Fatou, de Fatoumata Diawara

"une part de moi-même paisible, solitaire et intime"

Entretien de Cécile Feza Bushidi avec Fatoumata Diawara
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Depuis 2007, Fatoumata Diawara, qui est aussi danseuse et comédienne, est une chanteuse-compositrice. Quatre ans après ses débuts dans la chanson, période pendant laquelle elle a été choriste de Cheick Tidiane Seck, et de Dee Dee Bridgewater, cette artiste talentueuse et d’une l’intelligence fine sort le 19 septembre en Grande Bretagne et le 1er octobre en France, son premier album solo, intitulé Fatou.

Bonjour Fatou, c’est aussi enrichissant de vous parler en tête à tête que de vous écouter sur scène, donc merci de nous accorder cet entretien. Le producteur de votre album n’est autre que la prestigieuse maison de disques anglaise World Circuit, qui a propulsé sur la scène internationale des artistes tels que Buena Vista Social Club et Oumou Sangare, entre autres. Alors comment s’est réalisée cette rencontre entre vous et World Circuit ?
En 2009, pendant que je faisais la deuxième tournée de la comédie musicale Kirikou et Karaba, je chantais aussi avec Oumou Sangare, dont la maison de disque est World Circuit. Avec sept autres artistes, j’ai été sélectionnée pour enregistrer en studio avec Oumou. Nick Gold, le fondateur et directeur de World Circuit était là. Je lui ai donné un CD de mes compositions. Après, on a signe un contrat pour un album.
Quelles sont vos impressions ?
C’est un honneur ! Étant en plus la plus jeune de leurs artistes, je ressens ça comme un privilège. Je prends aussi cela avec tranquillité car rien n’est acquis et tout reste à faire. Je ne veux pas m’asseoir sur mes acquis. Cette nouvelle relation avec World Circuit me donne envie d’être à la hauteur, et donc de travailler plus. Je suis déjà très travailleuse et exigente envers moi-même, tout en restant très simple, ce qui n’est pas évident. Mais selon moi, c’est possible. Je veux dire par là que l’exigence n’implique pas forcément la complexité, tout comme il est possible de parler de choses complexes de manière simple. C’est peut-être cela qui fait que mon travail attire le public, et a attiré World Circuit. Et ce tournant fait que mon public va attendre beaucoup de moi, et je veux leur répondre en restant moi-même.
Vous avez collaboré avec d’autres artistes pour votre album ?
Oui, j’ai collaboré avec le joueur de kora Toumani Diabate. Tony Allen, batteur de Fela Kuti joue sur Mousso. Le multi-instrumentaliste Jean Paul Jones, un des fondateurs du groupe rock anglais Led Zeppelin, a également apporté son talent sur certains morceaux. Je suis très flattée que ces artistes expérimentés, aux parcours riches et longs, soient venus vers moi après m’avoir vue sur scène. Je me sens honorée qu’ils se soient intéressés à mon projet ! Cela fait plaisir ! J’ai pris le temps de les rencontrer et de discuter avec eux. Cette démarche me caractérise beaucoup car je tenais à être maître de mon album et cent pour cent libre. Alors cela veut dire que je voulais choisir les musiciens avec qui je voulais travailler.
Vous vouliez être totalement libre de faire ce que vous vouliez ?
Oui tout à fait. Par ailleurs, j’ai fait tous les arrangements moi-même, je joue de la guitare et je chante sur tous les morceaux. Et j’ai aussi composé toutes les chansons. D’ailleurs, je trouve que les femmes dans la musique africaine devraient commencer à composer leurs morceaux elles-mêmes. J’ai souvent l’impression qu’un compositeur écrit les chansons pour elles. Tu vois, je ne cherche pas être virtuose ou extraordinaire, mais à être autonome. La liberté. J’ai besoin de cette liberté pour développer mon style. Et c’est en développant ce style qui m’est propre, quelque chose que je maîtrise, que je saurai toujours me retrouver. Ça évite de se perdre. Ça prend beaucoup de temps. J’ai emprunté ce chemin, que je parcours toujours d’ailleurs ! Par exemple, je chantais récemment à Londres au Royal Albert Hall en première partie du groupe AfroCubisme. J’avais choisi d’être seule sur scène, sans musiciens, sans choriste, juste moi, ma voix et ma guitare. Je voulais, seule, donner et transmettre au public de cette salle pleine et immense l’émotion que je souhaitais. À la fin, le public s’est levé pour applaudir. Je me suis dit, ça a marché, ils ont reçu mon message et ils ont aimé. Ce concert m’a permis de me sentir encore plus prête à présenter cet album solo qui est vraiment le fruit d’un voyage.
Votre album est classé dans le genre musical world music. Comme vous le savez, ce terme est critiqué par certaines personnes qui considèrent que ce terme ne renvoie a rien de bien précis et met dans le même sac toute musique non-européenne. Qu’en pensez-vous Fatou ?
Effectivement, ce terme peut être dérangeant. Peut-être qu’il est utilisé car les gens ont besoin d’un repère, comme on définit le rock, le blues, le funk, ou le folk. Ou peut-être que quand on n’arrive pas à identifier ton style et que tu chantes dans une langue non-européenne tu es classe en world music. En fait je n’ai pas de réel avis sur l’utilisation de ce terme, tant que les gens s’y retrouvent, ça me va ! Et puis ma musique, je la vis et je la réalise avec beaucoup d’ouverture. Je compose et je chante en Bambara, mes musiciens vivent en Europe et sont de formations musicales occidentales et africaines. Mon style est aussi influencé par divers styles musicaux tels que le folk, le jazz et le blues.

Alors justement, parlons de votre style musical d’aujourd’hui. Quatre ans après vos débuts en tant que chanteuse, comment décrivez-vous la substance musicale de cet album solo qui est vraiment le produit d’un long travail et cheminement personnel ?

Oui, mon style a un peu changé. Je me suis un peu éloignée des ambiances traditionnelles africaines et de la tradition du chant wassoulou. Pour cet album, j’ai vraiment voulu développer et mettre en avant un style musical à moi. Avec Nick Gold, on a aussi réfléchi ensemble sur l’identité que je voulais donner à cet album. D’une manière générale, l’album Fatou a quelque chose de très occidental, même si il y a un peu de kora, ngonou, ou kongassa sur certains morceaux. Ça change parce que d’ou je viens, les voix de femmes sont toujours accompagnées d’instruments traditionnels comme le ngoni par exemple. Là, la majorité des morceaux de l’album est uniquement composée de ma voix accompagnée de deux guitares. Cet ensemble voix et guitare donne un caractère très minimaliste à ma chanson. En fait, j’ai composé toutes mes chansons avec la guitare, ce qui est très nouveau dans la musique wassoulou. Je voulais quelque chose qui se différencie de plusieurs musiques africaines. Je présente dans cet album une musique très épurée et très acoustique. C’est aussi pour cette raison que l’album s’appelle Fatou : la seule chose mise en avant dans cet album, c’est ma vision, mes messages et mon histoire. Et puis vous savez, je vis à Paris depuis un certain temps maintenant, donc ma pensée et mon identité artistique sont aussi influencées par l’occident d’une certaine manière. Je présenterais quelque chose de différent si j’étais basée au Mali, et certainement que j’utiliserais beaucoup plus d’instruments traditionnels dans mes compositions.
Et justement, comment votre musique est-elle reçue au Mali ?
Oui je tente d’innover et c’est bien reçu au Mali. Je sens que l’on aime ce que je fais. La scène musicale du Mali reste très conservatrice vous savez. Mais ils sont très attentifs et très réceptifs à mon travail. Ma musique est bien acceptée au Mali et j’ai gagné le respect du public. Comme j’ai souvent peur que ce soit trop moderne, je suis toujours un peu surprise ! Mais je crois que je réussis à innover en douceur et avec subtilité. J’innove dans l’amour ! C’est important pour moi que ma musique soit acceptée par ceux qui la connaissent et par ceux qui tiennent une place importante dans mon cœur. Les commentaires et conseils de personnes qui m’ont nourrie, comme Oumou Sangare, sont très importants. Même si je suis libre et autonome, c’est important que le Mali ait cette ouverture à ma musique.
Fatou, je sais que votre emploi du temps est très chargé, vous êtes une femme dynamique et énergique ! Mais avez-vous pris un break et un peu de temps pour vous-même afin de vous consacrer à cet album et composer vos morceaux ?
Pas vraiment car j’ai aussi un grand besoin de travailler avec les autres. Avoir plusieurs projets en tête est important pour moi car ça m’enrichit de faire plusieurs choses à la fois : j’apprends beaucoup, c’est comme une école. Et puis j’ai une grande soif d’apprendre. Ma rencontre avec Cheik Tidiane Seck, qui m’a emmenée avec son groupe, m’a amenée a travailler les vocales et à être choriste, ce que je ne connaissais pas avant. J’ai découvert d’autres techniques de chant. J’ai aussi énormément appris avec Oumou Sangare avec qui j’ai fait plusieurs tournées. J’ai appris à prendre soin de ma voix, à ne pas la fatiguer et à trouver des manières de l’améliorer. Avant je chantais à l’état brut et puis en travaillant avec d’autres, j’ai trouvé des façons de donner de la nuance à ma voix. C’est après la dernière tournée avec Oumou Sangare (que je faisais en même tant que la deuxième tournée de Kirikou et Karaba) que je me suis dit : « ça y est, je suis prête à faire un premier album solo ». Ainsi, en travaillant et en rencontrant ces papas et mamans, j’ai aussi fait un chemin personnel. Vraiment, je ne regrette pas d’avoir eu cet emploi du temps ! Ça ne m’a pas empêché d’être à cent pour cent dans mon projet ; au contraire, ça m’a enrichie. J’ai appris la vie de chanteuse. Il y a dans tout cela une grande spiritualité qui me nourrit et me fascine…
Parlons maintenant de vos morceaux, quels thèmes abordez-vous ?
Ces trois dernières années, j’ai tenté de prendre une nouvelle direction dans mes textes. J’ai voulu oser dire des choses que j’ai dans mon cœur. J’ai réussi à le faire, et ce, sans peur. Vous savez, j’ai dû m’enfuir pour faire ce métier, je me suis beaucoup battue. Alors cet album, c’est une autobiographie, un résumé de ma vision sur la vie. Je parle de ce que j’aime et de ce que je n’aime pas. J’exprime à travers la chanson des choses de la vie et de ma vie que je ne dirais peut-être pas directement comme ça. La musique me libère, elle me permet de dire ce qui me pèse. Par la musique, tu peux alléger et transformer une expérience douloureuse. C’est la place pour le faire, et aujourd’hui, j’ai trouvé le moment pour le faire. Le titre Sowa parle de l’adoption, des sentiments que ressent un enfant qui ne reçoit pas l’amour de ses parents biologiques. On ne parle pas beaucoup du ressenti de ces enfants adoptés finalement, ils vivent une expérience très dure. Je parle pour ces gens qui n’ont jamais prononcé le mot « maman ». Le morceau Bolokotraite de l’excision féminine, qui reste pratiquée par les femmes au Mali. Cette chanson parle de plusieurs thèmes et aspects liés a l’excision. Je parle du fait qu’à cause de cette pratique, les femmes ne peuvent pas connaître l’expérience du plaisir de faire l’amour. Je considère aussi les problèmes que beaucoup ont lorsqu’elles accouchent car leurs organes cicatrisent très mal. L’excision n’a rien apporté à l’Afrique. Ce n’est pas la religion islamique qui demande cela. L’être humain enlève aux femmes ce que Dieu leur a donné. C’est inacceptable. Oui, Boloko pose ces questions sur l’excision.
Alors justement, avez-vous un avis sur la place des femmes en Afrique noire ?

Oui, je pense que les femmes n’ont pas une place à leur juste valeur. Leurs conditions s’améliorent un peu, mais pas assez. Si ces conditions étaient meilleures, les femmes pourraient plus participer au développement, et s’émanciper plus. Pour atteindre ce but, ce ne sont pas les hommes qui vont parler de nous, c’est à nous de réfléchir ensemble. Qui mieux qu’une femme peut parler à une femme, parler d’une femme ?
Pour terminer Fatou, je trouve votre voix très posée sur certaines chansons comme Kanou par exemple, comme si vous aviez trouvé une paix intérieure solide. Je me trompe ?

Kanou, une des premières chansons que j’ai composée. J’étais très fatiguée ce jour-là et peut-être que cette fatigue a libéré et apaisé ma voix. Mais j’ai toujours cette douceur et ce calme en moi, surtout quand je suis dans mes projets personnels. Mon album est très intimiste. Quand je compose, je suis très solitaire et j’y trouve le maximum de paix. Je suis aussi très mélancolique car je puise les thèmes de mes paroles au fin fond de mon vécu. C’est aussi cette solitude qui me permet de raconter ces thèmes avec beaucoup de paix. Cet album met en avant cette part de moi-même qui est paisible, solitaire, et intime.

Site de [Fatoumata Diawara]
Fatoumata Diawara sur le site de
[World circuit]

///Article N° : 10405

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Fatoumata Diawara © site de fatoumata Diawara





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