Köte

D'Idrissa Soumaoro

L'enseignant dépouillé
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Un événement : Idrissa Soumaoro, auteur de « Ancien Combattant » mais dépouillé de son oeuvre, vient de sortir  »Kote », un 2ème album chez Syllart-Productions après près de trente ans d’absence sur le marché du disque. Portrait d’un homme remarquable qui a traversé la musique malienne.

Au Mali, dans la lignée des Soumaoro, on naît forgeron ou commerçant. La descendance n’enregistre aucun artiste connu des contemporains dans l’arbre généalogique. Idrissa constitue donc l’exception de la règle,  » contaminé  » qu’il fut dès sa petite enfance par le virus de la musique dans les salles de cinéma de Quinzambougou, quartier populaire de Bamako où il passait ses vacances scolaires chez ses oncles.
En ce milieu des années 50, tous les habitants de Ouéléssébougou n’avaient d’yeux que pour Monsieur Diakité, son beau-frère, directeur de l’école élémentaire de cette paisible localité, à 75 km au sud de Bamako, capitale du Soudan Occidental (l’actuel Mali). C’est certainement sur ses conseils que le vieux Soumaoro, son beau-père, accepte de scolariser le petit Idrissa dès l’âge de sept ans, qui tombera en admiration devant les qualités exceptionnelles de cet instituteur hors paire : « J’étais fasciné par le personnage de mon beau-père, homme juste et intègre. Il cultivait la rigueur du travail bien fait. La délicatesse et la précision de son savoir communiquer suscitèrent ma vocation d’enseignant. Je voulais lui ressembler. Pour plonger dans l’univers intégral de mon  »idole », je quitte la cour de papa et maman et m’installe dans sa famille, mue par l’amour filial et l’admiration. Avec ses petits-frères dont il avait la charge, jamais on ne se couchait sans avoir récité nos leçons du lendemain. Il aimait beaucoup la musique, il possédait même une guitare mais je ne l’ai jamais vu en jouer. C’est mon père spirituel « .
Pendant ses vacances scolaires à Bamako, Idrissa déambulait avec ses camarades d’âge dans les lieux d’animation comme les gares routières et les abords de cinémas qui diffusaient une brassée de films indous aux images et à la musique romantique. Subjugué par ce bouillonnement urbain, le jeune rural découvre et se laisse charmer par des instruments comme l’harmonica, la flûte et le timbo.  » Pendant les longues heures d’attente des clients, pour tromper l’ennui et supporter la canicule sahélienne, les apprentis chauffeurs amusaient voyageurs, vendeurs ambulants et passants en jouant de l’harmonica et du timbo. Le timbo est une caisse rectangulaire avec une ouverture sur la face supérieure, au-dessus de laquelle trois lame à scie de longueur différentes sont fixées. Disons que c’est un piano à pouce. De la main droite, on joue les lames et de la gauche munie d’une bague, on tape la caisse de résonance. Avec cet instrument, facile d’être autonome si on sait un tant soit peu chanter. Je passais le plus clair de mon temps sur ces scènes rudimentaires pour m’abreuver de ses chansons empruntes d’humour, racontant le quotidien et les petites amours. Séduit par ces artistes informels, je commençais à tâter de l’harmonica. Un jour, avec mes petites économies d’argent de poche, à défaut d’un harmonica, trop cher pour moi, je m’offre un  »pipo » pour reproduire les chansons des films indous que j’avais vus. J’ai rapidement maîtrisé le pipo, ce jouet d’enfants, une flûte de six trous en plastic, en même temps que l’harmonica. Après les vacances, retourné au village avec mon instrument, je me suis rapidement fait repérer : dès qu’on entendait un air de chanson indou, on se doutait que j’étais dans les parages « .
Idrissa, élève studieux, passe tranquillement du primaire au collège dans sa cambrouse, fait la navette entre Ouéléssébougou et Bamako à la faveur de ses vacances et suit tout seul son apprentissage d’artiste en herbe à la flûte, à l’harmonica et à la guitare avec une maîtrise étonnante, nourrissant le secret désir de monter un groupe dans le village de ses pères.  » Au second cycle, j’ai eu un professeur qui jouait un peu de la guitare. Un jour de 1966 il emprunta la guitare de M. Diakité qu’il accorda. Il m’avait en estime. Je pouvais donc lui demander de me la prêter. Quand il me l’a remise, il se doutait que je ne la lui rendrait plus. Ce fut donc ma première guitare que j’ai immédiatement accordée pour reproduire le son du n’goni. Cet instrument malien à six cordes du Wassoulou (sud du Mali) est joué essentiellement par les chasseurs, d’où son nom dozo-n’goni (le n’goni des chasseurs). Avec le n’kussoun-balan, une variante du balafon, ils constituent la base du blues et du jazz car ils ne peuvent jouer que cinq tons. En 1967, quand je préparais le diplôme d’études fondamentales (D.E.F) , j’ai monté le Djitoumou-Jazz à Ouéléssébougou. Ainsi, à 18 ans, j’avais mon premier groupe. Tous les samedi soir, on organisait notre bal poussière dans une salle de classe, devenu très vite polaire et le principal rendez-vous des chauffeurs entre notre village et la capitale. Il n’en fallait pas plus pour convaincre toute la communauté que je finirais mes études dans la filière musicale.  »
Le D.E.F en poche, le jeune Idrissa entre à l’Institut National des Arts de Bamako, naturellement en section musique. Dès la troisième année, il disposait d’un important volume de compositions pour que l’Office de Radio Télévision du Mali (O.R.T.M) l’invite à enregistrer une série pour les programmes de variété. C’est ainsi qu’il met en boite  »Ancien Combattant  » en 1969, inspiré par une altercation dont il fut témoin entre le vieux Filiba Sacko, ancien combattant retraité et l’irrespectueux jeune Sidi qui osa pourchasser sa soeur et la battre aux pieds de l’ancien. Indigné par cette déconsidération extrême, le chef de famille enflamma le garçon d’une avalanche d’injures tout en l’assenant de son digne parcours de combattant de la deuxième guerre mondiale. Le succès fut instantané à travers tout le Mali et dans les pays limitrophes. Le tube sera piraté en Côte d’Ivoire, plagié en Guinée Conakry et par le congolais Zao qui depuis 1987, l’exploite à l’international et jouit des droits jusqu’à ce jour.
 » La copie originale de ce titre fut copiée par un escroc qui l’a revendu à 25 000 Cfa (38 euros) à Safiédine, un producteur libanais à Abidjan qui sort le 45 tours en 1970. Zao, lui, a retrouvé les paroles et l’analyse sémantique de ma composition dans la revue culturelle  »Tradition Orale » éditée par une association universitaire française. J’ai reçu l’un des membres à Bamako pour une étude musicologique des traditions orales en 1977. Sans sourciller, le lauréat des Découvertes 82 de R.F.I s’approprie mon œuvre. Malgré mes nombreuses revendications auprès de la S.A.C.E.M, je n’ai toujours pas obtenu réparation. Je recherche quiconque pourra décanter cette affaire pour moi. Voyez-vous, c’est en partie à cause de toutes ces malhonnêtetés que je n’ai jamais voulu me départir de mon idéal d’enseignant, malgré les volumineuses propositions pour intégrer la scène du show-biz. Mais au fond ma vocation se situe ailleurs que dans les mondanités. Je m’identifie à mon beau-frère et directeur de mon école primaire. Ma passion c’est de communiquer à d’autres ce que j’ai reçu de mes maîtres « .
Au bout de quatre ans d’études, un concentré de solfège, de pratique du piano, de guitare, de la flûte, du chant et bien d’autres instruments, Idrissa se distingue dans le peloton des quatre meilleurs de sa promotion en 71. L’administration l’affecte à l’Institut pédagogique d’Enseignement général de Diré à des centaines de kilomètres au nord de Bamako pour non seulement enseigner mais aussi explorer les traditions musicales de la région. En 73, à sa demande, il obtient sa mutation à Bamako où il réalisera un recueil composé d’informations pédagogique sur le chant, de textes de chansons populaires et scolaires accompagnées de leur partition auxquels il ajoute des créations personnelles. Cet ouvrage sera enrichi par la suite par le Comité pédagogique du lycée de Badalabougou et continue de servir aujourd’hui encore. Enseignant le jour, artiste la nuit, Idrissa continue d’animer différentes scènes musicales et finit par intégrer les Ambassadeurs du Motel aux côtés de Salif Keïta, Kanté Manfila, Mory Kanté etc. C’est ainsi qu’il se lie d’amitié avec le non-voyant Amadou Bakayoko. En 78, suite à l’éclatement de la mythique formation de la capitale, il demande son détachement au ministère de la Santé avec en tête le projet d’aller avec Amadou Bakayoko encadrer musicalement les élèves de l’Institut National des Aveugles de Bamako :  » Je suis très sensible à la souffrance de mes semblables. Tout petit, je fondais en larmes à la vue d’un handicapé. La rencontre avec Amadou Bakayoko réveilla quelque chose d’enfoui dans mon subconscient. Après le départ en Côte d’Ivoire, des musiciens professionnels des Ambassadeurs du Motel, j’ai décidé de donner un sens social à ma pratique musicale. J’étais mû par quelque chose comme un appel divin pour participer à l’émancipation de ces jeunes non-voyants qui suivaient des formations aux petits métiers et à l’artisanat. Dès mon arrivée dans cet Institut où je resterai 18 ans, la première action a été de constituer une formation baptisée  »Eclipse » avec des encadreurs et les élèves d’un niveau musical acceptable. Musiciens et comédiens tous ensemble, on parcourait le Mali pour informer les populations sur la mouche vecteur de transmission de la maladie et ses zones de développement, sur les règles élémentaires d’hygiène et conscientiser sur les problèmes des non-voyants. Au bout de trois ans de pratique, j’ai réussi à monter Miriya (la pensée), un orchestre moderne composé exclusivement de non-voyants avec pour chef d’orchestre Amadou Bakayoko et sa femme Mariame Doumbia comme chanteuse principale. Le succès national de ce projet a favorisé l’obtention d’une bourse pour aller en 1984 étudier la musicologie braille en Angleterre à l’Université de Birmingham où j’ai passé un diplôme d’éducateur spécial des handicapés visuels « .
Quand Idrissa Soumaoro revient en 1987 dans son Mali natal, il a dans ses mallettes en plus des diplômes universitaires, le Prix Elisabeth Williams du Royal National Collège et celui de l’Académie de Musique pour les handicapés visuels de Hereford. Il occupera divers postes de direction avant d’être nommé Inspecteur général de Musique au ministère de l’Education nationale en 1996, poste qu’il occupe encore aujourd’hui.
Sa dimension de cadre supérieur ne l’a jamais départi de la pratique de terrain Son attachement aux valeurs fondamentales lui attire le respect de son entourage. Marié depuis 1973 avec Mariame Cissé, économiste de la famille et conseillère pédagogique, avec qui ils ont cinq enfants, il n’est point tenté par la polygamie. Travailleur infatigable, il a le verbe posé, la narration poétique et cultive un sens aigu de la justice. Et pourtant il est certainement le seul artiste d’Afrique Occidentale qui ait été le plus honteusement volé.
 »Kote » album de 14 titres produit par Syllart Productions en 2003 est la première véritable œuvre commercialisée pour Idrissa Soumaoro après 34 ans de pratique musicale et un volume impressionnant d’enregistrements inédits.
Si votre chemin passe par Bamako, aller traîner au Komogel ou à l’Eden Village ou encore à l’Hôtel de l’Amitié : vous aurez une chance sur deux de le voir avec sa gratte ou l’entendre souffler dans son harmonica l’un de ces airs crépitant des Songhail (prononcez sonraille) ou une de ces mélodies fluides des Bamana.

///Article N° : 3218

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