Franco à l’honneur au festival Africolor

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Préludant aux récitals du merveilleux chansonnier Zao, un quintet franco-congolais présente « Franco Na Biso », hommage au grand maître de la rumba de Kinshasa, après une tournée triomphale dans 23 pays africains. Aux commandes : Jean-Rémy Guédon, Kojack Kossakamvwe, Alberto Mapoto, Christian Kamba et Guy Tusiama basse électrique.

Si en Europe le nom « Franco » évoque un sinistre dictateur, en Afrique c’est le contraire. Okanga La Ndju Pene Luambo Makiadi, dit Franco (1938-1989) fut non seulement le musicien le plus adulé à l’échelle du continent, mais aussi un artiste frondeur, tenant tête au tyran Mobutu, qui le courtisa en vain et l’embastilla par trois fois.
Son fantastique orchestre OK Jazz méritait la devise menaçante qui vous accueillait à l’entrée de ses concerts : « Attention ! On entre ok, on sort K.O. ! » Avec son éternel rival Dr Nico, Franco fut avant tout le génial styliste de la guitare congolaise, transposant sur les cordes le son cristallin des lames du likembe (sanza) qui avait été son premier instrument. Auteur-compositeur de génie, son œuvre est colossale, à l’image de ce personnage gargantuesque : près de 200 albums, plus de 2000 chansons qui sont autant de contes drolatiques (on l’a surnommé « le Balzac africain »). C’est en effet la Comédie humaine à l’échelle d’une mégapole chaotique, qui porta le nom du pire tyran de la colonisation, Léopoldville, avant d’être rebaptisée Kinshasa par le Père Ubu Mobutu qui en fit sa vitrine : « Kin la belle » titrait alors Paris-Match. Plus clairvoyant, l’immense poète Gérald Tchicaya U’Tamsi – à qui Africolor vient de rendre hommage, et dont Boniface Mongo-Mboussa vient de publier une passionnante biographie (1) – parlait à l’époque de « Babylone néocoloniale ». Le dernier succès de Franco fut, hélas, « Attention Na Sida ! » (1987), mise-en-garde diablement lucide et efficacement didactique, car ludique et dansante comme toujours, contre la maladie qui était en train de nous l’enlever.
Guédon + Kojack =Franco Na Bisso
L’an dernier, le saxophoniste Jean-Rémy Guédon séjournait à Kinshasa avec la chanteuse congolaise Maryse Ngalula, son épouse et sa partenaire musicale dans un duo extrêmement gracieux – regardez sur YouTube leur clip délicieux « Tous sont noirs ». Guédon vient de fêter les vingt ans de son orchestre Archimusic, composé pour moitié de jazzmen et de solistes « classiques ». Ensemble, depuis 2008 ils ont sillonné l’Afrique et la Caraïbe au fil de leur projet « Terres Arc-en-ciel » pour y rencontrer durablement les artistes locaux et les faire voyager avec eux, en s’inspirant des conceptions d’Édouard Glissant sur la créolisation. Guédon est un « musicien lecteur », qui a magnifiquement mis en sons des textes de Sade ou de Nietzsche, et sa récente création « Mu-temps » était un splendide spectacle multimédia dédié au poète altermondialiste Jacques Rebotier.
Retour à Kinshasa, Kin la belle devenue Kin la poubelle d’après les gazettes locales, où Madame Guédon présente à son mari Kojack Kossakamvwe : l’un des plus fins guitaristes kinois, qui a joué avec Werrason, Wenge, etc. Musicien autodidacte, biochimiste de formation : « Cette discipline qui étudie les réactions chimiques au sein du vivant : on ne saurait mieux qualifier les rapports qui interagissent entre les musiciens sur scène » commente Guédon, qui lui-même étudia l’architecture avant la musique, d’où le nom et le concept original de son octuor Archimusic. (2)
Kojack fait (ré) écouter Franco à Guédon, qui s’enthousiasme et comprend vite le « paradoxe franquiste » : en Afrique Franco reste un demi-dieu, ailleurs il demeure un quasi-inconnu. Quand Guédon propose à Africolor le projet « Franco Na Biso », il rêve d’un big band, intermédiaire entre l’OK Jazz (qui compta jusqu’à 30 musiciens) et Archimusic. Faute de moyens, les deux compères forment un quintet. Guédon ne le regrette pas : « Cela nous a forcés à nous optimiser, individuellement et collectivement. Du coup, tout le monde fait le chœur. Je n’aurais jamais imaginé chanter en lingala, mais m’y voilà ! »
Le résultat est épatant et inouï : un jazzman français, influencé adolescent par les calypsos de Sonny Rollins, s’enflamme pour le jeu peu orthodoxe de ses collègues de la saga zaïroise ; des musiciens Kinois, trentenaires et formés à l’école du ndombolo, mais qui connaissent le vieux Franco sur le bout des doigts et des lèvres, entrent dans le jeu.
Jean-Rémy Guédon : « si c’est réussi, tant mieux ! L’expérience du jazz nous donne les moyens de partager, de voyager entre toutes les musiques, alors pourquoi s’en priver ?
Franco, la rumba congolaise, ce n’est pas dans mes gènes, qu’importe, je m’y sens bien, j’ai l’ambition de jouer ça bien, et si j’y réussis, à part le plaisir de jouer j’aurai atteint l’un des buts de ma vie : être un escroc sérieux ! »

(1) Boniface Mongo-Mboussa Le viol de la lune, vie et œuvre d’un maudit. Vents d’ailleurs
(2) Cds Archimusic Terres arc-en-ciel, Le Triton et Kaladjazz, Couleurs Music.
///Article N° : 12551

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