Chocolat, triste mélo

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Avec Chocolat, le réalisateur Roschdy Zem s’empare du destin de Rafael Padilla. Pourtant la fiction qu’il en fait nous en éloigne et n’aborde pas frontalement la place de cet artiste noir dans le Paris de la Belle époque.

Le film qui devait faire connaître au plus grand nombre l’histoire du clown Chocolat, ne fait que nous éloigner davantage du réel en nous montrant son existence à travers le prisme déformant d’un mélodrame sordide et condamne le vrai Chocolat à disparaître pour laisser place dans les mémoires à la chute vertigineuse d’un pauvre nègre qui a voulu s’arracher à sa condition, sortir de sa peau et que la fatalité ramène à son point de départ. Cette morale fataliste ne correspond en rien à la destinée étonnante de cet enfant d’esclave cubain que son étoile a conduit jusqu’à la piste du Nouveau Cirque et dont la notoriété auprès du grand public a été extraordinaire. Le film passe à côté d’une vraie opportunité de réhabiliter une figure méconnue du monde du spectacle et de donner enfin à la communauté afrodescendante de ce pays un héros à admirer, mais aussi de dresser un tableau de la Belle Époque qui montrerait la présence des Noirs dans le monde du spectacle, car Chocolat était loin d’être le premier et le seul artiste noir de la scène parisienne. Le réalisateur Roschdy Zem a préféré focaliser l’ensemble du film sur le tandem Footit et Chocolat et sa réussite. Chocolat est réduit à l’image qu’en a laissé un des dessins de Toulouse Lautrec, le nègre à qui Footit assène chaque soir des coups de pieds au cul. Ce n’est paradoxalement pas ce qui ressort des numéros de James Thierrée et Omar Sy qui s’inspirent des célèbres saynètes du duo, mais parviennent à les moderniser pour le regard d’aujourd’hui avec beaucoup de subtilité. La qualité photographique du film est remarquable, les décors sont réussis et le réalisateur avait deux magnifiques comédiens à diriger. Ces artistes nous touchent : le romantisme sombre de James Thierrée, la bouille sympathique et la gouaille d’Omar Sy font mouche. Mais ils restent en deçà de leur talent et ne parviennent pas à incarner les personnages. On ne voit pas Footit et Chocolat. Un travail sur le corps pour marquer l’époque, sur la langue aussi aurait été nécessaire, un siècle nous sépare de ces personnages… et on ne le sent pas !
Le film est pourtant annoncé comme historique. Or le peu que l’on sait de la vie réelle de celui qui passa à la postérité sous le nom de Chocolat est entièrement déformée. Des personnages sont fabriqués comme le mystérieux Haïtien opiomane, d’autres détournés, comme Marie Grimaldi, la compagne de Chocolat durant près de 30 ans. Alors que Chocolat connaît le succès bien avant son tandem avec Footit grâce à un spectacle qui fit fureur au nouveau cirque, La Noce de Chocolat, le film en fait un Noir perdu dans un cirque de campagne et réduit à jouer les cannibales de foire. C’est le clown Footit, qui le prend en main et lui apprend le métier de clown. Le film raconte au final une amitié impossible entre le Blanc et le Noir, Footit apparaît comme l’ami raisonnable, sombre et taciturne, alors que Chocolat, courtise lesfemmes, fréquente des tripots douteux, joue, s’encanaille… La persévérance, la fidélité et la constance sont du côté de Footit. Chocolat meurt dans ses bras de la tuberculose… Difficile de faire plus mélodrame ! Ce n’est pas l’histoire de Chocolat, mais une fable moralisatrice. Pourtant le film va jusqu’à jouer d’un effet de réel à la fin avec quelques lignes sur la mort de Chocolat et les vraies images des frères Lumières qui ont filmé des numéros de Footit et Chocolat. Il y a là à l’évidence un problème d’éthique. Quel est le véritable projet du film ? Faire de Chocolat une victime? Un raté que Footit a tenté de sortir de l’ornière, mais qui s’est retourné contre son compagnon et bienfaiteur, car il ne supportait plus l’humiliation après le rêve d’émancipation instillé dans son esprit par le mystérieux Haïtien ?
Vouloir stigmatiser le racisme qui sévissait aux temps des colonies et mettre en avant l’hypocrisie d’une société française qui rit de Chocolat et s’émeut de ses pochades avec paternalisme et condescendance est une ambition nécessaire. Mais déformer la vraie histoire de Chocolat et ajouter même de la violence physique pour atteindre ce but c’est comme fabriquer des preuves à charge pour mieux s’assurer que le coupable sera condamné et provoquer finalement un vice de forme qui prive la société française d’un vrai procès, juste et valide. La violence que subit Chocolat dans le film, celle des policiers qui le battent et celle des malfrats qui viennent l’intimider et lui casser les doigts de la main pour récupérer leur argent se confond avec la violence raciste qui aurait pu être celle des Amériques de la ségrégation. Or la France n’est pas l’Amérique de 1910 ! Tant qu’on n’abordera pas l’histoire coloniale française dans toute sa complexité avec ses paradoxes et ses contradictions on ne pourra pas dépasser le traumatisme qu’elle représente. Il ne faut pas se mentir, mais regarder la réalité en face.

Retrouvez la version intégrale de cette critique ici : Un film qui réécrit l’histoire du Clown Chocolat : mélo et bons sentiments ///Article N° : 13381

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