Dessinateur de presse au Bénin, une maturation encore fragile

Print Friendly, PDF & Email

La caricature et le dessin de presse sont, au Bénin, des genres récents. S’ils ont été relativement absents des organes de presse avant 1990, ils ont progressivement intégré les habitudes des journaux grâce à l’ouverture démocratique et à la garantie, par la Constitution du pays, de la pluralité des opinions. Mais à l’instar de la production journalistique des autres pays africains francophones, la caricature a subi la courbe de la vie politique et sociale, si elle n’en est pas finalement une photocopie dessinée.

Près de vingt-cinq ans après l’entrée en scène des premiers caricaturistes, le genre s’est imposé, fonctionnant comme une véritable expression journalistique avec son code et ses règles. Si l’école française semble, pour beaucoup, la référence avec des clins d’œil à Cabu et à Plantu, une expérience locale se mène avec de jeunes dessinateurs qui ont su créer leurs propres styles. Dessin réaliste, crayonné humoristique, graphisme impertinent, humour noir, tous les registres sont utilisés, avec, en arrière-plan, des références socioculturelles relatives au milieu.
Les années de fer
De 1972 à 1990, le Dahomey, puis le Bénin a vécu sous un régime à la soviétique, le « centralisme démocratique et la ligne de masse ». À l’époque, il n’y avait qu’un seul quotidien d’informations générales, Ehuzu (Révolution en langue fon) dont le sous-titre, « organe du militantisme révolutionnaire », renseignait suffisamment sur l’objectif qui était assigné aux journalistes qui l’animaient. En effet, Ehuzu constituait, avec La Voix de la Révolution (Radio) et la Télévision d’Etat, les canaux de diffusion de la propagande marxiste-léniniste. Le moindre reportage, la moindre chronique, la moindre image était consacrée aux actions du parti-Etat, le PRPB et à son chef, le Grand Camarade de Lutte, Mathieu Kérékou. Dans les rédactions, il n’y avait pas de dessinateurs qui pouvaient se risquer à des caricatures. Ce métier, était, au surplus inconnu. Seuls, les photographes (deux ou trois) étaient associés à la publication des articles de presse, puisque c’étaient eux les seuls garants des images qu’ils ramenaient lors des sorties officielles avec les responsables politiques.
Mais dans cette atmosphère où l’information était verrouillée, il y avait de temps en temps de courtes formes, de petits articles (billets, humeur) qui osaient des critiques fines et subtiles sur les hommes politiques. En fait – on le saura plus tard – c’était un jeune ministre de l’époque, Houdou Ali, titulaire du portefeuille de la Communication et de l’Information qui signait, au nom de la Rédaction, ses billets dans le journal Ehuzu. Il osa même publier à découvert un article qui fit scandale, l’accompagnant de la caricature du singe aveugle, sourd et muet. Il s’agissait d’une critique assez audacieuse des apparatchiks du pouvoir à qui il reprochait d’être imperméables à toutes réformes, préférant jouer au pourrissement et à la captation des rentes issues de l’exercice du pouvoir. On était déjà dans les années quatre-vingt. Les illusions sur la « société où il fera bon vivre pour chacun et pour tous » selon la formule consacrée, s’étaient envolées et les incantations, les slogans qui alimentaient la foi du révolutionnaire avaient progressivement fait place aux réalités amères. Le socialisme scientifique et le marxisme-léninisme censés apporter le bonheur étaient alors taxés, en secret, « d’éléphants gris » – par analogie à éminence grise -, responsables pour beaucoup de la paupérisation aggravée du peuple. C’est dans ce contexte qu’est né La Flamme, le journal du Parti Communiste du Dahomey.
Ce parti clandestin qui se considérait comme une branche dissidente des marxistes léninistes au pouvoir, revendiquait une assise populaire sur l’ensemble du territoire national. Pour combattre leurs adversaires, il publiait, sous la forme de copie ronéotypée, ce périodique qui avait une diffusion large, malgré l’anathème dont il faisait l’objet de la part de la police politique. Certes, le succès de cette publication était en partie lié à l’opiniâtreté de ses animateurs, mais aussi à son ton largement caricatural.
En fait, Les articles de La Flamme tournaient en dérision, par de petits dessins amateurs, le comportement des responsables au sommet, en insistant sur leurs tares supposées. Le dessin qui fut particulièrement retentissant mettait en scène une ministre de la Santé, coupable, aux yeux de la rédaction d’un « rapt » opéré sur les étals des vendeuses du marché Dantopka de Cotonou. En réalité, dans la tradition, quand une autorité rend visite à des humbles, ceux-ci n’hésitent pas, en dépit de leur pauvreté, à lui offrir des cadeaux. Or, c’était la première fois qu’une femme était nommée ministre et c’était également la première fois qu’une autorité de ce rang se rendait dans ce marché. En plus, cet endroit est considéré comme l’univers des femmes, le haut lieu du commerce des Nana Benz (les grandes négociantes du pagne dont la Mercedes Benz symbolise la réussite). Il était normal que, de façon spontanée, ces marchandes témoignent leur reconnaissance à la ministre par des largesses.
Le dessin montre la 404 bâchée de la ministre débordant de victuailles que les bonnes femmes, en file, déposent dans l’arrière de la voiture sous les baïonnettes d’une escouade de militaires. Une légende explique. « Visite de la Ministre de la santé à Dantokpa : un braquage programmé ». Et le commentaire qui suit, en langue fon, exhorte la ministre à restituer les vivres « volés ».
Car, le déplacement de la ministre se faisait à un moment où l’Etat était dans une situation de « déliquescence avancée ». Si la perception du SIDA (Salaire Insuffisant et Difficilement Acquis, dixit La Flamme) par les fonctionnaires était devenue hypothétique, la banqueroute, elle, menaçait. Occupé à éteindre la grogne des syndicats et les contestations de plus en plus virulentes des mouvements estudiantins, le gouvernement devenait moins chatouilleux sur la volonté de certains promoteurs d’organe de presse de créer des journaux. D’autant que la loi 60-10, du 22 juillet 1970 sur la liberté de presse offrait à tout citoyen qui le souhaite la possibilité de créer son périodique sans autorisation du ministère de l’Information. Ismaël Soumanou en 1988 et Denis Hodonou, quelques mois après, exploiteront cette disposition pour créer l’un, La Gazette du Golf, l’autre, Tam-Tam Express.
Le dégel propice aux nouveaux talents
Les promoteurs de ces deux bimensuels ne sont pas des journalistes, mais ils se sont entourés de professionnels du métier, des journalistes qui se sentaient à l’étroit dans leurs rédactions (Ehuzu, Agence Bénin Presse et La Voix de la Révolution) pour offrir au public des informations d’une autre tonalité. De fait, quelques dessinateurs étaient associés à cette aventure.
Au début, les dessins n’apparaissaient que dans les pages « détente » des journaux, dans la rubrique « les 10 erreurs de… » invitant le lecteur à dénicher dix erreurs sur deux dessins présentés comme identiques. Si, dans les premières publications, ces illustrations n’avaient pas de rapport avec le contenu des articles, elles ont progressivement intégré l’actualité. C’est alors que, à l’instigation des rédactions ou de leurs propres initiatives, ces caricaturistes proposaient leurs œuvres pour illustrer des articles de fond. Des articles qui portaient en général sur les faits socioculturels, les sujets politiques étant traités encore avec beaucoup de circonspection si ce n’est avec de la crainte.
Les dessinateurs venaient pour la plupart d’un atelier informel de bande dessinée dirigé par un Français, José Marquez, professeur de sport à l’école française. Parmi eux, deux jeunes Béninois, Sonon Hector et Francis Tchiapkè dit Tchif.
D’emblée, ces jeunes dessinateurs, tous nés en soixante ou soixante-dix, ont investi La Gazette du Golf et Tam-Tam Express sous l’œil avisé de leur mentor, José Marquez.
Ce qui inspirait le plus le crayon de ces caricaturistes, c’étaient les faits divers : vols de mouton, crimes passionnels, bagarres collectives dans les quartiers populaires, délinquance sexuelle. La brigade des mœurs, les commissariats de police où les journalistes allaient enquêter, bruissaient de toutes sortes d’histoires susceptibles d’intéresser le lectorat. Les appareils photos n’étant pas autorisés dans ces établissements, il revenait alors au dessinateur de représenter certaines scènes des sujets traités. Hector Sonon utilisait alors à fond la caricature. « C’était excitant, reconnaît-il aujourd’hui, on voulait montrer que la caricature pouvait être aussi expressive qu’une enquête ou un reportage, fallait qu’on impose le dessin comme un genre à part entière » (1)
L’explosion du dessin de presse et de la caricature
En février 1990, se tenaient à Cotonou des assises politiques regroupant les forces vives de la Nation. Les décisions issues de cette conférence qui refondait tout le système politique en imposant de nouvelles instances à la tête du pays, allaient promouvoir un régime démocratique assorti du multipartisme intégral. La nouvelle constitution votée la même année en traçait les contours en même temps qu’elle en garantissait l’application. Les Béninois, longtemps sevrés d’informations et tournant résolument dos aux organes de l’Etat, se passionnèrent pour une presse plurielle avec pas moins d’une dizaine de titres.
Dans cette foire à journaux dont les périodicités étaient plus ou moins incertaines (2), se détachait Le Canard du Golfe, un bimensuel dit « humoristique ». Le directeur de publication, Louis Firmin Tigbo, un professeur de lettres reconverti en pâtissier, ambitionnait de faire de ce titre une réplique locale du Canard Enchaîné français. De fait, il fit appel à José Marquez et à un graphiste, dessinateur à ses heures, André Hêpkazo.
À part le numéro zéro, toutes les publications qui suivirent, présentaient à chaque fois en vitrine une caricature sur les hommes politiques. Les dessins de José Marquez faisaient souvent la « une ». Le Français avait un style de la ligne claire proche de Cabu, avec des personnages volontairement infantilisés. Ce qui provoque le rire, ce ne sont pas tant les dessins eux-mêmes, mais les situations dans lesquelles se retrouvent les personnages et les répliques absurdes qu’ils échangent. Car le dessinateur, pour avoir vécu près d’une dizaine d’années dans le pays, avait une connaissance pointue de la situation politique interne. D’ailleurs, il signait ses œuvres d’un surnom fort connoté en langue fon « Foundjihèdjè » (c’est tombé sur les poils). Un de ses chefs-d’œuvre est la série Les Animaux politiques qui représente des hommes d’Etat béninois issus du bestiaire forestier, à travers trois étapes de leurs transmutations. Un pastiche fort décalé de la théorie darwiniste.
L’autre dessinateur du journal, André Hekpazo, avait un style moins flamboyant, mais tout aussi efficace. Ses crayonnés sont souvent chargés, les lignes sont démultipliées et les personnages, plutôt raides, campent la posture de marionnettes. De temps en temps, il faisait publier un quart de planche de bande dessinée sur des sujets politiques.
L’audience du Canard du Golfe était indéniable. Même si la périodicité n’était pas respectée, ses parutions suscitaient toujours l’enthousiasme du public. En avril 1990, je rejoignais la rédaction en même temps que Hector Sonon devenu, entre-temps, dessinateur free lance. Hector Sonon va désormais faire presque toutes les « unes » du Canard du Golfe.
Ses dessins sont de deux ordres : réalistes, ils illustrent des articles au ton sérieux, extraits de rapport ou chroniques envoyées par des tiers ; humoristiques, ils s’adaptent à toutes sortes de rubriques. Ce style, tout en rondeurs, est indissociable de sa manière de faire la bande dessinée, dans la tradition de la ligne claire. Si les dessins, dans leurs premiers jets, venaient à manquer de justesse, les recommandations de la rédaction permettaient souvent de les corriger ou de les affiner.
L’expérience de ce journal est de loin la plus enrichissante en matière de caricature au Bénin. En même temps qu’il promouvait le dessin de presse dans toutes ses variétés, il offrait aux jeunes caricaturistes autodidactes ou formés sur le tas, la possibilité de se faire publier. Sur douze pages du bihebdomadaire, il y avait toujours une trentaine de dessins provenant, pour quatre-vingt-dix pour cent, de caricaturistes locaux, et pour dix pour cent, de journaux étrangers.
Des brèves aux articles de fond, chaque rubrique avait son crayonné. La caricaturede la « une » renvoyait souvent, soit à un article de réflexion à l’intérieur, soit juste à un petit commentaire (« Si la une m’était contée »).
A chaque rédaction, son caricaturiste
De 1990 à nos jours, Le Canard du Golfe a connu plusieurs vies, mais aussi plusieurs caricaturistes. Autant le journal perdait ses principaux animateurs lorsqu’il interrompait ses publications, autant il arrivait, quand il reprenait du service, à s’attacher la prestation de nouveaux dessinateurs. Des dessinateurs autodidactes ou sortis des ateliers d’art du pays.
Vers la fin des années quatre-vingt-dix, le paysage de la presse est devenu plus exigeant et nettement plus concurrentiel. Si, au début du Renouveau démocratique, on ne comptait qu’un seul quotidien pour une dizaine d’hebdomadaires, de bihebdomadaires et de mensuels, dans les années quatre-vingt-dix, les quotidiens étaient devenus légion. De fait, chaque rédaction s’est attelée pour disposer d’un dessinateur maison. Une nouvelle donne qui a d’ailleurs inspiré à l’ORTB, la télévision nationale, une revue de presse baptisée « Carica ». Elle mettait en relief les coups de crayons les plus réussis de la semaine dans une sorte de mise en scène des situations politiques et sociales caricaturées.
C’est alors que de nouveaux talents se sont fait jour. Parmi eux, Evariste Foly avec Le Matin, Lenfan Claudio avec Fraternité, Constant Tonapka avec Le Matinal. De temps en temps, Bernard Zinsou, un jeune illustrateur de livre pour enfant, faisait admirer son talent dans ce qui reste du Canard du Golfe. À côté, il y a aussi des free lance comme Hervé Alladayè, Joseph Akligo et tant d’autres.
Les styles sont différents d’un caricaturiste à l’autre. Chez Evariste Foly, c’est dans le jeu des proportions physiques que s’apprécient les dessins. Si le visage des personnages est réaliste, le corps et les membres sont trois, voire, quatre fois plus petits. Mais la faiblesse de ce dessinateur, c’est le manque de vie de ses personnages, leur expression figée, en total décalage du contenu des légendes.
Lenfan Claudio, lui, utilise de petits dessins en une ou deux cases. Il met en scène les petites gens dont les réflexions mettent à nu les travers des hommes politiques. Les dessins sont épurés et minimalistes allant parfois jusqu’à la stylisation. Seuls comptent les situations et les mots prêtés aux personnages. Les caricatures de Lenfan Claudio font généralement mouche.
Quant à Bernard Zinsou, il a développé un style tout particulier. Les personnages dont il exagère les traits en les poussant jusqu’à l’absurde, sont tassés, mais tout en ovale. Sa réussite tient à la fois aux postures qu’il fait prendre aux sujets caricaturés, mais également à leur ressemblance aux hommes politiques. Le talent de cet artiste est fort malheureusement inexploité.
Enfin, il convient de saluer le travail de Constant Tonapka du Matinal distingué en 2007 par le Prix Reporters sans frontière. Sur le thème de l’immigration clandestine, il a présenté un dessin fort expressif sur le drame de la traversée de la mer des jeunes africains désireux de se rendre en Europe. Après le naufrage de la pirogue qui transportait les clandestins, seule est restée une chaussure flottant à la surface de l’eau.
Des interrogations
Le dessin de presse et la caricature sont des genres journalistiques devenus classiques dans la presse béninoise. Confinés à leurs débuts dans les pages détente, ils ont pris, petit à petit, de l’envergure. Mais, à part les journaux satiriques qui l’utilisent souvent à la « une », aucun quotidien ne les projette à la vitrine de leur parution.
Aussi a-t-on l’impression que ces dessinateurs ne jouissent pas des mêmes statuts que les journalistes classiques. A preuve, les premiers dessinateurs, Tchif, Hector Sonon et Hervé Alladayè par exemple, ont quitté la profession pour s’orienter vers d’autres expressions artistiques nettement plus rémunératrices. Même si la convention collective reconnaît le métier de caricaturiste comme une composante du journalisme, il est malheureusement observable que ces dessinateurs sont moins lotis. C’est pourquoi, une association a vu le jour qui fédère les gens du métier. Ils ont même créé en juin 2006 un journal satirique, Le Caméléon, un hebdomadaire à la Charlie Hebdo. Hélas, comme tous les journaux du même genre, il n’a connu que six numéros.

1. Interview accordée au rédacteur de l’article.
2. À l’époque, la régularité des journaux était sujette aux recettes générées par les ventes.
///Article N° : 9058

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire