dominique Loreau provoqua une polémique sur l’image du Bénin véhiculée par ce film réalisé par une Occidentale fascinée par le rapport spirituel aux objets (ici une vieille voiture devenant objet de culte) qui osait en plus filmer les masques. La présentation en clôture du Lumumba de Raoul Peck au cinéma Concorde (700 places, bien rempli) et la poursuite de sa diffusion après le festival (en coordination avec l’association Ecrans Nord-Sud qui consolide là son action en faveur de la distribution des films africains en Afrique) ont achevé de donner force et crédibilité à ce festival initié au départ contre vents et marées par deux personnes, Monique Phoba et Kombert Quenum. L’enjeu est dorénavant de mobiliser sur d’autres éditions le milieu professionnel béninois jusque là fort méfiant face à cette initiative extérieure. C’est à cette condition que Lagunimages pourra devenir un véritable événement national d’importance internationale.

Palmarès de la compétition du documentaire béninois :
Avant de décerner prix et mentions, le jury tient à attirer l’attention sur trois films qui l’ont particulièrement intéressé :
– Parce qu’il soulève des problèmes vitaux ou essentiels et n’hésite pas à rechercher les vraies causes, « Côte en péril » de Jemina Catraye.
– Parce qu’ils resituent la richesse historique du site d’Abomey et mettent en exergue le riche patrimoine yoruba, « Les Palais royaux d’Abomey » de Bonaventure Asogba et « Egungun, les morts ne sont pas morts » de Marc Tchanou.
Pour sa recherche stylistique et parce qu’il met à contribution les différentes ressources du film documentaire, faisant ainsi preuve d’une construction originale au service de son sujet, le jury tient à attribuer une mention spéciale à « Les Tofinnu ou les habitants de l’eau » d’Emmanuel Kolawule.
Deux films, chacun à leur manière, rendent efficacement hommage à la vitalité et la combativité de la femme béninoise. S’attachant au destin particulier de Solange et Cécile, ils nous livrent des témoignages attachants susceptibles d’intéresser un large public. Le jury a tenu a les honorer par un prix spécial ex-aequo. Il s’agit de « Solange, une femme pirogue » de Claude da Silva et Modeste Houngbedji, et de « Maman Cécile, dame des cocoteraies » de Claude Balogun.
Enfin, pour son aboutissement technique, pour la richesse de son écriture tant au niveau de la maîtrise du scénario que de la confiance qu’il fait à la possibilité de s’exprimer aussi par l’image, et parce qu’il fait preuve d’une évidente sensibilité pour son sujet lui permettant de privilégier le lien avec l’environnement sur la transmission des connaissances, le jury attribue son grand prix d’une valeur de 200 000 FCFA à « Le Pays Idaasha » de François Sourou Okioh. ///Article N° : 1662

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