Et il ne vivait que pour le cinéma. Après s’être battu pour que le cinéma ait sa place au ministère de la Culture et du Patrimoine, Solo Randrasana a pu entreprendre un projet qui lui est cher. À l’aide du Fonds Tiasary dont il est le directeur, il a mis en place l’Institut Supérieur de Cinématographie de l’Océan Indien qui devrait ouvrir ses portes à la rentrée prochaine à l’Université Andrainjato Fianarantsoa. Mais en attendant, il a organisé des formations dans les chefs-lieux de province. Les derniers mois de sa vie, il les a passés à réaliser ce rêve devenu enfin réalité. À part ses uvres, Solo Randrasana a laissé comme héritage au cinéma malgache cet institut qui va aider à la professionnalisation du métier.
Domoina Ratsara
Solo Ignace Randrasana, le dernier « dinosaure » du cinéma malgache, s’est éteint le 26 août 2011 à Antananarivo.
Avec son visage émacié et sa silhouette frêle, une casquette toujours vissée sur la tête et une cigarette au bord des lèvres, Ignace aurait pu être un personnage de film. Par pudeur, il avait choisi de mettre en scène la vie des autres pour mieux se raconter. « Fou de cinéma », il avait vu des centaines de films, et se souvenait de chacun, d’Eisenstein à Spike Lee, de Kurosawa à Josée Dayan. Pas besoin de le chercher lors de ses passages à Paris, on le trouvait immanquablement à la Cinémathèque Française. Il pouvait passer des heures à discuter d’un plan, pour achever ses monologues dans un grand éclat de rire. Ironique et provocateur, il disait qu’à Madagascar il avait envie de tout filmer pour montrer aux Malgaches les particularités de leur pays. Chacun de ses films, depuis Very Remby en 1973 jusqu’à la version retouchée d’Ilo Tsy Very au début de cette année, abordait frontalement les thèmes qui lui étaient chers : feux de brousse, vols de zébus, corruption, sida
Ignace disait sans détour son indignation contre l’hypocrisie et les non-dits, quitte à s’attirer les foudres de la censure. « J’essaie de montrer les choses telles qu’elles sont, sans faire du misérabilisme même si j’ai filmé les pauvres dans les poubelles, c’est qu’il y a des gens qui gagnent leur vie comme ça ». Ignace ne cherchait pas à faire des films spectaculaires et se moquait pas mal de la critique. Il utilisait le cinéma comme une tribune pour narrer le quotidien de ces « petites gens » comme il les appelait.
À contre-courant des films commerciaux, Ignace militait pour un cinéma malgache de qualité qui ne pouvait s’obtenir selon lui que par la formation des techniciens et des acteurs. Pédagogue dans l’âme, ses films, truffés de clins d’il, sont des leçons de cinéma. Il aimait partager son expérience avec les jeunes réalisateurs et les incitait à s’exprimer par l’image : « Dans ce pays, il est déjà tellement difficile de faire un film et on manque tellement de produits audiovisuels que je ne me permettrai jamais de critiquer un réalisateur, quel que soit le résultat de son travail, sauf s’il commence à dire n’importe quoi dans les médias ! ». Ignace avait appréhendé ces obstacles plus d’une fois et sétonnait toujours d’arriver à sortir un film : « Il y a quand même un Dieu pour les cinéastes ! » lançait-il comme une boutade. Infatigable conteur, il bouillonnait d’anecdotes sur ses amis, Sembene Ousmane, Djibril Diop Mambéty et surtout Benoît Ramampy. Il les a rejoints discrètement ce 26 août. Il nous laisse un héritage inestimable et atypique, à commencer par Very Remby qui lui valut un prix au festival de Dinard en 1973. Ce docu-fiction, écrit en quelques mois lors de sa formation à l’ORTF, lui avait été inspiré par l’épisode de la Sakay, cette migration des Réunionnais venus s’établir à Madagascar pour cultiver la terre dans les années cinquante. Il en avait fait l’histoire d’une famille tananarivienne fuyant la misère urbaine pour les plateaux de l’Imerina dans l’espoir d’une vie meilleure. Puis, ce fut Ilo Tsy Very en 1986, sur l’insurrection de 1947. Tourné durant l’ère socialiste malgache, le propos de ce film fut détourné à des fins de propagande, ce qui laissa un goût amer à Ignace, à tel point qu’il décida de retourner une version récemment, plus proche de celle qu’il souhaitait initialement. Au milieu des années quatre-vingt-dix, il dirige un documentaire sur le « sambatra », la circoncision collective, cérémonie qu’il filmera à nouveau en 2008. Il cède alors à l’appel de la vidéo pour réaliser Liza (1995), fiction adaptée d’une bande dessinée sur le thème du sida. À partir de 2000, il enchaîne les tournages, tant pour le cinéma que pour la télévision. C’est là qu’il recrute ses techniciens qui le suivront sur Sarobidy (2002), Alakosy (2004) et Malaso (2006), trois longs métrages de fiction sur les « dahalos », les voleurs de zébus. Ignace aimait les marginaux, ou plutôt ceux que la société excluait de la norme établie, et en faisait des héros de cinéma, à son image. À soixante-huit ans, il s’en est allé avec sa « gouaille » et son franc-parler alors qu’il avait encore tellement de sujets à montrer, de « cocotiers à secouer ». « Je ne vis que pour le cinéma » disait-il, alors aujourd’hui c’est tout le cinéma malgache qui pleure son plus ancien représentant. Veloma Razoky, misaotra betsaka Ignace.(1)
1. Adieu l’Aîné. Merci pour tout Ignace.///Article N° : 10375