« Identité » et « nation », un mariage blanc ?

Les débats du 5ème forum citoyen d'Afriscope

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Le 17 février 2010, Afriscope proposait son 5ème forum citoyen et avait choisi pour cela de le faire en partenariat avec une structure culturelle engagée de banlieue parisienne, Mains d’œuvres à Saint-Ouen (Seine St Denis 93). Sous l’animation incisive d’Ahmed El Keiy, journaliste français d’origine égyptienne connu pour son talk show quotidien « Toutes les France » sur France Ô, le débat réunissait Daniel Maximin, romancier, poète et essayiste guadeloupéen réputé, Rhokaya Diallo, présidente de l’association Les Indivisibles, qui tente de déconstruire les préjugés par l’humour, notamment avec les Yabon Awards, également coauteure de l’appel « Pour une République multiculturelle et postraciale », Mamadou M’Baye, consultant et directeur d’une entreprise de consultants, et qui a participé à l’ouvrage collectif « Qu’est-ce qu’être français » publié par l’Institut Montaigne, ainsi qu’Agnès Lenoire, institutrice, qui a participé au site internet officiel du débat sur l’identité nationale et dont la contribution a été effacée, et qui du coup s’est exprimée dans différents médias.

« Aux Etats-Unis, le fait de ne pas être blanc ne renvoie pas à être étranger ». C’est Rhokaya Diallo qui s’exprime, femme forte à la tête de l’association Les Indivisibles, qui cherche à déconstruire les préjugés ethnoraciaux et dont Afriscope publie régulièrement les « réa-fictions » en photos. « On travaille beaucoup cette question dans la société française ». Le racisme est certes réprimé par la loi mais un racisme du quotidien dans les expressions utilisées est très partagé !
Le débat sur l’identité nationale a-t-il ouvert des césures ? « Le débat commence juste, n’en déplaise à Fillon » : pour Mamadou M’Baye, il est essentiel de savoir ce qui définit l’identité française au 21ème siècle mais « le débat a été mal posé par les mauvaises personnes ». Dénonçant le fait que ce débat a concerné l’immigration « qui est une question annexe », il a appelé à le reprendre d’une façon globale.
Agnès Lenoire ne pouvait que renchérir : « il aurait été intéressant si on avait pu découvrir que l’identité était plurielle : faire découvrir la multiplicité des cultures et leurs richesses ». Sur le site officiel du débat, elle avait mentionné qu’on avait vanté l’ouverture sur les autres dans l’Union européenne et qu’on nous demandait de nous replier sur nous : son intervention a été censurée.
Pour Daniel Maximin, « il ne faut pas confondre l’usage politique d’un débat avec la question elle-même », reprenant l’appel d’Africultures à intervenir sans cautionner : « Je ne vais pas juger une action qui a été faite pour m’empêcher de réfléchir. » Plutôt que de se laisser piéger, il pose une question permanente, « celle du rapport entre nous ». « Si on a ce résultat qui n’est pas glorieux, c’est que la réalité de l’identité a été plus forte que la façon dont on a posé ce débat ». La réalité ? « Elle est métisse, tout simplement ». C’est tellement vrai que certains essayent de le cacher. « Ce débat n’était pas fait pour faire advenir le réel mais pour empêcher que ce réel soit trop vu pour que des stratégies politiques de peur puissent fonctionner ». La seule chose à faire est donc de rappeler la réalité : « Non l’envahissement par l’étranger mais le fait que l’étranger est là ». Si le sujet est biaisé, c’est bien parce qu’on évoque l’exclusion de certains.
Mais alors comment parler d’identité nationale ? « Les identités sont mouvantes », répond Daniel Maximin. « L’école de la République est faite pour fabriquer du vivre ensemble. Ce qui rapproche, c’est la culture. On ne partage pas tout mais avec le temps, la vie fabrique du commun, du partage. On ne naît pas français, on le devient. Je parle en Antillais : j’ai quatre continents dans mon sang pour faire un Guadeloupéen ! La France a commencé avec les abolitions de l’esclavage : la citoyenneté au-delà de la race, de la religion. »
Pour Rokhaya Diallo, ce n’est pas un gouvernement qui doit poser la question de ce que c’est qu’être français : « C’est une stratégie de diversion. On ne les a pas attendus pour poser la question de l’identité ! » « La République a du mal à reconnaître ses citoyens, a-t-elle ajouté : quand un policier contrôle au faciès, il a une idée très précise de l’identité nationale ». La question des appartenances multiples est effectivement très problématique en France : « si des supporters d’origine algérienne portent le drapeau algérien dans un match de foot, on les traite de traîtres à la nation ! Il faudrait faire preuve d’une allégeance sans faille où la critique n’est plus possible. Si vous manquez de respect envers le drapeau français, vous encourez depuis 2003 une amende de 7500 euros. »
Selon Mamadou M’Baye, « on est un pays né d’une transgression fondamentale qui s’est extirpé de la monarchie pour aborder la République : liberté, égalité, fraternité est un appel à la transgression ! » Qui connaît les sept strophes de la Marseillaise ? « Mon identité est ma réalité, mon devenir : se poser la question de ce qu’est la France c’est se poser la question de ce qu’est ce pays. » Karim Bouamrane, maire-adjoint de St Ouen présent dans la salle, a pris la balle au bond : « Ce qui m’interroge c’est le pacte républicain. J’aurais souhaité que la question de l’identité nationale ait été posée à travers ce prisme de l’égalité, liberté, fraternité. Ces trois notions progressent-elles ou régressent-elles dans notre pays ? » Mamadou M’Baye lui a clairement répondu : « On n’est pas dans un système où les libertés fondamentales sont assurées, ni dans un monde fraternel, et encore moins dans un monde de liberté d’expression. On nous rabat pourtant tous les jours ces principes fondamentaux. Ce pays est à reconstruire ! »
Dès lors, comment rapprocher l’idéal républicain de la réalité ? Pour Daniel Maximin, cet idéal n’est pas une réalité mais un projet : « La pire des choses pour nous tous, c’est de croire à un essentialisme. Tout est dans un mouvement. C’est la grande bataille à répéter que de l’affirmer ! Le projet laïcité-citoyenneté est un projet à réaliser : « Ce n’est pas un rêve : on ne baisse pas les bras parce que ce n’est pas fait ». 1794 : c’est « la bagarre dans nos îles » qui aboutit à ce que la Convention signe l’abolition au nom du fait que les hommes sont égaux.
Mais que fait-on aujourd’hui pour vivre en adéquation avec ces valeurs ? « Faire le constat de la distance entre ces valeurs et la réalité doit nous positionner », répond Mamadou M’Baye. Comment organiser nos sociétés pour qu’elles tendent vers ces aspirations ? Taguief disait que lutter contre le racisme ne résoudra pas la racialisation des rapports sociaux, indique quelqu’un dans la salle : la question de l’identité nationale ne doit pas dispenser d’aborder les questions sociales.
« Des concitoyens se sentent agressés par le voile intégral ou des prières dans la rue », signale Ahmed El Keiy. « On ne peut pas virer ça d’un revers de main. Paris n’est pas la France. » « Cela tient au fait qu’on monte en épingle des épiphénomènes », répond Rokhaya Diallo : « Il y a une femme qui meure tous les 2,5 jours sous les coups d’un homme. Il y a des problèmes plus importants que la burqa ! » « Le piège de la burqa était de le lier à des femmes, puis à une religion, puis aux gens qui ont cette religion, puis aux Arabes qui sont des immigrés », note Daniel Maximin qui en appelle à parler de ce que c’est que la France, et non d’une frange de la population seulement. Un Camerounais présent dans la salle lit un extrait d’un texte qu’il a écrit : « Je crois encore et toujours à une île de France fraternelle, à l’identité multiculturelle »…
L’école est évoquée. Agnès Lenoire, directrice d’école « où l’on tente la fraternité » parle des logiques d’évaluation de l’éducation nationale « qui transforme les profs en robots » et de la pression des parents catastrophés face à la diversité, qui « contredisent notre souci du vivre ensemble ». Un logiciel, Base élèves, qui est une base de données sur internet dans laquelle les directeurs doivent rentrer les inscriptions des enfants. Il fallait mettre la nationalité, ce qui occasionné des craintes. La CNIL a dit que le fichier n’était pas sûr et était à revoir. Le ministre a envoyé un courrier en disant qu’on avait plus à mettre le pays de naissance. L’item s’est transformé en « France » et « autre » ! Au lendemain de la clôture du débat par Eric Besson, les écoles ont reçu des directives : le drapeau français doit flotter au fronton des écoles, les élèves doivent apprendre et chanter la Marseillaise, les élèves doivent avoir un carnet d’instruction civique où ils devront noter leurs impressions autonomes et citoyennes…
Daniel Maximin rappelle qu’il a commencé sa carrière comme jeune prof dans un bidonville, une cité d’urgence d’Orly où est née la génération beur, celle du rap et du raï. « Les enfants ne cultivent pas des identités forgées. L’homme fabrique du neuf avec ce qu’on lui impose. L’identité est dans sa capacité à intégrer du neuf. Si les jeunes se révoltent, c’est qu’on les empêche d’être français ! » Cela pousse Rokhaya Diallo à souligner que les immigrés africains ne sont pas confrontés aux mêmes conditions que les autres immigrations. « Pasqua a supprimé le droit du sol, ce qui change complètement la donne : les immigrés postcoloniaux connaissent une réelle discrimination en terme de papiers. »
« Ils ont utilisé les valeurs de la République pour lutter pour que leurs enfants ne soient pas discriminés. Ces valeurs n’appartiennent pas à la France, elles viennent de la bataille des Noirs d’Amérique pour l’abolition de l’esclavage. La devise vient d’Haïti ! » s’est écrié Daniel Maximin.
Une psychologue de la salle rappelle que l’identité n’est pas une essence mais une représentation de soi, construction subjective assortie de sentiments négatifs ou positifs. « Une carte d’identité n’est pas un diplôme d’identité », ajoute-t-elle, ce qui pousse Rokhaya Diallo à souligner que les droits à conquérir sont politiques et non des sentiments.
Le débat sur l’identité nationale est dominé par les peurs et en cela symptomatique d’une crise. Par contre, comme le dit Daniel Maximin, « tout débat appuyé sur la réalité fait avancer les choses ». Et de rappeler que Sartre disait que l’important n’est pas ce qu’on fait de nous mais ce que nous faisons de ce qu’on a fait de nous.
Entre identité et nation, ce n’est donc pas un mariage blanc mais, comme le souligne Mamadou M’Baye, « un mariage à redéfinir ».

///Article N° : 9310

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