Auteur de pièces de théâtre, de nouvelles et de poésie, le Malgache David Jaomanoro fut un des quarante écrivains invités au Salon du Livre de Paris, avec Pirogue sur le vide, un recueil de douze nouvelles. Ces brèves et tranchantes histoires donnent la parole à des Malgaches ou des Mahorais en des phrases émaillées de proverbes, d’expressions comoriennes. La misère, les conflits, la dureté de cur poussent tous les personnages à vivre des situations extrêmes : une mère refuse de livrer le corps de son enfant aux chiens, la fillette malgache voit son père se noyer au cours d’une traversée clandestine vers Mayotte, les petites musulmanes sont livrées aux désirs des vieux. Aucune évocation idyllique des paysages des côtes malgaches ou mahoraises Jaomanoro n’est pas un romancier réaliste, encore moins exotique. Il cherche avant tout à montrer des personnages violents que les conditions de vie extrêmes ont complètement déshumanisés. Mais le tragique n’engendre ni discours moralisateur ni lamentations. L’auteur n’insère aucun commentaire à ces récits incisifs manifestant la vitalité, la combativité des personnages. Le lecteur est ballotté dans ces aventures extrêmes où les retours en arrière brisent l’ordre classique et la langue normalisée ; il doit s’efforcer de suivre les méandres de ces itinéraires complexes et douloureux exprimés dans les monologues. Ici, la pirogue ne mène qu’au vide, les mythes volent en éclats pour faire éclore une écriture libre de traverser mers, cultures et langages. Là est le vrai et seul voyage donné en cadeau à nous, lecteurs francophones comblés.
D.R.
Construit sur le même principe que Dernières nouvelles de la Françafrique, paru en 2003 chez le même éditeur, Dernières nouvelles du colonialisme rassemble quatre des écrivains de la première équipe. Tous issus des anciennes colonies françaises (y compris la Martinique et la Guadeloupe), les vingt auteurs y répondent, par les voies de la fiction, à la loi de février 2005 sur les « aspects positifs de la colonisation ». Forçant le trait, chaque texte tente de trouver une technique originale pour dénoncer les forfaits passés ou les lourds héritages qui pèsent sur les mémoires et les pratiques politiques contemporaines. Les témoignages amers du Rwandais Benjamin Sehene, du Burkinabé Traoré ou du Togolais Théo Ananissoh, les paraboles du Tchadien Koulsy Lamko ou du Guadeloupéen Ernest Pépin, l’ironie du Congolais Alain Mabanckou ou du Togolais Tchak, construisent des personnages loufoques ou terriblement vraisemblables qui rappellent la domination sous toutes ses formes ainsi que le déni de mémoire. On remarquera particulièrement la poésie du titre de la Haïtienne Marie-Célie Agnant, « Je suis de ce pays où l’herbe ne pousse plus
» (103), la tonicité de Mabanckou et de Tchak qui, tous deux, choisissent le monologue et les longues phrases aux nombreuses incises, l’un pour paraître exalter la colonisation (« y a que du positif je vous dis ! »), l’autre sous la forme d’un hommage à son père qui admire un solide pont construit au Togo par les Allemands : « Revenons à mon père, et il a dit, Après les Arabes ce sont les Allemands qui nous auraient apporté le reste, ce qui fait un pays et le bonheur de chacun ». Cette écriture collective et diverse apporte une réponse littéraire à la pression ambiante perçue comme « Oublions tout cela, intégrons-nous dans ce siècle, mondialisons-nous » et face à laquelle il ne faut pas laisser la France « légiférer sur la profondeur de l’histoire » mais construire « un seul grand livre où s’emmêlaient plaintes, pétitions, récits, contes, poèmes, chansons, devinettes » déposé « au pied de l’arbre de la colonisation ». C’est donc l’entremêlement des genres et la diversité des styles qui assurent son originalité à ce livre qui ne révèle rien que du connu et n’analyse aucune situation du point de vue historique, préférant les bribes de mémoires vives aux approches distanciées.
D.R.
Amédée-Jonas Dieusérail, alias Dieu. Avec un nom pareil, le personnage ne peut laisser indifférent. Celui de Les nègres n’iront jamais au paradis affiche un curieux parcours. Tour à tour coopérant, missionnaire, homme d’affaires et éditeur, Dieusérail incarne à lui tout seul toute une panoplie de personnages blancs en quête d’Afrique. Il n’y manque guère que l’ethnologue et le touriste ! Pour conter son histoire, l’auteur choisit une multiplicité de voix, mêlant la transmission par l’écrit (le manuscrit des mémoires de Dieusérail que la narratrice découvre par hasard) à l’oral (l’histoire relatée par Iris, vendeuse sur le marché). La narratrice découvre un homme aux multiples facettes, tantôt calculateur opportuniste, tantôt loque rongée par la culpabilité. Pour l’auteur, c’est l’occasion d’explorer les rapports entre Europe et Afrique sous plusieurs angles, avec un regard percutant de lucidité.
T.T.
Bridge Road, un nom de rue d’une petite ville d’Amérique. Pourtant, le récit débute sur les quais du métro parisien. Il pleut, on enterre Javier, Alan a disparu, Felisberto est mort, Élodie est perdue. Le lecteur entre dans le récit comme dans un labyrinthe dont il ne devinera la forme qu’à la fin du roman. Une histoire en appelle une autre, les voix se font écho. Dans une écriture tout en économie de mots, rappelant le cinéma, rythmée par ces voix qui sont autant d’empreintes, l’auteur fait naviguer le lecteur entre Europe et Amériques, dans un climat de violence raciste extrême. Déjà auteur de deux recueils de nouvelles publiés aux éditions L’Harmattan, L’Histoire du fauteuil qui s’amouracha d’une âme (1997) et L’Errance de Sidiki Bâ (1999), Mamadou Mahmoud N’Dongo signe avec Bridge Road un premier roman remarquable.
T.T.
« Jean-François Éric L’Hermitte, profession gigolo. Mes amis et mes maîtresses m’appellent Rico. » Les présentations sont faites. Entre le moment de mi-sommeil qui précède le réveil et l’heure de poser un pied hors du lit, le héros de L’Heure hybride nous raconte son enfance sous les ailes protectrices de sa maman, son initiation au métier de gigolo chez les puissants de Port-au-Prince, son quotidien de séducteur professionnel. Mais une rencontre viendra bouleverser toutes ses certitudes
À travers le portrait de Rico, c’est celui de tout un pan de la société haïtienne que Kettly Mars nous peint, dans une ambiance imbibée d’alcool et teintée de solitude. Une écriture sans concession.
T.T.
Et si l’histoire avait tourné autrement ? Dans le dernier roman d’Abdourahman Waberi, ce sont les États-Unis d’Afrique qui dominent le monde, jetant un regard dédaigneux sur la Caucasie en feu et en sang, sur ces Blancs barbares et primitifs qui s’entre-tuent pour des questions d’identité. Et quand ils ne sont pas occupés à se faire la guerre, les voilà qui viennent s’échouer sur les plages de Djerba ou d’Alger ! Pour Malaïka-Maya, jeune Blanche adoptée par un couple africain soucieux de la sauver de la misère, l’Afrique a toujours été « le centre ». Mais l’envie de découvrir ses origines la ronge et la pousse à entreprendre son « voyage au cur des ténèbres », dans ces contrées lointaines minées par la pauvreté et la guerre. Le lecteur se laisse prendre au jeu de miroir, d’autant que l’auteur l’y encourage à force de clins d’il sur les fast-foods MacDiop et les cafés Sarr Mbock. Mais si les parallélismes peuvent faire sourire par moments, ils finissent par lasser. La trajectoire de l’héroïne ne parvient pas à porter le roman au-delà du simple jeu d’inversion. On en sort en étant resté sur sa faim : ainsi va le monde ou plutôt : ainsi aurait-il pu aller et alors ? À moins que le but de l’auteur ne soit justement celui-là : affirmer que la domination, qu’elle soit exercée par les États-Unis d’Afrique ou d’Amérique, ne s’embarrasse jamais des notions d’humanité ou de justice.
T.T.
Le photographe propose « l’écriture d’un exil où il est question de l’identité du migrant, une problématique au cur de nos sociétés contemporaines ». Un livre sur les Comoriens de Marseille, fait d’images « va-et-vient » prises entre la France et les Comores. Un livre qui s’affranchit du récit global autour d’une communauté devenue « discrète » à force de raser les murs.
« La réalisation de ce travail me conduit vers une autre lecture de ma ville, dans laquelle je deviens étranger, où ma pratique urbaine s’apparente à un voyage, aussi déroutant qu’un séjour au long cours dans l’Archipel des Comores », dit-il. Un voyage qui commence dès la première prise de vue au sein de cette communauté qui l’aide à « mieux cerner » sa réalité, qui lui dépoussière « les neurones ». Participer à un madjliss ou se rendre à un muw’mbizo à quelques pâtés de maisons de chez lui bouscule ainsi ses repères au quotidien et l’amène à découvrir « une autre ville » dans [sa]ville.
Filles de lunes, qui reprend à son avantage la légende lunaire des marins arabes ayant baptisé les Comores, ne prétend cependant pas à l’analyse. « Il était surtout question de rendre compte d’une expérience personnelle », avance Grimaud. Pour rendre compte d’une image mouvante, qui va, fluctuante, de page en page, et qui gomme « l’aspect sociologique », insistant « sur l’universalité du sentiment d’exode ». Une image faite de territoires qui s’effacent, de repères qui s’estompent. Comme une volonté chez Grimaud d’inscrire (davantage) son sujet dans l’errance du monde.
S.E.
///Article N° : 4507