Ils s’appellent Small Devil, No Good Advice, Chicken Hair, Butterfly, Pussy Cat, Nasty Plastic, Jungle Rocket, Young Major et leurs chefs Never Die ou Dust to Dust. Fringués comme à mardi gras, drogués et vociférant l’anglais cassé de Monrovia, d’énormes armes à la main et volant et tuant à tout bout de champ, ils sont dressés en bande pour faire régner la terreur. Voilà qui est photogénique à souhait, le steadycam permettant de filmer à la hauteur des enfants tout en donnant au tout un certain vertige. Ce sont de vrais anciens enfants-soldats, et le film est tourné sur place, au Liberia – une performance liée au soutien direct de la présidente Ellen Johnson Sirleaf élue en janvier 2006, soucieuse de montrer que le pays change. Le paroxysme est de rigueur dès la scène d’ouverture, filmée très près des corps, montée en cascade, lumière et son saturés, avec un fils forcé de tuer son père avant d’être capturé. « Si t’as peur de mourir, fallait pas naître » : ce sera le slogan du film, pas vendeur pour un sou
Johnny Mad Dog, 14 ans, dirige la section. Diriger est un grand mot dans un tel chaos. Il se croit invincible avec ses gris-gris et ses crucifix qu’il porte à même la peau, possède les femmes comme Fatoumata qu’il renomme Lovelita et tuera elle aussi quand elle sera jalouse. « Sans hommes, pas de guerre ». Les scènes de tension se succèdent, entrecoupées de passages plus calmes en lumière tamisée où la caméra et le son se calment pour suivre Laokole, brillante élève de 16 ans, qui tente de sauver son père infirme et son jeune frère. Une histoire un peu guimauve se greffera autour de la rencontre de Mad Dog et Laokole, guimauve car en lui disant que l’amour et le viol sont deux choses différentes, elle rencontre ce qui chez l’adolescent s’éveille : un doute sur ce qu’il est en train de faire.
Il est dit que le film est adapté du roman d’Emmanuel Dongala, Johnny chien méchant, écrit à la même époque que le récit picaresque d’Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé. Alors que la dernière oeuvre de Kourouma est une méditation sur l’incapacité du langage à dire le mal et l’absurdité existentielle, celui de Dongala oppose le mal et la rédemption à travers les deux personnages. Johnny sème la mort tandis que Laokole tente de sauver des vies, ce qui ne l’empêchera pas d’assassiner symboliquement Johnny à la fin du livre avec une Bible. « Je ne voulais pas tomber dans le journalisme ou la chronique, » dira Dongala dans un entretien à Africultures, « mais voir comment mes personnages souffrent et réagissent ».
Le film semble à des années-lumière de ce projet, tant justement il restaure la chronique dans son souci d’être proche de « la réalité ». « Je voulais juste m’approcher de la vérité », indique Sauvaire. Revoilà le vieux défi d’éveiller les consciences en collant au réel de la violence, dont on sait combien la transposition cinématographique le voue à l’échec quand cela conduit à mobiliser davantage chez le spectateur la pulsion du voyeur que l’autonomie de la réflexion. Dans le cas de l’Afrique, s’ajoute le poids des clichés sur le continent des drames qui nous font prendre pour argent comptant tout discours dénué de complexité sur la violence. Poussé par son producteur Mathieu Kassovitz à radicaliser le film, Sauvaire concède qu’il l’a « recentré sur l’histoire là où j’aurais aimé l’amener vers quelque chose de plus sensitif et formel ». La communication du film est dès lors centrée sur le casting qui sélectionnera 15 enfants sur 500 ou 600, le travail préparatoire fait durant un an avec les élus, les difficultés de tournage, la place laissée à l’improvisation, le souci de ne pas les laisser tomber ensuite en créant une fondation
La bonne intention demeure mais le résultat est affligeant.
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