Défendre une partie de soi
La Bataille de l’arbre sacré, mon premier long métrage, est tiré d’une nouvelle ougandaise que j’avais lue lorsque j’étais encore à l’école et que j’ai décidé de tourner lorsqu’étudiais le cinéma. Je pensais pouvoir y induire tout ce que je voulais exprimer, de l’humour au regard sur la société. Un arbre signifie aussi bien les racines, la nature, le passé qui prépare l’avenir… et ainsi la stabilité, la continuité, et même la réflexion critique : cet arbre n’est pas un arbre ordinaire puisqu’il est sacré. J’ai adapté cette histoire à la réalité kenyane et ai fait grossir l’arbre qui dans la nouvelle ougandaise n’était qu’un petit arbre. Lorsque j’ai trouvé l’arbre du film, j’ai étudié comment cet arbre s’inscrivait localement dans l’imaginaire des villageois. Personne n’était vraiment sûr de l’origine de sa signification. Ce fut pour moi un voyage à la découverte des légendes qui l’entouraient…
Je ne voulais pas faire le portrait de gens qui lutteraient pour défendre l’arbre : chacun a un peu peur de cet arbre, de le toucher, de ce qu’il peut signifier. Personne ne cherche à défendre le passé en tant que tel : c’est plutôt une partie de soi-même que chacun cherche à préserver, non l’arbre en lui-même. On rit des femmes mais on a peur de toucher l’arbre…
Au Kenya, presque toutes les femmes font partie d’associations féminines. Même si les femmes chrétiennes sont très stéréotypées, elles sont si extrêmes que personne ne s’est senti attaqué. Ce n’était pas mon but. Je ne les ai pas montrées en train de prier ou à l’église pour ne les prendre que sur le terrain de l’humour. Mais ce type d’histoire est parfaitement vraisemblable dans la société kenyane d’aujourd’hui.
Toucher un public africain
La télévision kenyane ne se précipite pas sur le film d’une cinéaste de son pays… et les cinémas se cantonnent aux produits habituels comme les films indiens et ne veulent pas investir dans l’achat d’une copie, si bien qu’il m’est très difficile de montrer mon film dans mon pays. Les journaux ont mentionné le tournage mais ne soutiennent pas réellement le film. Pourtant, le public kenyan l’apprécierait car il y retrouverait sa vie et jusqu’à sa façon de rire. Les Kenyans adorent le théâtre et le cinéma, tout ce qui est joué. Chaque école a son groupe de théâtre et des concours d’écriture sont organisés dans tout le pays avec un grand succès.
Mes études de littérature étaient principalement centrées sur le théâtre. Le refus de l’académisme m’a dirigé vers le cinéma qui s’est révélé être mon » terrain « . C’est une création très jubilatoire bien qu’un peu folle parce que si imprévisible ! (rires) Terminant mes études de cinéma à Berlin, j’ai pu utiliser le matériel de l’école. Le financement a été réuni auprès du Fonds Sud en France et de télévisions allemandes ainsi qu’auprès d’un producteur privé qui a cru au film. Il ne pourra cependant réellement se rentabiliser qu’auprès du public africain, mais c’est très difficile. Les Kenyans veulent pouvoir se voir à l’écran ! Et les films kenyans sont une rareté !
Un réalisme sans pancartes
L’impression de réalité que donne le film est voulue, du comportement des femmes aux éternels thés que l’on boit sans cesse au Kenya ! J’ai observé ma société et tenté d’en reprendre les éléments. Mais l’histoire reste primordiale : j’écris des poèmes et des nouvelles, et aime le cinéma pour ses histoires… Un écrivain américain critiquait récemment le fait que mon film n’était pas assez politique. Je n’ai pas de message à affirmer par la parole. Pour moi, le policier fonctionnaire ne fait que boire de la bière et n’exprime aucune opinion : il est une caricature s’intégrant à l’histoire et dont je cherche à faire rire…
J’aurais pu tourner tout le film en kiswahili mais mon but n’était pas l’authenticité : j’ai voulu mettre l’accent sur l’artificiel des situations. Nous passons du swahili à l’anglais en fonction de la personne à qui nous parlons. En anglais, une contradiction s’installe qui est intéressante à l’écran. Les anciens par contre répondent en kikuyu aux questions que leur posent les jeunes en anglais… Si je tournais un film sur la culture locale, je le tournerais en kiswahili. Mais mon prochain film se déroulera à Nairobi, une grande ville – ce qui pose de sérieux problèmes de tournage.
Pour réunir les fonds, il est nécessaire de passer par les financements officiels français, ce qui impose ensuite d’utiliser l’argent pour des services ou des techniciens français qui sont très chers. C’est un cercle vicieux… Il y a au Kenya quelques techniciens de qualité qui pourraient parfaitement faire l’affaire pour un long métrage. Ils sont peu nombreux mais ils existent.
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