entretien de Samy Nja Kwa avec Pape et Cheikh, artistes sénégalais

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Vous êtes originaires du Sénégal, plus particulièrement de la région de Kaolack, qu’est-ce que cette région représente pour vous ?
Pape : Kaolack, c’est d’abord l’endroit où nous avons grandis, c’est pratiquement là où nous avons débuté dans la musique, c’est aussi le carrefour du Sénégal. C’est par cet endroit que tout le monde passe pour aller dans n’importe quelle autre région du Sénégal.
Cheikh : En résumé, Kaolack est un repère, nous y avons plein de souvenirs et toute la musique que nous faisons vient de cette ville. C’est un enchaînement d’images, de circonstances, c’est un creuset culturel où se retrouvent toutes les ethnies du Sénégal. Nous avons bénéficié de cette richesse culturelle que nous exploitons dans notre musique. Nous reprenons des chansons Serer, mandingues, wolofs… ce sont des souvenirs d’enfants que nous conservons.
Votre musique, comme vous le soulignez, est le résultat de ce brassage culturel, elle est aussi ouverte vers le monde
Cheikh : Non seulement nous avons hérité de cette tradition pluriethnique, nous avons aussi écouté d’autres musiques, maliennes, camerounaises, ivoiriennes, européennes, Bob Dylan, Francis Cabrel…notre background est très riche. Pour nous, la musique est un support qui doit nous permettre de véhiculer nos messages, que l’on veut universels. A partir de ces éléments, nous faisons une musique qui nous ressemble, enracinée en nous, la musique sénégalaise, et ouverte au monde, à travers les harmonies. Par ce mélange, nous nous exprimons tout en restant ce que nous sommes. C’est ce message que traduit Mariama.
Vous parlez justement de messages, lorsqu’on écoute Mariama, votre album, chaque chanson a été conçue comme un conte
Cheikh : En Afrique, le conte était utilisé comme un élément éducatif. A travers le conte ou la légende, il y a toujours une leçon qu’on peut tirer. Par le biais du conte, on peut expliquer une histoire, une situation antérieure qui permet de tirer une leçon. Le conte sert aussi à différencier le bien du mal. L’essentiel de nos chansons relate des contes ou de légendes, qui font partie du patrimoine africain. Nous avons essayé de donner une forme artistique à ces contes, en les façonnant à notre manière tout en les ouvrant au monde extérieur.
A juste titre, vous êtes à la fois des messagers et des gardiens de nos cultures, les jeunes sont-ils conscients de l’importance de nos traditions ?
Cheikh : Au Sénégal, ils vivent ces traditions. En Afrique, c’est leur vécu, leur quotidien. Certains messages ne leurs sont pas uniquement destinés. En Europe par contre, certains enfants ont perdu leur culture, mais certains ont encore cette éducation africaine. Il y a des textes dans notre album, qui peuvent aider ces enfants dans un sens positif, sans toutefois les enfermer dans l’Afrique traditionnelle. Nous vivons la mondialisation en Afrique, il y a une tendance à uniformiser la culture et nous ne pouvons pas y échapper. Il faut essayer d’être soi-même.
Lorsque Youssou Ndour dit que l’Afrique écrira les standards de demain, vous êtes d’accord avec cette idée ?
Pape : C’est tout à fait vrai. Il sait de quoi il parle, il est là depuis 20 ans. Nous sommes ses élèves. Nous avons signé avec lui, c’est la première fois que nous venons en France pour faire la promo de notre album, nous sommes là pour apprendre. Nous sommes passé par la Grande-Bretagne, l’Ecosse, l’Allemagne et nous avons ressenti beaucoup de choses. Le public aime notre musique. Nous parlons le mandingue, le wolof, le Serer, les gens ne comprennent pas, mais au delà de cela ils dansent, nous avons beaucoup de choses à dire et si nous parvenons à faire passer le message, c’est gagné.
Vous parliez tantôt d’ouverture dans la musique, dans votre album, il y a des artistes européens qui ont collaboré, comment les avez-vous rencontrés puis travaillé ?
Nous avons dans un premier temps collaboré avec un musicien canadien, Mag Falows, il travaille avec Jololi au Sénégal, il nous a amené à nous ouvrir davantage, il a amené une autre couleur. Nous avons travaillé avec Ed Finleys, il a fait les mixages, nous avons travaillé avec des musiciens anglo-saxons et Sénégalais, ceus de Baaba Mal, de Youssou Ndour, de Ismaël Lô. Le travail fut long, nous avons fait notre première cassette en août 99, l’autre en mai 2002, puis nous avons fait écouté nos enregistrements aux musiciens. L’essentiel des enregistrements ont été faits à Dakar, sauf trois titres, qui ont été faits en Grande-Bretagne.
Vous avez été patients
Cheikh : Pour faire un bon produit, il faut être patient. Si vous voulez faire un produit local, que vous ne vous prenez pas au sérieux, vous prenez quelques musiciens, vous vous installez dans un coin et vous faites votre petite musique que vous enregistrez sur cassette. On l’écoutera peut-être pendant 3 mois, ensuite, plus rien. Pour un produit de qualité, il faut prendre le temps d’écrire la musique et les textes, de créer les mélodies, de trouver les meilleurs musiciens. Un album doit avoir un esprit. Donc, il faut prendre les personnes adéquates, qui vont respecter l’esprit du projet, c’est important pour tous les musiciens.
Pape : c’est comme au football, c’est l’entente, être collectif. Il ne suffit pas d’avoir le talent, il faut aussi travailler. Il y a énormément de talents en Afrique, le problème est qu’il faut être sérieux et patient. C’est notre premier album, mais il faut savoir que nous avons 15 ans de métier.
Vous avez écrit une chanson, Yatal Gueew, élargir le cercle, qui a contribué au changement au Sénégal. Dans quelle circonstance avez-vous écrit cette chanson.
Pape : C’est une chanson qui parle de la démocratie. J’étais dans un village où je jouais souvent au football. Mais chaque fois que les hommes politiques venaient, il y avait toujours des divergences d’opinions, des injures. Je me suis demandé pourquoi tout cela ? alors que nous sommes tous parents. Lorsqu’il y a un mariage, une naissance, un décès, nous sommes tous ensemble. Par la suite, même l’équipe de football qui jouait et qui gagnait a été divisée par les tendances politiques. J’avais une guitare dans ma chambre, j’ai commencé à avoir des idées, puis j’ai peaufiné. La différence n’exclut pas la concertation. Je vivais dans ce système, il m’a marqué. Et lorsqu’il fallait faire un répertoire, je l’ai joué et on l’a gardé. La cassette est sortie un mois avant les élections au Sénégal, qui ont eu lieu en mars 2001. Chaque fois qu’il y avait un débat politique, les politiciens demandaient qu’on mette d’abord ce morceau. Durant la campagne électorale tous les partis avaient la cassette et mettaient la chanson. Elle a fait le tour du Sénégal. Sur 25 partis politiques, 24 utilisaient ce morceau, qui a fait naître l’esprit d’unité dans le pays.

///Article N° : 2767

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