Exposition Des Gosses : entre la peur et l’orgueil, la part du doute

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Loin des promontoires politiques de l’entre-deux tours, l’exposition Des Gosses ouvre ses portes le 25 avril à la BAB’s Gallerie à Paris, fondée par Élisabeth Ndala, dont la devise nous dit que « « l’art est une chose inutile et indispensable ». Composée des oeuvres de Baye Dam Cissé, Beya Gille Gacha et Neals Niat, l’exposition, initiée par les trois artistes, joue la carte d’une sobriété qui favorise l’interrogation, elle aussi « inutile et indispensable ». Reportage.

Ce soir de vernissage, je découvre la BAB’s Galerie, lieu de chaleur et d’humilité qui contraste avec l’austérité monumentale du quartier. Le public déborde sur le trottoir, venu nombreux pour découvrir les œuvres de Baye Dam Cissé, Beya Gille Gacha et Neals Niat, trois artistes afrodescendants nés en France à la fin des années 1980 et qui ont initié cette exposition collective. Trois artistes-penseurs pour qui leur génération est « trop consciente du monde dans lequel elle est contrainte de se construire ». Face à cette pesanteur, ils choisissent de complexifier le temps contemporain et ce qui le caractérise : l’absolu de Monde, et son envers, l’identité locale et diasporique d’Afropéen. Une  identité divisée entre peur et orgueil, errance et ancrage, empêchement et enrichissement, à laquelle ils répondent par un doute qui n’est pas de leur âge.

Ici on parle d’ « action artistique évolutive » comme pour en finir avec une muséographie immobile et passive. La scénographie conçue par Beya Gille Gacha, également curatrice de l’exposition, spatialise le dialogue collectif entre ces artistes, entre ces visions qui déplacent définitivement l’arrogance de la jeunesse … ailleurs. Et cette scénographie nous agit puisque partout, dans la galerie comme sur le trottoir, ça dialogue. Forcément, les œuvres exposées ne nous laissent pas d’autre choix : nous voilà face à la part du doute exhibée partout, qui contamine les matières et les supports : sculpture, peinture, dessin, image fixe ou mouvante…

Que reste-t-il à dire ?
Que reste-t-il à dire face à la sculpture « Tends la main » de la plasticienne Beya Gille Gacha, un bras arraché dont la chair à vif est entièrement brodée de fines perles bleues ?… Pour remembrer ce corps éclaté, il vous faudra déambuler dans la galerie : là un tronc de femme, là des pieds ensevelis dans un bloc de ciment. Un corps sans tête et sans sépulture qui compose la série « Symboliques du démembrement », où la perle microscopique et délicate n’adoucit en rien la mort absurde et sans lyrisme.

Baye Dam CisseNeals Niattends la main Beya Gille Gacha
Baye Dam Cissé, dont le travail sensuel s’intéresse aux transformations cognitives dans les arts visuels, formule quant à lui une réponse possible : celle de l’injonction performative. Ses tableaux colorés affichent des personnages boudeurs et souverains de leur énonciation, à commencer par « Je » et son super-héros. Des femmes nous disent « chut », l’index sur les lèvres, dans « Tais-toi ! » … Mais le tableau « 1982 », avec cette  la femme au foulard rouge qui scrute l’horizon depuis son canapé,  nous ramène au point de départ : que reste-t-il à dire ?

Chez Neals Niat, les silhouettes monochromatiques imprimées sur papier de « Moustiquaire » ou de « Chacal coiffure » n’ont pas d’yeux, et pas vraiment d’histoire. Mais comme y invite le projet de Neals Niat intitulé « The Story Between The Lines », il faut savoir lire entre les lignes. Son travail très graphique, influencé par le design contemporain et l’architecture, agence des lignes franches, bichromes et polysémiques. Ainsi vous pourrez voir dans le « Pont du Wouri » une représentation tranquille de l’urbanité camerounaise. Ou bien lire l’histoire que cache le pont… Celle de la Société de construction coloniale des Batignolles.

Ce que j’ai vu ce soir-là, ce sont des gosses qui grandissent trop vite, parce que le temps va trop vite et que le monde dépasse ses propres proportions.


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