« Welcome to the new consciousness
of derearranged senses
we utilise everyone »
Leseko Rampolokeng, 1996.
En janvier 1998, au tout début d’Africultures, nous avions voulu rendre compte du renouveau sud-africain dans un dossier intitulé « Afriques du Sud méconnues ». Nous écoutions les écrivains sud-africains blancs et noirs se rencontrer pour la première fois et regardions éberlués ce pays sortir de l’apartheid comme nous avions regardé les Allemands de l’Est passer le mur de Berlin enfin ouvert : avec une émotion mêlant mémoire des souffrances accumulées et fascination pour la maturité avec laquelle l’Afrique du Sud tentait la réconciliation.
Ce nouveau dossier vient faire le point. Merci à l’Institut Français d’Afrique du Sud et au Fond d’Action Culturelle du ministère français des Affaires étrangères pour leur soutien, ainsi qu’à notre correspondante à Johannesburg Sabine Cessou pour son travail aussi bien titanesque que délicat : faire sentir en une soixantaine de pages l’état des expressions culturelles d’un aussi grand pays.
Pessimiste, ce dossier ? Non, réaliste, conscient des contradictions et des difficultés. L’amertume qui transparaît parfois ne fait que refléter la terrible nécessité du temps : quand rien n’est simple, rien ne se fait en un jour. Du coup, les artistes retrouvent leur fonction universelle : rendre compte à leur manière du réel pour contribuer à le repenser autrement. Sans fard, en allant au plus profond de l’homme car c’est de lui qu’on parle. Pour arriver, comme le suggérait Hegel, à en finir avec la condition servile pour naître comme le sujet d’un monde.
Car c’est bien là que se joue le conflit et c’est là que l’Afrique du Sud nous passionne. Esclavage, colonisation, apartheid : les trois termes de l’histoire moderne obsèdent notre devenir à tous. Et ce pays vit et symbolise dans sa chair l’enjeu essentiel de l’histoire de l’homme : sa capacité à considérer son prochain comme un alter ego, un semblable. L’apartheid faisait de l’Autre un étranger. La « nouvelle » Afrique du Sud pourra-t-elle opérer ce travail sur soi aussi incroyablement difficile qu’inéluctable pour empêcher l’histoire de bégayer ?
Bien sûr, des voix s’élèvent pour « ré-enchanter la tradition », et cherchent dans le repli dans des communautarismes exacerbés de quoi se reconstruire. Ce n’est dès lors plus un statut d’alter ego qui est revendiqué mais une différence à préserver à tout prix, basée sur ce qu’on aurait d’authentiquement unique, inaccessible à l’Autre. On tombe facilement dans le piège et il est tendu à toute la planète. On exclura alors les étrangers du droit de jouir de son chez soi, de son territoire, son origine, son appartenance.
Mais il se trouve aussi des artistes pour combattre les rigidités, pour une renaissance qui soit ce que Michel Foucault appelait des « jeux de vérité » : des pratiques, tout simplement, au-delà du sang, de la race ou de la géographie, où se jouent un autre pouvoir et un autre soi, où chacun peut jouer un rôle car, comme le propose Leseko Rampolekeng, on utilise tout le monde en dé-réarrangeant les sens !
///Article N° : 1865