Dapo Adeniyi et la revue « Position »

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Pour tout ceux qui s’y sont essayé, créer et gérer sur le long terme une revue culturelle en Afrique demeure à tout point de vue une aventure pour le moins aléatoire. Non seulement le projet, souvent le fruit de la décision de quelques passionnés, est humainement éprouvant, mais il demeure essentiellement hypothéqué par la faiblesse de la distribution. Ajouté à cela l’inévitable récession économique qui a rogné le pouvoir d’achat de la classe moyenne africaine, première clientèle visée par ces types de publication, on comprend vite pourquoi les titres sont rares.
Dapo Adeniyi en sait quelque chose. Il y a de cela quelques années, ce journaliste et critique d’art nigerian eut la folle idée de lancer sur le marché une revue prestigieuse, tant du point de vue de la qualité du design que de celui du contenu. Glendora, revue nigériane des arts et de la littérature séduisit le lectorat branché local, ainsi que la diaspora intellectuelle africaine qui connaissait son existence. Célèbre pour ses suppléments littéraires variés et documentés, Glendora poursuit aujourd’hui encore une double aventure sous sa forme papier et électronique (www.glendora-eculture.com) sous la conduite du nouveau rédacteur en chef Olakunle Tejuoso.
Dapo Adeniyi, quant à lui, vient de lancer sur le marché une nouvelle revue qu’il a simplement dénommé Position, International Arts Review. On notera dans le comité éditorial des signatures prestigieuses comme le Mozambicain Mia Couto, le poète ghanéen Kofi Anyidoho ou Adewale Maja-Pearce, un vétéran de l’aventure  » African Writers Series  » des éditions Heinemann.
Une fois de plus, la surprise et la qualité sont au rendez-vous dans cette revue trimestrielle fondée il y a presque trois ans à Lagos, au Nigeria, qui poursuit l’ambition d’offrir un espace de liberté pour les artistes et les intellectuels africains travaillant dans les domaines de la photographie, du cinéma, de la littérature et des arts visuels, architecture comprise. Les trois volumes déjà publiés attestent de la sensibilité de la revue à une relation étroite entre les arts et le développement, mieux encore à une vision transnationale et démocratique de la production artistique africaine recensée, comme pour bien montrer que celle-ci a définitivement rompu les amarres et pris d’assaut le monde, peu importe les frontières et les pays d’origine des créateurs.
Le premier numéro, consacré à la photographie, présente des travaux rares de plusieurs photographes africains (dont l’excellent Okhai Ojeikere, archiviste d’incroyables tresses et coiffures africaines), ainsi qu’une série réalisée par un photographe européen sur les vallées du Niger. Le second numéro célèbre le blues du Delta du Niger, et propose des essais sur la culture et la poésie, des analyses sociologiques dur l’impact de la question du Delta dans la politique nigériane. On se souviendra que cette question difficile fut à l’origine des combats et de la pendaison en 1995 d’un certain Ken Saro-Wiwa, dramaturge et romancier nigerian ! Le troisième numéro de Position fait un remarquable détour du côté de l’architecture, et notamment de l’art du vitrail dans le cadre de l’architecture cléricale sur le continent. Le quatrième numéro, publié en décembre 2002, questionne l’environnement et plus spécifiquement les espaces verts dans les centres-villes d’Afrique. Que du bonheur !
Si les thématiques stimulent l’imagination du lecteur, les illustrations photographiques en couleur et blanc noir valent aussi le détour. Ainsi dans les deux derniers numéros financés par la Fondation néerlandaise Prince Claus, partenaire convaincu du projet, tombe-t-on sur des photos très rares du prix Nobel de Littérature Wole Soyinka, en crooner des années 50, nœud papillon serré et guitare à la main, en train de seriner des mélopées révolutionnaires qui rappellent sa passion musicale et ses engagements de l’époque dans un environnement intellectuel très marxiste-animiste et diversement inspiré. Comme quoi, seuls le contexte, comme disait Barthes, et le talent (ce que le pape du structuralisme n’ignorait pas, bien sûr !) fait la différence dans l’éternel débat sur l’engagement ou non de l’artiste !
Jusqu’où ira Dapo Adeniyi dans cette nouvelle aventure ? Le soutien de la Fondation Prince Claus est signe de l’utilité et de la qualité de son projet, reste à souhaiter qu’au contraire de Glendora, le trop de confidentialité ne nuise au rayonnement de cette excellente revue qui vaut la peine d’être connue de tous.

Position, International Arts Review
Dapo ADENIYI Editor/Publisher
33, Little Road, Yaba, Lagos (Nigeria)
P.O. Box 604 Yaba
Tél. 234-1-8033052279
Email : [email protected]
www.positionmagazin.com (site en construction)///Article N° : 3272

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