Festival en deuil ?

Les soirées hommage d'Africolor

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Deux décès en une saison, cela pèse sur un festival. Confronté à la précarité des artistes du Continent, Africolor a dû transmuer en hommage les deux soirées « tremplin » consacrées aux carrières discrètement montantes de Victor Démé et Bako Dagnon. Une manière de renforcer ses liens avec la communauté westaf, avec qui elle a toujours communiée depuis ses débuts.

Funeste année pour le festival Africolor. Deux artistes au programme sont morts, avant leurs dates annoncées sur la scène de la Seine Saint-Denis. Une crise de palu a eu raison de Victor Démé en septembre dernier. A 53 ans, il venait de boucler Yakaké, son dernier album. Pour Bako Dagnon, c’est le diabète qui précipita les choses en juillet. La griotte malienne avait alors 62 ans. Des âges où leurs carrières, paradoxalement, allaient prendre un nouveau souffle. Des âges, surtout, où l’on ne devrait pas disparaitre de façon aussi implacable. « On travaille avec la possibilité de la mort à chaque édition », reconnait Sébastien Lagrave, directeur d’Africolor, soulignant ainsi les disparités d’accès aux soins dont souffrent les artistes du Continent, soumis qu’ils sont à une précarité économique et sanitaire quasi permanente.
Que peut la direction d’un festival face à ce type de bouleversement de dernière minute ? Préserver l’esprit de la programmation envisagée, en déclinant les soirées dédiées aux artistes disparus sous la forme d’un hommage ? Ou alors, aligner d’autres artistes, bien vivants, ceux-là, et dont le travail mérite d’être valorisé ? Délicate, la question mérite d’être posée, tant les hommages sont légion sur les scènes musicales de France et de Navarre. Des hommages dont les fondements peuvent souvent susciter le débat en termes économiques. Un concert-concept rattaché à la personne de Fela Kuti rapporte autant que le live afro-beat d’un groupe phare, coûtant peut-être plus cher.
Pour Africolor, festival historiquement lié à la communauté westaf en Seine-Saint-Denis, l’hommage relève du lien entretenu avec l’intimité du disparu. « Il ne faut pas avoir peur de la demande cultuelle. Pour beaucoup d’artistes présents, Bako Dagnon était une maman » confie Lagrave, successeur de Philippe Conrath, grand défenseur des soirées maliennes du 93. La volonté de préserver l’affiche initiale du festival après les décès était ferme chez Lagrave. L’hommage devient ce moyen de raviver l’esprit communautaire à travers lequel Africolor s’est forgé une identité, tout au long de son histoire, et sur la base duquel il souhaite à nouveau se renouveler depuis la reprise de direction en 2012. L’intérêt économique de ces hommages rendus scéniquement est garanti ! Salle quasi comble sur deux dates, dans une fin d’année sensible où la fréquentation des concerts reste aléatoire.
Hommage en « familles »
Le 28 novembre, au théâtre du Garde-Chasse, aux Lilas, c’est une salle enjaillée qui veille l’esprit de Victor Démé. Les artistes sont burkinabés, des amis pour la plupart, proches du label Chapa Blue, lequel a pris l’organisation de l’hommage en main. Camille Louvel, producteur de Démé et membre du label, a propulsé, depuis son maquis associatif, Ouaga Jungle, la carrière internationale du chanteur de Bobo Dioulasso. Un premier album, sorti en 2008, écoulé à 40 000 exemplaires, impose le nom. Sept ans plus tard, Yafaké, dernier opus à la suite, devait annoncer le rendez-vous d’Africolor. L’album est déjà dans les bacs, les royalties issues du concert iront donc à Chapa Blues. Baba Commandant, Moustafa Maïga, également originaire de Bobo, Patrick Dabré, ou encore Issouf Diabaté, son guitariste : une communauté d’artistes du Burkina se rend donc à cette célébration de Demé à titre posthume, mettant à l’honneur les énergies créatives du pays, à la veille des premières élections libres à Ouaga depuis 1978.
L’idée de la veillée et l’esprit de famille (qui l’accompagne) se font encore plus vives, le 12 décembre dernier, autour de la malienne Bako Dagnon. Le lieu du rendez-vous, lui-même, n’a rien d’anodin. Le Théâtre Gérard Philippe reste dans la plupart des mémoires accroché au Noël Mandingue de 1989, où la chanteuse Nahawa Doumbia avait rassemblé une foule à 90 % malienne. Lieu où tant de griots issus du grand Bamako ont rassemblé des familles dionysiennes entières.  » Africolor, c’est ma maison, le TGP c’est ma maison » s’exclame Moriba Koita, excellent interprète au ngoni, qui a longtemps habité à 500 mètres du théâtre. Bako allait être programmée pour la première fois à ce festival. La griotte tant respectée dans son fief malien avait une notoriété tout juste naissante en France, où ses ventes de disque ne décollaient pas. « Elle avait une voix très affirmée, brute et forte. Une voix qui n’est pas douceâtre et facile d’accès. Ce n’est pas la beauté qui comptait pour elle, mais le sens », analyse Sébastien Lagrave.
Le festival s’est efforcé de réunir ce qui symbolise une « famille Bako » pour cet hommage. Moriba Keita, convié sur les scènes d’Africolor depuis 20 ans, a été sollicité par Sébastien Lagrave pour former un groupe d’artistes de Kita, ville d’où est originaire la griotte. Moriba a passé 10 ans à ses côtés dans l’ensemble instrumental du Mali. C’était avant qu’il ne forme le groupe Mandé Foli, ensemble instrumental délocalisé en Seine-Saint-Denis, dans les années 1990. Ce groupe se reforme ce soir de 12 décembre avec Manian Demba, et sa nièce, Fanta Disco pour le rendez-vous Bako. Franciliennnes depuis plusieurs années, les deux griottes chantent ainsi pour celle qu‘elles considèrent comme une « mère ». « J’ai fait mon enfance dans sa main, depuis l’âge de 9 ans, je chante avec Bako » raconte Manian, qui a été avec elle aux semaines locales de Kita, aux semaines régionales de Kayes, et enfin, au sein de l’ensemble instrumental du Mali. « Bako est une grande sœur pour moi. Elle était tout, elle a tout fait dans la musique mandingue. Tous les artistes ont suivi sa trace » continue Fanta, rompue aux scènes d’Africolor à l’époque Conrath. Plusieurs artistes maliens, programmés par ailleurs sur d’autres dates à Africolor, comme Chérif Soumano à la kora ou la chanteuse Djénéba Kouyaté, sont présents. Mais la main de Moriba a aussi ouvert la scène à des artistes que Sébastien Lagrave ne connaissait pas. Avec une carte blanche, l’ensemble interprète notamment les titres phares de la griotte, « Titati » et « Tiga ».
« Bako représente beaucoup pour la communauté malienne en France. Elle a fait sa carrière depuis son enfance et a beaucoup travaillé au Mali. Mais les Blancs ont commencé à connaitre Bako, en dehors du Mali, plus tardivement. Et malheureusement, au moment où sa carrière montait, elle disparait » déplore Maniam Demba. Réunis en famille – la famille d’Africolor, la famille de l’ensemble instrumental du Mali, du Mandé Foli, et de Bako – les artistes s’approprient cette soirée du 12. L’association Guidimakha Danka, du nom d’un village de Kayes, a réservé 250 places sur les 350 disponibles. Cette association s’inscrit dans le sillage de Guidimakha Diké, qui œuvrait avec Philippe Conrath depuis les débuts d’Africolor. Signant une convention de partenariat avec Africolor, cette année, l’alliance ainsi dessinée sur la scène du Théâtre Gaerard Philippe exprime la volonté de renouer avec l’esprit originel du festival, en célébrant les cultures musicales africaines inscrites dans leur mouvement de diaspora. L’hommage à Bako s’inscrit du coup dans le cadre d’une journée entière à laquelle a répondu la communauté westaf de Saint-Denis.

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