Coup de projecteur sur une maison d’édition togolaise à la vue large : Continents

Entretien de Annie Ferret avec Sébastien Vondoly

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Africultures poursuit sa série consacrée aux maisons d’édition qui œuvrent en lien avec le continent africain, soit parce qu’elles sont directement implantées sur son sol soit parce qu’elles se consacrent à la promotion et à la diffusion de ces littératures. Annie Ferret échange, dans cet épisode, avec Sébastien Vondoly, directeur des éditions Continents, installées à Lomé au Togo depuis 2011.

Africultures : Comment est née la maison Continents ? Quelle est son histoire et quand a-t-elle été créée ?

Sébastien Vondoly (SV) : Les éditions Continents ont été créées le 1er juillet 2011 au Togo ; avec l’ambition et la volonté de contribuer à la promotion de l’industrie du livre au Togo. Cette ambition, nous la tournons également vers le continent africain et le monde entier. D’où le nom au pluriel, qui illustre cette volonté d’étendre nos activités aux cinq continents. L’idée a germé petit à petit, indirectement grâce à Ephrem Seth Dorkenoo, à qui je veux ici rendre hommage. Cet ancien ministre de la Justice avait fondé les éditions de la Rose Bleue. À sa mort, en 2010, j’ai été poussé à reprendre le flambeau. J’étais déjà rédacteur et reporter dans la presse écrite. Voilà comment sont nées les éditions Continents et nous sommes fiers d’y avoir publié les textes de personnalités qui comptent, au Togo comme ailleurs.

Quel était l’objectif de départ ? Y avait-il une ligne précise ? Parlez nous des collections et des choix qui ont été faits.

SV : Au départ, l’objectif était de perpétuer le travail des éditions de la Rose Bleue où j’étais assistant et collaborateur du directeur, et même si j’ai plutôt toujours rêvé d’être poète, j’ai une vraie passion pour l’édition. Aujourd’hui, les collections sont au nombre de dix. Nous couvrons des champs très variés, allant de la jeunesse aux ouvrages religieux ou juridiques et il était essentiel d’avoir des collections spécifiques. Mais on peut dire que la littérature domine, avec des collections dédiées au théâtre (Palabre), à la poésie (Scriptorium) et, la toute dernière née, Filbleu, consacrée aux œuvres dont la créativité retient l’attention de son directeur, à qui revient entièrement le choix des auteurs. On y publie des récits, des romans, des nouvelles et des critiques sur les œuvres d’art et la musique. Scriptorium, quant à elle, est actuellement dirigée par Ernest Koffiga Kavege, qui réside au Gabon, et Filbleu, par l’écrivain et acteur culturel Kangni Alem. D’autres collections verront le jour selon les exigences et trouveront leurs directeurs.

Comment la maison a-t-elle grandi et continue-t-elle à grandir au fil du temps ?

SV : Les éditions Continents ont grandi et continuent de grandir grâce à notre politique de promotion du livre. La maison participe à des rencontres à l’intérieur et à l’extérieur du Togo, qui sont autant d’occasions de contacts et de formation. À ce jour, elle est présente dans plusieurs pays, aussi bien en Afrique que dans le monde. Elle a publié des auteurs de diverses nationalités et des Togolais résidant hors du Togo. Avec plus de 135 publications au catalogue depuis 2013, on peut dire que nous sillonnons le continent au gré de ses festivals, depuis le Festival Efrouba de Grand-Lahou en Côte d’Ivoire, en passant par le Salon International du Livre d’Abidjan (SILA), la Foire Internationale du Livre de Ouagadougou (FILO), le Salon International du Livre de Jeunesse de Conakry ou le Salon National du Livre du Bénin.

Une autre étape a aussi été franchie avec l’adhésion en 2021 à l’Association des Éditeurs Indépendants d’Afrique connue sous le nom Afrilivres. Nous espérons adhérer à d’autres organisations d’éditeurs dans le monde. Pour rendre plus visibles nos productions, nous avons créé un site internet officiellement lancé le 1er juillet 2021 pour notre dixième anniversaire et depuis lequel il est maintenant possible de commander directement les ouvrages. Enfin, dernière « révolution », depuis 2022, nous avons fait le choix d’une impression de bien meilleure qualité en considérant à la fois le grammage du papier et le livre comme objet. Les couvertures sont solides et soignées, les polices et la charte graphique ont été modernisées. C’était un choix difficile et coûteux, mais il est appréciable et prometteur. Oui, on a bien grandi depuis nos débuts ! De plus en plus de nos ouvrages sont mis au programme scolaire et, par ailleurs, les éditions Continents ont vu certains textes récompensés ces dernières années par différentes distinctions. Ainsi, par exemple, pour la poésie, Elle, de Koutchoukalo Tchassim, a reçu le Grand Prix de la littérature togolaise 2020 (catégorie Poésie) remis par le Ministère de la Culture à travers le Fonds d’Aide à la Culture (FAC) et Fraîcheur de résurrection, de l’Ivoirien Lazare Koffi Koffi, paru en 2021, a été sélectionné en 2022 parmi 20 recueils de poèmes pour le Prix francophone international du Festival de Poésie de Montréal.

L’enjeu est  de rendre plus accessibles aux lecteurs à la bourse moyenne ces œuvres éditées hors du continent africain, en les republiant chez nous, à des prix concurrentiels.

Vous avez parlé de la création d’une collection récente, Filbleu. D’où vient l’idée ? Pouvez-vous en dire un mot ?

SV : La création de la collection Filbleu vient répondre à une nécessité d’accueillir et de publier des auteurs de renommée nationale et internationale, à même de faire connaître davantage les éditions Continents.  Le premier titre publié en janvier 2022 était un recueil de nouvelles, Avant que tombe la nuit, de Kossi Komla-Ebri. Ensuite, dans l’ordre, on peut citer Le chien de ta mère (nouvelles), du franco-algérien Pierre Amrouche, Caviar mou (récit), de Sybil Tchédré, Si proche du bonheur (roman), publié à titre posthume. Jeannette Ahonsou étant malheureusement décédée à quelques jours de la parution de son ouvrage, ce qui était une émotion très dure et très vive pour nous, comme on peut imaginer. Des rééditions ont également vu le jour. Il faut citer La gazelle s’agenouille pour pleurer, recueil de nouvelles de Kangni Alem, qui n’était plus disponible, ainsi que La couleur de l’écrivain, une comédie littéraire de Sami Tchak. On peut encore évoquer l’autrice Gad Ami, avec son roman Étrange héritage. En ce début d’année 2023, trois romans et un essai voient le jour et viennent grossir le catalogue. La collection, elle aussi, grandit !

Donc vous reprenez des textes publiés, parfois devenus des classiques, autant que vous faites entendre de nouvelles voix. A quoi répond cette double orientation ?

SV : Effectivement ! Nous avons depuis quelques années, décidé de reprendre certaines œuvres déjà publiées, qui ont connu un grand succès, mais seulement en Occident. L’idée est de refaire vivre ces œuvres pour les nouvelles générations de lecteurs, qui en avaient entendu parler mais sans y avoir accès. Les textes publiés par les maisons d’édition occidentales ont souvent un coût trop élevé dans les librairies. L’enjeu est donc de rendre plus accessibles aux lecteurs à la bourse moyenne ces œuvres éditées hors du continent africain, en les republiant chez nous, à des prix concurrentiels. C’est pourquoi aussi nous maintenons une forme d’équilibre entre ces deux orientations, conviction et intérêt économique. À tel point qu’il n’y a plus de raison pour les lecteurs de dire aujourd’hui que telle œuvre de tel auteur togolais ou africain, publiée en Europe, est trop chère et difficile d’accès. Nous facilitons la disponibilité de ces œuvres également à l’extérieur au gré des occasions qui nous sont offertes. Salons, foires et festivals du livre, partout où notre maison d’édition est invitée, nous tentons de la faire grandir et rayonner.

Quels sont les défis à l’horizon 2023 pour une maison comme Continents sur le continent africain ?

SV : Les défis pour faire grandir les éditions Continents sont nombreux. Nous voulons accroître le nombre d’auteurs primés lors des grands prix littéraires, gagner plus de pays avec notre politique de promotion des œuvres avec un site internet adapté à la vente directe, connaître plus de succès en ayant des auteurs de renom. Nous envisageons de lancer des prix littéraires qui porteront les noms d’auteurs ayant marqué la littérature africaine et togolaise et nous avons également comme projets d’organiser des événements autour du livre, dans les pays où résident les auteurs, avec une première étape cette année en Europe, si tout va bien. Notre souhait à terme est d’être présent aussi sur les grandes manifestations internationales et nous sommes heureux d’être à Genève en mars prochain, parce qu’aujourd’hui, nous sommes bien positionnés dans la chaîne du livre au Togo. La qualité des livres permet petit à petit à la maison d’être sollicitée dans le cadre d’activités culturelles et universitaires et aussi associée à des événements comme la remise du Prix Ivoire pour la Littérature Africaine d’Expression Francophone en Côte d’Ivoire ou encore le Prix Agau de Littérature au Togo.

Finalement, pour permettre aux lecteurs d’Africultures de faire connaissance avec Continents, accepteriez-vous de nous dire en trois mots, quel est l’esprit de la maison ?

SV : Impacter et conquérir des auteurs d’un plus grand nombre de pays dans le monde.

Toujours en trois mots, c’est quoi pour vous être éditeur ?

SV : Consacrer son temps, son énergie, son économie, et enfin sa vie à nourrir l’imaginaire des communautés à travers la production qualitative d’œuvres littéraires ou paralittéraires.

Et, pour finir, trois livres coups de cœur en 2022 ?

SV : La gazelle s’agenouille pour pleurer, de Kangni Alem, Le retour de l’ex, de Moïse Inandjo, et Père inconnu, mère décédée, de Célestin Lella-Kouassi, tous les trois disponibles sur le site de la maison !

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