Directrice-adjointe de la programmation et du service éducatif du Museum for African Art, Radiah Harper uvre avec goût et intelligence pour déconstruire l’enfermement simpliste et réducteur de l’Afrique dans une image monolithique et statique. Lucide sur l’ampleur des résistances, cette Africaine-Américaine d’une cinquantaine d’années puise sa force dans une admiration profonde pour les cultures africaines, dont elle veut montrer tout le dynamisme et la modernité.
Comment concevez-vous la programmation culturelle dont vous avez la charge ?
Je cherche à raconter des histoires qui sont chacune autant de passerelles vers l’exposition en cours, que cette programmation vient accompagner. L’idée est de prendre en compte le fait que certaines personnes apprennent en faisant, d’autres en lisant, en écoutant ou en observant. J’essaie de parler à tous ces publics différents, en adoptant à chaque fois un langage adapté.
Comment s’opère le choix des intervenants ?
Je cherche avant tout à donner la parole à des personnes originaires du continent africain ; des historiens, des danseurs, des musiciens, des conteurs… Je veux que ce soit des Africains qui parlent de d’Afrique. En général, pour des raisons budgétaires, je fais intervenir ceux qui résident à New York et dans les environs, ou bien ceux qui y sont de passage. Comme j’essaie de faire en sorte que leur prestation constitue une voie d’accès à l’exposition, je leur demande d’essayer de penser à un lien avec le thème en cours, afin que ce thème trouve un prolongement vivant en eux. Parfois, c’est comme si l’exposition prenait chair : je pense à l’intervention de cet Ivoirien venu présenter des masques, dont il expliquait le rôle au public en dansant. Finalement, c’est comme s’il avait ressuscité les masques en les sortant de leur vitrine.
Avec quelles images de l’Afrique le public arrive-t-il au musée ?
Ici, de manière générale, les gens savent très peu de choses sur l’Afrique. Même les personnes qui se proposent de travailler bénévolement pour le musée – très souvent des Africains-Américains. Les images que le public a en tête – et le vocabulaire associé – correspondent encore très largement à celles développées par Hollywood et par les média : « tribus », « primitifs », « jungle ». Pendant les ateliers et les visites guidées, on cherche à déconstruire le langage des stéréotypes sur l’Afrique, puis à le reconstruire. Au cours de la visite d’une exposition pour des scolaires – dont le musée fait parfois partie du programme d’étude -, on a fait prendre conscience aux enfants que les scarifications sur la peau des gens qui vivent presque nus sont comme des vêtements. Grâce à un questionnaire, où l’on demande aux visiteurs de dire ce qu’ils ont appris, on se rend compte qu’il est possible de faire évoluer sensiblement l’image que le public se fait de l’Afrique.
Est-ce que les Africains-Américains correspondent à un public que vous cherchez – et parvenez – à capter ?
Si l’on souhaite développer un public d’origine sociale et culturelle très variée, il est vrai que l’on fait des efforts tout particulier pour toucher les Africains-Américains, qui ne sont pas toujours très à l’aise avec l’art africain. Les ateliers jouent un rôle très fort. Les Africains-Américains sont émerveillés de découvrir l’existence de concepts et de symboles très subtils et puissants dans les cultures dont sont issus leurs ancêtres. Ils ressortent du musée souvent bouleversés : quelque part, c’est un bout d’eux-mêmes qu’ils découvrent en se sentant connectés à une réalité africaine très élaborée, qu’ils n’imaginaient pas au préalable. Ils en sont fiers. Témoin des liens culturels qui unissent l’Afrique au monde noir-américain, l’exposition sur le cheveux « Hair in African Art and Culture », présentée en 2000, a trouvé un écho tout particulier chez ce public.
Vous avez travaillé dans différents musées. Pour la première fois, il s’agit d’un musée exclusivement dédié à l’Afrique. Quel sens donnez-vous au fait d’exposer des objets d’art africain ?
Je crois en la capacité de l’art à relier les êtres humains, à les aider à entrer dans la culture de l’autre, et aussi en eux-mêmes. Ce musée représente à mes yeux un espace de valorisation de l’héritage africain comme de l’Afrique contemporaine, et sert à montrer la puissance des cultures issues de ce continent. L’essentiel est de ne pas couper l’Afrique de ses acteurs vivants. Parce qu’il faut dire aux Américains que la vie des cultures africaines continue, au-delà des vitrines et des images tragiques véhiculées par la presse ; qu’il existe aujourd’hui sur le continent africain un extraordinaire dynamisme. C’est dans cette optique que je cherche à systématiquement prolonger les expositions par une interaction avec des artistes africains vivants.
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