Prenez une ville où toutes les crises actuelles sont à l’apogée : pollution industrielle, chômage, migrants. De quoi baisser les bras. Mais à Grande-Synthe, ils se battent pour résister. En sortie le 10 octobre dans les salles françaises.
« Il n’y a pas seulement pour l’humanité la menace de disparaître sur une planète morte. Il faut aussi que chaque homme, pour vivre humainement, ait l’air nécessaire, une surface viable, une éducation, un certain sens de son utilité. Il lui faut au moins une miette de dignité et quelques simples bonheurs. » Cette phrase de Marguerite Yourcenar insérée en début de film marque son projet : rendre sensible, à l’exemple d’une ville et de son maire remarquables, la possible remise en cause de l’exploitation désordonnée du monde dont la finalité principale est de produire des inégalités sociales.
Le problème, c’est que le monde d’aujourd’hui est toujours plus complexe et que les crises s’y multiplient. Et les crises actuelles, Grande-Synthe y est confrontée de plein fouet : économique avec un fort taux de chômage, environnementale avec des industries très polluantes et dangereuses, migratoire à proximité de Calais, sur le chemin de l’Angleterre. Sous l’impulsion de son charismatique maire EELV[1] Damien Carême et des associations, des solutions collectives sont recherchées pour engager la transition écologique, si bien que cette ville de près de 25 000 habitants dont 30 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté devient un vrai laboratoire du futur.
Des jardins partagés au pied des barres de HLM, un carnaval pour faire la fête, un grand parc aménagé pour redonner de l’air malgré la pollution, un aménagement écologique de l’environnement urbain avec promenades et canaux, une université populaire, une grande médiathèque et la multiplication des lieux culturels et sportifs, des logements sociaux économes en énergie, le bio généralisé dans les cantines, l’étude approfondie des comportements animaux pour les protéger… En 2010, Grande-Synthe a obtenu le titre de capitale française de la biodiversité.
Suite à la fermeture de la jungle de Calais, un camp de réfugiés est passé de 80 à 3000 personnes en 2015. Les conditions de vie y furent vite épouvantables. Avec l’arrivée de l’hiver, la municipalité de Grande-Synthe s’est associée à Médecins sans frontières pour leur offrir des conditions de vie décentes en créant un camp humanitaire respectant les normes internationales, en lien avec les associations locales. Yolande Moreau y tournera Nulle part en France en 2016. En avril 2017, une rixe entre Kurdes irakiens et Afghans provoque un incendie qui ravage la moitié du camp composé de chalets en bois.
Inutile de dire qu’il faut de la persuasion à Damien Carême pour que l’élan de solidarité se maintienne dans sa commune. Le film de Béatrice Camurat-Jaud tente d’approcher l’homme pour en saisir la sensibilité. Son engagement est total et sa manière de parler avec émotion de ses administrés autant que des réfugiés fait penser à ce qu’écrivait Léonard de Vinci dans ses carnets : « Observe dans la rue, à la tombée du soir, les visages des hommes et des femmes – quelle grâce et quelle douceur ils révèlent ». On saisit alors l’importance d’élire les bonnes personnes : même si cela reste les citoyens qui changent le monde, la bonne gouvernance facilite grandement les choses !
Béatrice Camurat-Jaud prend cette fois le rôle de réalisatrice alors qu’elle avait précédemment produit et distribué les films de son mari sur les urgences environnementales : Nos enfants nous accuseront (2008), Severn, la voix de nos enfants (2010), Tous cobayes ? (2012), Libres ! (2015). Le film est empreint de cette angoisse face au futur et de cette empathie pour ceux qui se bougent pour changer de paradigme. Pour se détacher d’un reportage, il est construit en puzzle. Des jeunes d’origines variées partagent leurs réflexions : ce sont les comédiens de la Compagnie des Mers du Nord, animée par Brigitte Mounier.
Cette théâtralisation peut sembler parfois plaquée mais elle élargit les propos du maire. Le détour par les associations, qui commence par Emmaüs, ancre dans le réel. L’aide aux réfugiés est réelle, joyeuse, collective. Pour la filmer sans débarquer comme un cheveu sur la soupe, Béatrice Camurat-Jaud s’est intégrée aux bénévoles de l’association RECHO (« refuge – chaleur – optimisme ») qui prépare les repas avec les réfugiés et les distribue.
Une quarantaine d’associations et 6000 bénévoles animent la ville et soutiennent les migrants. A l’heure où l’on est tenté de baisser les bras face au devenir du monde, ce film donne un bon coup de bélier pour se remettre en résistance !
[1] EELV : Europe Ecologie – Les Verts, parti que Damien Carême a rejoint en 2015 après avoir milité au Parti socialiste.