I am not a Witch (Je ne suis pas une sorcière) de Rungano Nyoni

L’exploitation de la croyance

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En sortie le 27 décembre 2017 sur les écrans français, ce premier long métrage extrêmement prometteur découvert lors de la Quinzaine des Réalisateurs au dernier festival de Cannes est à ne pas rater. Il nous emmène avec une bonne dose d’humour dans un monde fictionnel parfaitement décalé où transpercent de bien réelles et actuelles problématiques.

Je ne suis pas une sorcière est réalisé par une femme, née en Zambie et qui a grandi au Pays de Galles : Rungano Nyoni – connue pour ses courts métrages multiprimés : The List, Mwansa the Great, Listen. C’est un bijou d’humour et de regard distancié, tourné dans les environs de Lusaka, et dominé par une petite fille de neuf ans, Maggie Mulubwa, dont on n’est pas prêt d’oublier le regard. Parti de la constatation que ce sont toujours les femmes qui sont accusées de sorcellerie et que le phénomène se retrouve en différents points d’Afrique, Rungano Nyoni a passé un mois au Ghana dans un « camp de sorcières » vieux de deux cents ans. Cela lui a permis d’en observer l’organisation et les rythmes, ainsi que les conditions de travail des femmes, et d’envisager l’écriture de ce film qu’elle consolida en 2013 à la Cinéfondation du festival de Cannes puis en 2014 au Moulin d’Ande.

Cela commence par un car de touristes qui, sur l’hiver des Quatre saisons de Vivaldi, vont voir comme au zoo une communauté de sorcières, grimées et finalement ridiculement menaçantes. Voici donc un film qui va nous parler de projections et de préjugés et qui, pour ce faire, ne craint pas le décalage. Les sorcières ont toutes un ruban blanc attaché dans le dos qui les empêche de s’envoler car c’est ainsi qu’elles pourraient tuer les gens. Couper ces rubans les transformerait en chèvres. Dans un village, une jeune fille de neuf ans survenue d’on ne sait où, Shula, est traitée de sorcière, si bien qu’elle est finalement intégrée à ce camp de sorcières. Elle se distingue par l’acuité de son jugement pour désigner les coupables de vols, si bien que le commissaire principal la prend comme bras droit. Nous voilà partis dans une série de scènes rocambolesques, extrêmement drôles et parfaitement allégoriques puisque tout au long du film, c’est l’exploitation de la croyance pour asseoir les pouvoirs qui est visée, un sujet parfaitement universel. Cela passe ici par l’industrie touristique, la police et la justice. Sans oublier, puisque ce sont les femmes les sorcières, cette peur de la femme qui fait qu’on la ramène à une menace forcément paranormale puisque développant une étonnante puissance. La jeune fille n’a pas été choisie par hasard : son regard perçant a une force capable de surmonter l’assignation, car c’est de cela qu’il s’agira : vivre assujettie ou vivre libre, au risque d’être dans la peau d’une chèvre.

Cela n’est pas sans rappeler La Chèvre de Monsieur Seguin, une des nouvelles des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, qui a clairement inspiré la cinéaste. Le loup est ici aussi bien la déviation de la croyance que le capitalisme qui assujettit les femmes, même sorcières : de ces femmes exploitées et sans éducation aux perruques qu’on cherche à leur vendre, du gin qu’elles avalent aux contrôles du représentant du gouvernement, de la fourberie télévisuelle au luxe qui a motivé la femme du commissaire à renoncer à son identité… Tout cela s’appuie sur des croyances ancestrales qui sont ici africaines mais n’en sont pas spécifiques puisqu’on a brûlé des sorcières en Europe durant des siècles. On invoque pour faire pleuvoir, on égorge un poulet en sachant très bien qu’il ne restera pas dans le cercle, etc. Mais cela s’appuie aussi sur la mise à part de la différence, comme ces garçons albinos ou aveugles de l’école dont Shula partage le destin. On sait trop combien les albinos sont l’objet de projections, pourchassés dans certains pays pour voler leur coeur et ainsi s’approprier leur force, bon moyen pour des hommes politiques de gagner les élections ! Quand la croyance s’en mêle, on est capable de la pire barbarie.

Un problème ne viendrait jamais par hasard, toujours le produit d’un sort jeté par quelqu’un qu’il s’agira d’identifier et de chasser. Pierre Yaméogo montrait dans Delwende les femmes accusées d’être des « mangeuses d’âmes » et chassées de leur village, projections du trouble qui saisit la communauté et bouc émissaire idéal quand il s’agit de se débarrasser de celles qui dérangent ou comme dans le cas de Napoko, l’héroïne de Delwende, en savent trop.

Alors que Delwende prenait des allures documentaires, le choix purement fictionnel de Rungano Nyoni lui permet de jouer sur une impressionnante force visuelle et un décalage permanent pour ouvrir la réflexion et parodier ceux qui se servent des croyances pour exploiter les autres ou régler commodément leurs problèmes. Ce choix radical de la fiction ouvre ainsi les perspectives. Il tord le cou au pathos pour mieux laisser émerger l’empathie. Et il fait de ce constat une dynamique porteuse d’avenir. Des stratégies d’émancipation sont dessinées, comme dans ce conte que Shula relate où la ruse inverse le rapport d’exploitation, et bien sûr dans le final inoubliable de cette fable flamboyante.

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