Gangbé!

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Le 24 juin dernier, les Béninois du Gangbé Brass Band était les invités du Centre Culturel Suisse, autour de la projection du film d’Arnaud Robert Gangbé!, dont ils sont les acteurs. Gangbé!, ou le pèlerinage des musiciens vers Lagos, vers le temple de Fela Kuti, conté. Gangbé!, ou l’histoire d’une filiation musicale entre Bénin et Nigéria. Reportage.

Paris, juin 2015. Centre culturel Suisse, en plein cœur de la capitale française. Les dix Béninois du Gangbé Brass band, une fanfare, sont à l’honneur. Ils sont acteurs d’un documentaire, Gangbé !, projeté, ce soir, en salle. On s’étonne de voir ainsi le Bénin en terre helvète, mais le réalisateur, Arnaud Robert, et la société de production, Intermezzo films, sont Suisses. Le cadre et le public du lieu dénotent avec la folle énergie d’une fanfare. Point de tintement de cloches et de cœurs de tambours en pleine rue. On aimerait, pourtant, danser, en file, derrière le soubassophone, battre les pieds en cadence, avec les percussions, dans une joie que les musiques déambulatoires seules savent soulever. Mais c’est entre les murs blancs du centre culturel, que le film et le concert se font écho, devant des corps impatients, bien vissés sur leurs sièges de cinéma.
Les dix Gangbé sillonnent l’Afrique et l’Europe depuis 15 ans. Héritiers de la tradition des marches militaires de l’époque coloniale, ils ont grandi à l’écoute des cuivres, des instruments à vent et de la caisse claire dans les casernes où vivait la famille. Non loin des églises et des couvents, lieux où résonnent ces instruments baignés dans le syncrétisme avec les cultes vaudou. « Il n’y a pas une seule Eglise où les cuivres ne sont pas joués au Bénin. N’importe quel couvent est un embryon d’une fanfare » explique Wendo Ahouandjinou Martial, tromboniste du groupe. Attaché à cette histoire, le Gangbé a introduit des percussions aux côtés des instruments à vent, et peut ainsi jouer tous les rythmes béninois. Go Slow to Lagos, sorti en juin dernier chez Universal, est leur cinquième et dernier album depuis Gangbé, en 1999. Le titre d’ouverture, Yoruba, se trouve au cœur du documentaire d’Arnaud Robert. Son enregistrement en est même la scène clef. Dans un studio de la capitale nigériane, la voix grave et les envolées du saxophone de Femi Kuti se fondent avec les instruments de la fanfare. Les dernières notes sont suivies d’une explosion de joie, en l’honneur du fils de Fela Kuti.
120 kilomètres seulement séparent Cotonou de Lagos, et pourtant, passer la frontière s’apparente à un pèlerinage pour les dix comparses. « Certains musiciens ont tendance à dire que la consécration de la musique africaine se trouve en Europe. Mais selon nous, les origines de ces musiques sont forcément dans nos pays voisins. Au Nigéria, on retrouve les mêmes couvents, les mêmes divinités qu’au Bénin. La consécration, pour nous, c’est le Nigéria, c’est le Shrine » explique James Vodounnon, soubassophoniste. Une langue en partage, le yoruba, des instruments et des rythmes parents, le high life et l’afrobeat, dont le Gangbé cherche ici à remonter la source. Leur cheminement « to Lagos », est aussi un hommage à Fela Kuti, « père spirituel » qui, passant au Bénin, avait donné sa bénédiction au groupe lors de ses débuts. Disparu en 1997, il n’aura jamais pu entendre leur premier album. Jouer au Shrine, 20 ans plus tard, est la consécration vers laquelle tend l’ensemble du film. De ce graal, pourtant, ne restent que les brèves images des tristes mines en coulisses, après le concert. Un instant si rêvé, si fantasmé, qu’il ne pouvait que décevoir…
Mais l’émotion n’est pas à chercher dans cette scène. Elle se tisse dans les rencontres, qui redessinent, sur le chemin, une histoire de parenté entre les deux pays. Celle des musiciens avec les habitants du village lacustre de Mokoko, où vit, depuis les années 1930, une diaspora de pêcheurs béninois. James, lui-même, est né à Mokoko. Il n’y était jamais retourné depuis. Dans le village, les enfants le suivent, en entonnant les chants du groupe qu’ils connaissent par cœur. « Les traditions ont voyagé. Les rythmes du Bénin sont joués ici à Mokoko. Quitter Ganvié pour Mokoko, c’est comme passer d’un village à un autre, en un instant. C’était important pour nous de faire ce voyage » explique-t-il. Cette autre rencontre aussi, avec Lemi Ghariokwu, l’illustrateur des pochettes de disques de Fela, qui accepte de signer celle de Go Slow to Lagos. Quelques mots échangés dans un atelier replongent dans l’histoire du panafricanisme, évoquée autour de son chantre Fela. Comme cette rencontre encore, à Lagos, avec le percussionniste nigérien Lekan Babalola. Les musiciens, improvisant une transe rythmique, sont pris d’une euphorie collective. « Pour moi le Gangbé, c’est le retour à une musique africaine perdue. J’ai pleuré quand je vous ai entendu pour la première fois » se rappelle Lekan, qui a découvert les rythmes familiers de leurs percussions en 2001, en Angleterre, où il vivait. Il forme peu de temps après sa propre fanfare nigérienne, cousine du Gangbé, l’Eko Brass Band. Les voilà réunis à Lagos pour partager, enfin, une scène, ensemble. Dans cette chambre d’hôtel, un policier frappe à la porte et extirpe les musiciens de leur extase. C’est une habitude, les uniformes jalonnent les pérégrinations des musiciens, signifiant que la circulation entre deux pays si proches ne va pas de soi. Contrôles de police à affronter, soubassophone à démonter, pots de vins à passer sous une manche, réalisateur qui doit se prétendre ambassadeur. Le film propose alors une forme de plaidoyer pour la libre circulation au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) et charme le public du centre culturel Suisse, prompt à l’indignation.
La plupart ne sont pas venus là par hasard, attirés au détour d’une rue par le râle d’un cuivre. Non, ils sont invités, habitués du lieu, fins amateurs de jazz, voyageurs en mélancolie du Bénin, journalistes, institutionnels. Beaucoup se connaissent. Wendo, qui a bien saisi la teneur de cet auditoire, glisse, après les applaudissements, un message de SOS appelant ce beau monde au soutien des musiciens, dont le film témoigne d’une vie frugale dans le village de Ganvié. Le message semble être passé. Après le concert, devant les flûtes de vin, une femme serre chaleureusement la main de l’artiste, lui glissant quelques billets de banque au passage. « Pour vos instruments », dit-elle, une scène du film, sûrement, encore à l’esprit. Celle du luthier de secours, au village, un voisin des Gangbé, rafistolant le saxophone de Lucien Gbaguidi, avec un morceau de caoutchouc découpé sur une tong. Une jeune femme, observant le geste dans le hall, elle qui a dansé longtemps devant son siège, soupire : « Ne peut-on pas écouter la musique simplement pour ce qu’elle est, sans ce rapport Nord/Sud ? ».

///Article N° : 13210

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© Caroline Trouillet
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