Démocratie année zéro, de Christophe Cotteret

Le développement d'un contre-pouvoir

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Documentaire belge en sortie le 5 novembre 2014 dans les salles françaises, Démocratie année zéro offre un intéressant recul sur la révolution tunisienne. La liste des projections et salles est à consulter sur www.filmsdesdeuxrives.com/

« Ce n’était plus le peuple qui était sous surveillance, mais le pouvoir » : film sur la révolution tunisienne, Démocratie année zéro se concentre sur les radicaux qui en un mois on fait fuir le dictateur, cette « société civile qui s’est opposée à la société politique toute entière » comme le dit l’écrivain Gilbert Naccache. Se rendant à Redeyef, interrogeant les militants syndicaux qui ont accompagné le mouvement des mineurs dans le bassin minier de Gafsa en janvier 2008, rencontrant les jeunes qui ont fait la révolution de décembre 2010/janvier 2011, Christophe Cotteret et Amira Chebli rappellent dans la première partie intitulée « Résistance » l’histoire de cette révolte, en remontant plus loin que le rôle catalyseur de l’immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid. Les témoignages vont alterner avec les images de téléphones portables partagées sur facebook, tous ces documents produits sur le vif dans l’immédiat et la nécessité, et qui ont mobilisé tout un pays en une accélération de l’Histoire qui a pris tout le monde par surprise.
Le choix des témoignages privilégie la méthode : les ruses (comme de mélanger des activistes à une foule sortant d’un stade à Sousse pour pouvoir filmer une grosse mobilisation populaire), les caravanes de la liberté qui montent sur Tunis, les réseaux sociaux investis par les cyber-activistes. Mais aussi les charnières : ces moments où les choses basculent, où la revendication sociale devient revendication politique et se fait révolutionnaire (conduisant à la fuite de Ben Ali le 14 janiver), où ce n’est plus seulement un dictateur qui doit dégager, mais tout un régime (Kasbah 1 et 2). Car ce film finalisé en 2012, qui analyse plutôt qu’il ne s’enthousiasme, moins fasciné par l’élan de liberté et le dépassement de la peur que la multitude de documentaires tunisiens qui ont fiévreusement filmé le retournement du pays, se donne le recul du temps pour dégager un discours sur la méthode.
Ce recul introduit la deuxième partie, qui prend le nom de « Démocratie ? » et va jusqu’aux élections d’octobre 2011 : la question du pouvoir. Cette révolution sans leaders ne s’est pas cherché une représentation politique : elle a tenté d’instaurer la société civile comme lieu du pouvoir, d’un contre-pouvoir permanent. C’est sur ce laboratoire de la modernité que se concentrent les auteurs : c’est là que se joue pour eux le nœud d’un avenir forcément complexe, lorsque tout reste à réinventer.
On mesure une nouvelle fois le courage qui fut à l’œuvre lorsque sont évoqués les morts dans les manifestations, un courage qui puise dans l’enthousiasme et la joie de pouvoir se redresser face à l’oppression. Et l’émotion est vive lorsqu’on voit parler l’avocat et activiste Chokri Belaïd, qui fut plus tard assassiné le 6 février 2013 devant son domicile. Ses assassins courent encore, tout comme ceux de Mohamed Brahmi, leader du Front populaire qui fut exécuté le 25 juillet 2013.
L’Histoire oublie vite ceux qui ont donné leur vie. Ce sont pourtant eux qui nous accompagnent dans la recherche d’un monde meilleur. Ces militants se sont battus contre une conception de la politique comme porteuse de vérité, voire de fidélité à la parole révélée. Si ce film porte le titre de Démocratie année zéro, c’est bien qu’il perçoit la révolution tunisienne comme un nouveau départ, celui de la construction politique d’une communauté où parler et participer échappe à la soumission à la vérité d’un autre. C’est dans ces débats que cette communauté construit son unité. Les récents événements, de l’adoption d’une Constitution ouverte à la défaite du parti islamiste aux élections législatives d’octobre 2014, confirment que le sang n’aura pas coulé pour rien. En nous faisant vivre l’intensité du possible qui ouvre à tous les autres possibles, ce film nous aide à éviter la répétition tout en pensant le changement comme une méthode pour retrouver nos pouvoirs.

///Article N° : 12510

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