La danse macabre des maquisards : vues du « théâtre des affrontements »

TRANS De Julien Mabiala Bissila et Delavallet Bidiefono avec le collectif Zavtra

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Cette année, le metteur en scène Julien Mabiala Bissila et le chorégraphe Delavallet Bidiefono associés au collectif limougeaud Zavtra ont présenté TRANS, une création née de leur rencontre à Brazzaville.

Après sa pièce radiophonique Dog Jazz créée pour la performance d’Armel Roussel Après la peur programmée en 2015 au Festival des Francophonies de Limoges, après son spectacle Au nom du père, du fils et de J.M. Weston monté au Tarmac, Julien Mabiala Bissila enrichit sa dramaturgie pessimiste en convoquant danse macabre et musique dionysiaque, le temps d’un spectacle sur la mort et demie entre le Tapis Rouge de Nadia Beugré et une peinture farcesque de Chéri Samba.

Un titre préfixal en attente d’une suite qui ne vient pas, suspendu au-delà du sens, dans un mouvement perpétuellement prolongé. TRANS, c’est un spectacle plastique, ductile et informe comme le monde, mais le monde au lendemain du chaos, quand il retient sa propre vitalité, coute que coute, menacé par le  » cosmocide « .
Dans le huis clos d’un aéroport, chacun attend quelque chose : l’horaire du bus, le passage du train, la direction de l’oasis, le décollage d’un avion ou la dépouille d’une épouse victime de l’attentat terroriste contre le DC10 de la compagnie UTA en 1989.

Ça commence comme une manchette de journal, comme une mauvaise nouvelle envoyée depuis le  » théâtre des affrontements « . Ensuite, la mort contamine tout : le langage est tué par le slogan, le proverbe et la devise. Le corps est tué dans le crash du DC10. Et sur la scène, les zombies cherchent une sépulture, et aussi à laisser une trace, à fixer une image pour les endeuillés … qui n’ont pour lieu de recueillement que le Mémorial du Ténéré. Alors, au son des chants de deuil de musiciens psychopompes, les zombies s’emparent de ce qu’ils reste : la poudre des corps calcinés, qu’ils répandent au sol pour créer la trace. Visuellement, c’est superbe, et l’image est forte. Pourtant, la rupture de ton, c’est un peu la signature esthétique de Mabiala Bissila. La danse macabre ne ritualise rien : c’est un open air électro et son geste est politique.

 » On ne peut pas construire un désert avec autant de cadavres « , regrettent les zombies maquisards qui s’enivrent au maquis le Bar du cimetière et saluent la caméra qui les filme en direct. Eh oui, la mort, ça vous déréalise une aire de jeu… Avec ses tableaux déliés, TRANS s’écrit et se joue à contretemps, sans chercher à être intelligible, trop pessimiste pour être causal. Le texte ne coïncide pas avec la danse, et la danse ne coïncide pas avec elle-même. Loin d’une partition choréologique, une danseuse tourne comme un derviche, vêtue d’un filet de camouflage ; des zombies tentent de ranimer le cadavre d’un veuf le temps d’un massage cardiaque à 10 mains, comme si les morts pouvaient rendre la vie. Échec. Mais pas que. Dans TRANS, tous les mouvements d’ensemble sont fragiles, et le corps collectif où  » résident des km2 de fatigue et de peur industrielle  » est avalé par le monde au point de devenir un monticule de pneus. Et pourtant, chacun à son tour engage sa vitalité pour maintenir l’énergie de la vie. C’est ça que dit TRANS : un au-delà de l’état, la circulation des suppléments de vie de corps mort en corps mort. Mais.
Parce que TRANS sait raconter le réel à coups de symboles, TRANS n’a pas besoin de digressions sur la Françafrique. Car le spectateur paresseux pourrait croire que TRANS, c’est un spectacle sur la Françafrique. Tu parles d’une manchette.

///Article N° : 13797

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© Christophe Péan





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