La culture de la débrouille

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Au cœur d’un secteur culturel bouillant d’initiatives, quelques hommes et femmes, acteurs culturels au pays du football, affrontent chaque jour un environnement peu ouvert à la création artistique. Avec des bouts de ficelles et une passion à toute épreuve, des artistes et des opérateurs culturels inventent des solutions pour surmonter les obstacles.

Loin des préoccupations du gouvernement et dans un milieu où le public ne sait pas encore que la création artistique est aussi un dur labeur, le développement culturel au Cameroun a plongé dans l’informel. Artistes et opérateurs culturels sont logés presque à la même enseigne que les vendeurs à la sauvette et les petits laveurs de véhicules qui encombrent les chaussées des grandes artères de la capitale camerounaise.
Face à l’incompréhension des uns et aux mépris des autres, les combattants de la culture n’ont de choix que la débrouille et inventent des solutions pour dompter la précarité. Dans un tel contexte, le talent et l’inspiration ne sont pas seulement au service de la création car il en faut aussi pour réunir les conditions nécessaires à la production et à la diffusion des œuvres artistiques.
Une formation sur le tas
Ainsi, à l’absence de structures de formation professionnelle, ils répondent par l’organisation permanente d’ateliers et stages de formation. Les enseignements dispensés dans ce cadre sont loin des canons académiques car tout le monde ou presque a appris sur le tas. Et ici, on n’est pas vraiment en quête de diplômés, car il s’agit de trouver très vite, par le partage d’expérience, des personnes capables d’intégrer un projet. Si, des années durant, on s’est surtout penché dans la formation artistique, aujourd’hui, les exigences du marché international ont favorisé la mise en place de stage de techniciens du spectacle vivant, d’administrateurs de structures culturelles et de managers en carrière artistique.
C’est par le biais de ces stages et d’ateliers que sont nées la plupart des compagnies théâtrales et chorégraphiques. En effet, pour ne pas sombrer dans la léthargie qu’impose l’Ensemble national à ses musiciens, comédiens et danseurs, quelques-unes d’entre eux ont choisi de développer leurs propres projets en marge de cette structure créée par l’Etat il y a des lustres. Faute de comédiens, il a fallu en créer, et c’est de cette école qu’est issue pratiquement toute la nouvelle génération de comédiens et metteurs en scène camerounais. C’est aussi ce qui justifie le fait que la plupart des compagnies camerounaises capables de produire un spectacle de bonne facture soient installées à Yaoundé, siège de l’Ensemble national.
Dans le renouvellement des créateurs camerounais, ce schéma est pratiquement le même dans tous les domaines du secteur culturel. En arts plastiques par exemple, le nom du professeur Kenfack, peintre de renom et professeur à l’université de Yaoundé I, est pratiquement dans tous les CV, et celui de Mayo Gabriel, guitariste émérite et chef d’orchestre du groupe Vibrations, très connu des jazzophiles, dans celui de tous les jeunes musiciens qui s’imposent aujourd’hui sur la scène camerounaise et qui constituent les groupes les plus en vue. Bien entendu, la plus grande école des musiciens reste le cabaret. C’est là qu’on rencontre le grand frère qui se chargera de l’initiation et c’est aussi là qu’au fil des ans, on améliore sa technique en se produisant régulièrement et en côtoyant les plus doués.
Parce que la formation aux métiers du spectacle n’est pas encore vraiment régulière, on compte très peu de personnes qualifiées dans ce domaine. Mais les compagnies se débrouillent avec l’existant. Les techniciens des Centres culturels français aident à la création de lumière et au montage des fiches techniques ; les quelques managers et administrateurs  » formés  » aident à la réalisation des dossiers de presse et au montage des dossiers de financement pour des projets de création ou de tournée.
Manque d’infrastructures
Mais, il n’y a pas que dans la création des compétences qu’on tisse avec des bouts de ficelles. Le créateur camerounais doit aussi surmonter le manque d’infrastructures. La solution pour la majorité des créateurs est dans l’alternance. On démarre généralement la création dans une salle de classe, une arrière-cour ou dans la chambrette d’un copain et  » on va voir ce que ça donne  » dans la salle de spectacle du Centre culturel français ou dans un cabaret, les deux lieux qui, au Cameroun, disposent d’un équipement en son et lumière pour les premiers et en son uniquement pour le second. Pour les musiciens, les salles de cinéma font office de salles de concert dont on remplit les mille places en partageant l’affiche à cinq ou à dix – à moins d’être une star comme Petit Pays, K-Tino ou Longué Longué.
On note cependant, depuis bientôt cinq ans, la création de lieux culturels privés qui mettent leurs espaces à la disposition des artistes. C’est le cas du Centre d’art contemporain Africréa sis au quartier Bastos de Yaoundé, du Centre culturel Le Petit Tam-Tam de Nlongkak et à Douala, du Centre de jeunesse et d’animation d’Akwa pour ne citer que ceux-là. Exception faite du Petit Tam-Tam qui peut mettre à disposition un équipement son et lumière, les autres lieux ne disposent en fait que d’une scène et de quelques néons pour le travail en nocturne.
Pour les musiciens, le développement de l’informatique au Cameroun a été une véritable aubaine. En quelques années, on est passé des quatre studios d’enregistrement que comptait le pays à une centaine de petits studios qui ont permis de décupler la production discographique camerounaise. Si la qualité sonore de ces productions est plutôt médiocre, ce n’est heureusement pas une exigence pour le public camerounais. Malheureusement, ces productions faites à la hâte dans ces petits studios avec des techniciens qui ne le sont que parce que le matériel leur appartient, ne franchissent pas le marché local. S’il est vrai que les éditeurs de musique ne travaillent pas beaucoup à l’export, la qualité artistique et sonore de la plupart des productions locales ne les y encourage pas.
Comme dans le domaine musical, c’est le développement du numérique, auquel il faut certainement ajouter le dynamisme de deux réalisateurs, Bassek Ba Kobio et Jean-Pierre Bekolo, qui ont permis au cinéma camerounais de refaire surface après une interruption de près de vingt ans. Il faut savoir qu’au Cameroun, à partir d’un certain seuil financier, certaines initiatives artistiques ou culturelles ne peuvent se développer que si les promoteurs disposent des atouts pour aller chercher des financements et même des compétences ailleurs. C’est le cas du cinéma. Aussi, en dehors des petites réalisations vidéo qui ne demandent pas de gros financements, des productions comme Le Grand Blanc de Lambaréné de Bassek Ba Kobio ne peuvent s’envisager sans un financement extérieur. L’aide du ministère de la Culture est souvent si ridicule qu’elle n’intéresse vraiment que les petits producteurs de documentaires vidéo. Pour exemple, le ministère a attribué à Jean-Pierre Bekolo un financement de 5 millions Fcfa (7600 euros) pour une production qui se chiffre à un milliard de Fcfa (1,5 million d’euros)…
Les problèmes de la diffusion sont pratiquement les mêmes qu’en aval. Chorégraphes, metteurs en scène, peintres, photographes, musiciens sont obligés de faire la queue dans les institutions culturelles étrangères, à l’instar des Centres culturels français, pour présenter leurs œuvres au public dans les meilleures conditions possibles ou tout simplement pour les présenter. Il faut cependant reconnaître que du côté des arts plastiques, les choses ont beaucoup bougé ces dix dernières années avec la création de nombreuses galeries dont les plus en vues sont Doual’art et la Galerie Mam à Douala ainsi qu’Africréa à Yaoundé.
C’est en multipliant les festivals que les hommes de théâtre ont trouvé un palliatif à l’absence de lieux de diffusion. Grâce à quelques metteurs en scène, le Cameroun compte aujourd’hui cinq festivals de théâtre dont deux pour des spectacles tout public, deux pour l’enfance et la jeunesse et un festival de conte. Le financement des festivals ne provenant en grande partie que des organisations internationales, tous ces événements sont contraints à une programmation internationale. C’est ce qui justifie le fait qu’à côté des sept festivals internationaux que compte le Cameroun, il n’existe aucun festival national en dehors du Festival national des arts et de la culture (FENAC), organisé par le ministère de la Culture.
A chaque étape de la chaîne de production artistique, les artistes et leurs incontournables accompagnateurs que sont les opérateurs culturels ont trouvé des astuces pour surmonter les obstacles. Mais il en faut bien plus pour faire face à la piraterie, pour construire une véritable salle de spectacle, pour créer une école.

Directeur Artistique de l’association Scène d’ébène, Guy-Marc Tony Mefe a participé à l’organisation des RETIC’98, du MASA’99, du Ngombi festival Bangui 2000 et 2002, de la Rencontre Afrique Synergie de Bangui en février 2000. Manager de talent, il a depuis 1996 accompagné de nombreux groupes camerounais et africains dont Cyril Effala, Marcellin Ottou, Kayou Band, Otoulbaka du Cameroun, Tibesti du Tchad, Frères de sang du Bénin. Il est coauteur du Guide d’initiation au métier de manager en carrière artistique en Afrique publié en décembre 2003 aux éditions Pages, Yaoundé.
///Article N° : 3497

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