Dakar :Wa BMG, tout simplement rap

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Nous ne vivons peut-être pas du rap mais nous vivons notre rap « .
Rencontre avec un groupe dakarois sans concession.

En Afrique, le rap sénégalais est sans doute celui qui s’exporte le mieux. Depuis plusieurs années, les deux groupes phares, Positive Black Soul et Daara J, foulent les scènes du monde entier et jouissent d’une notoriété internationale. Mais formatés par les labels occidentaux, ils ne sont que la façade d’un mouvement ou plutôt d’une culture profondément ancrée dans la société et la  » jeunesse  » du pays. En 1997, rien qu’à Dakar, l’association Enda tiers monde, recensait plus de 1500 groupes. Parmi eux, certains jouissent d’une renommée nationale et parviennent, presque chaque année, à sortir une cassette vite soumise à la dure loi du piratage. D’autres rivalisent d’ego trip lors de podiums ou de soirées et, à défaut de succès national, se contentent d’être adulés par leur quartier, leur ville de province ou de banlieue.
A 15 kilomètres de Dakar sur la route de Rufisque, la ville de Thiaroye, rendue tristement célèbre par son camp militaire et son cimetière (1), présente tous les attributs d’une ville de banlieue. Chaque année, l’exode rural y draine une foule de personnes qui viennent s’ajouter à une promiscuité déjà grouillante. Le banditisme et la drogue se confondent avec l’image de la ville. Quant aux forces de police, elles se manifestent le plus souvent lors d’opérations coups de poings  » brillamment  » couvertes par la presse dakaroise.
C’est dans cette réalité qu’est né le groupe de rap Wa BMG (Wa Bokk Menmen Guestu, littéralement :  » tous ensemble pour mieux réfléchir « ). Depuis sept ans, les cinq membres s’acharnent à la décrire. Mais malgré plusieurs tournées en province, pas mal de podiums sur Dakar et de nombreuses sollicitations de producteurs, le groupe a toujours été réticent à commercialiser son flow. En bons commerçants timorés, ceux de la place sont plus facilement séduits par une réalité mielleuse truffée de poétique bien pensante que par un journalisme musical engagé. Refusant toute concession, le Wa BMG n’a jamais pu s’entendre avec aucun d’eux.  » Nous ne pouvons pas changer notre discours pour suivre la volonté des producteurs. Ce n’est pas possible, dit Nigger, un des chanteurs du groupe. On ne veut pas se voiler la face juste pour avoir du succès.  »
La réussite des PBS et des Daara J a fait naître chez bon nombre de rappers des rêves de gloire et de succès. Comme partout, le rap est devenu un marché, un pur bizness. Nombreux sont ceux, issus de quartiers résidentiels, qui se servent de la misère et de la galère comme d’une vitrine suffisamment opaque pour dissimuler leurs ambitions.  » Il y a aujourd’hui au Sénégal beaucoup de rappers qui tuent le rap, lance Easy B, rapper et fondateur du groupe. Ils s’en servent pour chercher l’argent et les femmes. Ces gens parlent de choses auxquelles ils ne croient même pas. Nous avons choisi de nous adresser à ceux qui nous entourent. Qu’ils sachent que nous sommes avec eux. Car quoique tu fasses, le succès t’éloigne du lieu d’où tu viens « . Ne pas être pressé de sortir un album est donc un choix. Une façon de vivre pleinement le rap, de le placer dans un contexte de revendication et de proximité.  » Vous descendez au marché, il n’y a pas de trucage : vous allez voir des jeunes qui vont essayer de vendre des barbituriques ou qui se shootent au guinze, dit Nigger. C’est là depuis longtemps, les gens ne font rien. La police ne fait rien pour enrayer cela.  » Les grands discours sur l’Afrique et sa brillante civilisation anéantie par la barbarie occidentale, d’accord mais pas trop. Et bien que les problèmes soient visibles en sortant de chez soi, le groupe refuse de se lamenter sur le sort de sa banlieue.  » On ne veut pas se laisser enfermer dans un cocon en chantant uniquement contre l’Etat. Même s’il y est pour beaucoup, il n’est pas la source de tous nos problèmes. Les gens, que cela soit à Dakar ou ici, souffrent d’un profond manque de confiance en eux et en leur pays. Notre démarche consiste à montrer qu’il est possible de s’en sortir, que la réalité, si dure soit-elle, peut être affrontée dignement.  »
La maison de Dj Oz, le disque jokey du groupe, située à la limite des quartiers Daroullaye et Messéré dans le centre de Thiaroye, a été aménagé en boite de nuit – le Ten-Bi – et leur sert de fief. Ils y organisent des concerts, des bals et permettent aux jeunes rappers du coin de s’exprimer. Les recettes leur ont permis d’ouvrir une petite épicerie qu’ils gèrent à cinq et qui leur assure un minimum de revenus. Et dans le quartier, tout le monde est au courant de leur action en faveur du centre de réinsertion des jeunes drogués, dont ils sont les parrains officieux.  » Nous ne vivons peut-être pas du rap, dit Easy B, mais nous vivons notre rap.  »
Pourtant, les Wa BMG sont loin d’être la version africaine de ces posses que l’on rencontre en France ou aux States et qui s’affichent couteau entre les dents et grenades dans chaque main.  » Ici, quand tu veux être entendu, il ne sert à rien de brailler ou d’être insultant. Les gens ne le comprennent pas. Une fois, lors de l’un de nos concerts au Ten-Bi, nous avons convié des potes à un free style. Un rapper, venu de Dakar, à hurlé Fuck You ! Il ne s’adressait à personne en particulier. C’était juste pour mettre l’ambiance. Et bien, un spectateur ne l’a pas compris comme cela. A la fin du concert, il est allé casser la figure au chanteur en disant qu’il l’avait personnellement insulté.  » La virulence et l’authenticité de leur discours ne les empêchent pas de conserver cette tradition africaine qui sous-entend respect et politesse et qui, d’une façon générale, empêche le rap au Sénégal de ressembler à celui du Bronx ou de Saint-Denis.

(1) Le 1er décembre 1944, les troupes de l’armée coloniale française ouvrirent le feu sur 1280 tirailleurs regroupés dans les baraquements du camp militaire de Thiaroye. Le bilan officiel fit état de trente-sept morts. Les victimes faisaient partie du premier contingent, d’environ dix mille Africains, rapatriés après la libération de la France. Leur crime fut d’avoir réclamé un peu trop fort leurs indemnités de détention – pour ceux qui avaient été prisonniers des camps de travail en Allemagne – et leur prime de démobilisation. Les corps furent enterrés dans le cimetière militaire à quelques centaines de mètres. Le bilan a toujours été contesté. Des témoins parlent de plus d’une centaine de morts et de plusieurs cadavres placés dans une même tombe.///Article N° : 994

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