Nous nous sommes connus par internet, sur la maillist du groupe IAM. Quelques échanges de message et on se retrouve dans un café de Montparnasse. Ils sont tous venus : pas de hiérarchie. Et acceptent de prendre la parole. O.B.
Hip’jazz’Hop. Un nom étrange pour une compagnie de danse, même urbaine. Sa prononciation est heurtée et là, ancré en son cur par deux apostrophes, le terme ‘jazz’date d’une autre époque… Pourtant, la troupe est jeune : elle a à peine plus d’un an et ses sept membres ont entre 20 et 25. L’équipage est hétéroclite. On y trouve pêle-mêle étudiants, salariés, chercheurs d’emploi ou de vocation, indépendants, intermittents du spectacle
et parfois un peu de chaque. D’où viennent-ils ? Les index pointent dans toutes les directions, et voilà la banlieue parisienne quadrillée. Côté origines, plutôt suivre les parallèles et les méridiens du globe terrestre. Car après tout, » en plein cur d’agglomérations réputées froides et impersonnelles, dit la chanteuse/danseuse Nabou Fofana, il existe un authentique melting-pot culturel, c’est le Hip Hop « .
Venu de par-delà mers et océans avec les courants migratoires, le Hip Hop apparaît en France dans les années 70. A l’époque, le mouvement faisait juste ses premiers pas, aujourd’hui, il est solidement planté en terre, à l’image de son expression chorégraphique. Les corps entrent en contact direct avec le sol, les figures exécutées comme les vêtements portés sont amples. Il importe avant tout de se mettre à l’aise pour se donner entièrement : » La danse urbaine est très concrète, souligne Céline Lefèvre, danseuse de formation classique, elle s’oppose à l’élévation, à la féerie, en fait, aux illusions entretenues notamment dans la danse classique. »
Les musiques aux rythmes appuyés, les noms des pas de danse (passe-passe, break, locking
), etc., le visage Hip Hop réaffirme sans cesse cette volonté de rompre avec toutes formes d’utopies. » La danse Hip Hop vient de la rue, explique le danseur Ahmed Karetti : à travers elle, j’exprime mes préoccupations quotidiennes « . Pour la danseuse Karla Pollux, » c’est un moyen d’extérioriser ses angoisses, ses craintes ou tout simplement de transmettre ses joies « . Forte de cet espace de liberté, la compagnie Hip’jazz’Hop revendique ainsi son appartenance à un ici, tout en exigeant la reconnaissance de ses ailleurs.
» J’ai la double nationalité algérienne et française, remarque la chargée de production Nasséra Zerkak, et je refuse de choisir entre l’une ou l’autre puisque je suis façonnée de ces deux cultures. » Ainsi, du racisme social à la recherche d’identité en passant par le terrible dilemme du déjeuner au Mac Do ou au KFC, le Hip Hop aborde tous les sujets !
Le réalisme de cette jeunesse lui vaut d’être qualifiée de sérieuse, voire de génération désenchantée. Pourtant, il suffit d’évoquer ses prestations lors des dernières Rencontres des cultures urbaines à la Grande Halle de la Villette à Paris pour que les regards se fassent encore plus expressifs que les mots. L’administratrice Laure Kujawa ne manque pas d’optimisme : » Le Hip Hop dans les théâtres, sur les scènes nationales, dans les opéras
être partout, se présenter tels que nous sommes, là où on ne nous attend pas ! »
A chaque représentation de » Tous les mêmes « , titre de sa création chorégraphique, la compagnie réitère son message : » Des gens différents mais pour tous, les mêmes sentiments. » L’idée est là : dire, montrer, faire découvrir ses différences et les mêler au plus grand nombre. C’est ça Hip’jazz’Hop, un mélange hétérogène, » un mélange géographique, un mélange chronologique, un mélange culturel, comme un morceau de l’Histoire humaine « , précise la designer graphiste Marina Taurus. C’est dans cette mixité que la compagnie Hip’jazz’Hop s’est trouvée. En accord avec son état d’esprit, avec sa nature, elle crée des spectacles d’une intime pluralité.
» J’ai le cheveu noir comme les blés et la peau claire comme l’ébène. De mes yeux verts et bruns je scrute mes cieux multiples : Algérie, France, Guadeloupe, Guyane, Sénégal, Pologne. Autant de territoires tracés sur une Terre unique. Où est ma place ? Là où sont mes pieds. Ils vibrent, marchent, courent et dansent sur tous les rythmes. Que les sons soient ancestraux ou actuels, le frisson est le même. Entraîné par les battements de la musique, par les battements des mains, par les battements du cur, je vous parle. Accordez-moi votre attention, écoutez mes interrogations, comprenez mes colères. Je n’attend ni préceptes, ni conseils… juste la certitude que vous écoutez. Je veux danser sur la scène de vos esprits et en brûler les planches de mon feu intérieur. J’allume ces nouveaux foyers chorégraphiques à tous les niveaux artistiques. Que le paysage soit contemporain ou classique l’incendie est total ! Les flammes se nourrissent d’un combustible inépuisable : mon métissage culturel.
Mon énergie est grande puisque mes sources sont innombrables et qu’elles se renouvellent sans cesse. Je suis riche de cette chaleur et je souhaite vous la communiquer. Pour la partager ensemble, il nous faut un endroit à sa mesure, un lieu vaste, ouvert à tous, affranchi des contraintes ou des conditions préalables. Un champ d’expression à plusieurs dimensions, où les valeurs ne sont imposées par personne et pourtant, entendues par tous. Un espace où nos origines ne sont plus décriées ou infantilisées mais reconnues comme une force. Le Hip Hop est cet univers. Parce que nos malaises sont nombreux et parfois insoupçonnés, nos représentations y revêtent des formes diverses et inattendues. Désormais, la rupture est marquée dans les mots, dans les mouvements et dans les pensées. L’élaboration des identités dépasse les limites du cadre de vie quotidien. Chaque individu s’épanouit et s’affirme en puisant sa sève dans les ramifications de ses racines. «
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