La musique arc-en-ciel de Chengetai

Entretien de Julien Le Gros avec Chengetai Razemba

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Elle se définit comme l’ambassadrice de la « Rainbow music ». Si Chengetai vit à Paris, elle est aussi le porte-voix de son pays : le Zimbabwe.

Qu’est-ce que la « Rainbow-music » ?
C’est un concept qui vient de la Nation arc-en-ciel. La Nation arc-en-ciel est un mélange de différentes couleurs de gens vivant dans une même nation. Beaucoup de couleurs vivent dans une même nation. Nous avons tourné cela en « Rainbow-music » car la musique est internationale. Ça doit être écouté et entendu par tous ceux qui apprécient la musique, en dépit de sa race ou sa religion. Nous avons appelé notre musique « rainbow » car il y a différentes couleurs musicales : jazz, soul, afrobeat, pop, reggae, rock.
Combien d’albums avez-vous à votre actif ?
Trois mais seul le troisième a été sorti officiellement pour l’instant. Ça s’appelle Zimblue. Les deux autres sont encore inédits. Je suis actuellement en plein processus d’écriture des musiques supplémentaires pour sortir un album l’an prochain. Je figure aussi sur un titre dans la Compilation du métro.
À quoi correspond Zimblue le titre de votre album ?
Zimblue c’est bien sûr à moitié le nom du Zimbabwe et blue c’est pour le blues. C’est comme une sorte de blues zimbabwéen.
Pouvez-vous nous parler de votre pays, le Zimbabwe ?
Le Zimbabwe est situé dans la région sud de l’Afrique. Il est entouré de l’Afrique du Sud, du Botswana, du Mozambique et de la Zambie. Il y a quatre climats comme ici mais la végétation est très dense. Il y a beaucoup d’animaux sauvages. Je suis née à la capitale : Harare. Je suis à moitié zimbabwéenne et mozambicaine. Mon père est du Mozambique mais il s’est déplacé au Zimbabwe. C’est là que je suis né, après l’indépendance, en 1982. Le Zimbabwe est un pays très gai. On aime la musique. Il y a des festivals là-bas. On ne se borne pas à un style de musique. On fait notre propre musique. On aime beaucoup la musique internationale. C’est ce qui m’a encouragé à m’aventurer dans la « Rainbow-music »
Comment était votre enfance au Zimbabwe ?
Grandir au Zimbabwe m’a fait ce que je suis aujourd’hui. Il y avait de bons et de mauvais moments. J’ai grandi dans la ville de Bulawayo au nord du Zimbabwe. Même si je suis née à Harare, après mon deuxième anniversaire mes parents ont migré vers une autre région du Zimbabwe, très proche de l’Afrique du Sud. C’est comme ça que j’ai appris à parler le sindébélé. C’est une autre langue qui est parlée en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Je dois dire que musicalement le Zimbabwe ne grandit pas très vite. À cause des problèmes politiques qui sont toujours en cours dans mon pays, la musique n’est pas une priorité. Tout le monde s’inquiète de pouvoir manger, payer son loyer, travailler, se procurer des vêtements. Mais maintenant j’ai entendu que ça commence à s’améliorer Les gens vont mieux. Les festivals se développent. La nourriture de chez moi est fantastique. Ça me manque. Cela me manque d’aller à la campagne, voir ma grand-mère, écouter des chansons traditionnelles jouées avec le mbira. C’est un instrument utilisé pendant les enterrements et les naissances. Le mbira est comme un tableau de métal avec des clés que l’on clique. Pendant ces événements, on se regroupe et on chante des chansons.
La langue que vous parlez est le shona.
Le shona est la langue partagée par les gens du Mozambique et du Zimbabwe. Elle se pratique surtout dans le nord du Zimbabwé, une région appelée Mashonaland. Le shona est l’une des langues principales du Zimbabwe. On communique tous en anglais car il y a plusieurs langues africaines au Zimbabwe. Je chante en shona. Quand je chante en shona, j’essaie de chanter mes expériences passées et mes espoirs pour mon pays et ses habitants.
Quels genres d’espoir ?
J’essaie de ne pas m’impliquer trop dans la politique. J’essaie de m’exprimer comme je peux. Quand tu vis à Paris, tu es à proximité des supermarchés. Mais ma grand-mère, quand elle était vivante, vivait au village. Ça veut dire qu’il fallait se lever tôt le matin. Ensuite il fallait chercher l’eau. Il y avait des animaux comme des vaches ou des ânes, des chèvres. Les paysans tuaient les poulets eux-mêmes. Ce n’est pas comme aller à la boucherie pour acheter des morceaux de viande. Ils élèvent leurs propres animaux, les gardent. Ils ont leurs propres jardins potagers. La vie y est très différente. J’essaie de me souvenir de ce quotidien aussi quand je chante.
Venir de la génération post-apartheid vous a construite ?
Beaucoup. Je dois dire que le racisme, apparemment, a beaucoup diminué. Dieu merci, grâce à mes ancêtres j’ai vécu dans un pays indépendant, que ce soit en Afrique du Sud ou au Zimbabwe. Je peux accomplir mes rêves et espoirs sans être opprimée. Même si je n’ai pas tant de libertés que ça et qu’il y a toujours des combats à mener pour l’Afrique, mes grands-parents ont fait les premiers pas pour moi. J’ai besoin de porter cela au niveau suivant pour mes enfants et mes petits enfants. J’essaie de faire ça dans ma musique. Quand, par exemple, je vois quelque chose de mauvais dans la manière dont mes leaders au Zimbabwe se comportent. Robert Mugabé est président depuis trente et un an ! Quand je vois quelque chose comme ça, je sens que je dois parler. Je dois vraiment m’exprimer. Je suis pleine de compassion pour mes compatriotes zimbabwéens qui vivent dans ce pays et sont opprimés. Il y a des choses que tu ne peux pas passer sous silence. Il faut se battre pour sa liberté.
Comment vous êtes vous tournée vers le chant ?
J’ai commencé à chanter dès trois ou quatre ans. Quand ma mère passait certains disques et dansait c’étaient mes meilleurs souvenirs d’enfance. Elle s’amusait sur de la musique et qu’elle dansait m’entraînant avec elle. Dès que j’en avais l’occasion je passais à mon tour des disques et en écoutais toujours davantage. J’ai donc développé une passion pour la musique très très tôt. Le déclic s’est fait avec les vieux enregistrements que passaient mes parents à la maison.
Quel genre d’enregistrements passait à la maison ?
Quand j’étais toute petite c’étaient des chanteuses comme Whitney Houston, Diana Ross and the Supremes, Tracy Chapman, de vieilles chansons. Ensuite quand j’ai grandi, j’ai eu le choix. J’ai commencé par ce qu’écoutaient mes parents et puis je me suis fait plaisir. Actuellement, j’écoute des chanteuses comme Nina Simone, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Janelle Monae, Joss Stone ou la Sud-Africaine Brenda Fassie
Au-delà de ces artistes internationaux, quels sont les musiciens zimbabwéens qui vous ont marquée ?
Chiwoniso par exemple. Elle joue de la musique zimbabwéenne, en utilisant des instruments locaux comme le mbira. J’aime Oliver Mtukudzi. J’ai eu la chance, avant son décès, de chanter avec son fils sur mon deuxième album. J’aime Selealo Sebota. C’est un très célèbre guitariste dans la région sud-africaine. J’aime aussi Lebo Matoza, qui est décédée à présent, et Stella Chiswese. J’aime aussi le groupe « Noisettes » basé en Angleterre et qui est assez connu maintenant. Leur chanteuse lead, Shingai Shoniwa, est zimbabwéenne.
L’Afrique du Sud, où vous avez vécu, a été une étape marquante dans votre vie.
Quand je suis allé en Afrique du Sud, j’ai fait une tournée. Je travaillais avec le guitariste Selealo Sebota. J’ai beaucoup tourné musicalement : en Tanzanie, au Mozambique, au Nigeria, aux États-Unis, au Canada… J’ai vécu en Afrique du Sud pendant six ans et ensuite je suis venue à Paris. Entre-temps, j’ai vécu un an à New York. Puis je suis revenue en Afrique du Sud. J’y ai écrit mes deux albums inédits. La musique que jouent les Sud-Africains leur appartient vraiment. Tu ne peux pas dire que c’est américain ou anglais. C’est vraiment à eux. Ils aiment leur culture. Ils s’habillent toujours en costume traditionnel, chantent leurs chansons traditionnelles. Ils sont modernisés mais restent eux-mêmes. Ils préservent leur culture. Ils aiment ça comme ça. C’est là que j’ai pris le concept de la « Rainbow music ». C’est un pays magnifique en soi. Même si leur indépendance s’est faite il y a peu, ils ont appris à s’accepter eux-mêmes. Après l’indépendance, les Noirs n’ont pas changé pour devenir comme les Blancs. Quand tu vas en Afrique du Sud tu trouves des Blancs authentiques, des Noirs authentiques, des Chinois, des Indiens, authentiques et vivant en Afrique du Sud. C’est ce qui en fait un beau pays avec plein d’autres races. Je dois dire que l’arrière-plan culturel dans cette partie de l’Afrique est très fort, pas seulement en Afrique du Sud mais aussi au Zimbabwe. On a beaucoup d’étrangers mais ils n’ont pas changé ce que nous sommes. On reste les mêmes. Quand tu écoutes nos musiques tu peux nous identifier facilement.
À propos d’Afrique du Sud, vous avez repris Pata Pata de Miriam Makeba. C’est une de vos icônes ?
Elle m’a beaucoup influencé. C’est une de mes artistes fétiches. Elle me rappelle un peu à moi-même. Elle me fait vouloir devenir une meilleure personne. Elle fuyait l’apartheid. Elle était exilée de son pays quand elle était aux États-Unis. C’est comme ça que toute sa notoriété est venue. Dans la plupart de ses chansons, elle parle des gens de chez elle. Même si elle était loin de l’Afrique du Sud pendant l’apartheid, elle était avec eux en pensée et en chansons. Elle écrivait des chansons à propos de l’Afrique du Sud tout le temps et les jouait partout. C’était la première noire africaine à gagner un Grammy Award pour sa collaboration avec Harry Belafonte.
Venir de la génération post-apartheid vous a influencé ?
Beaucoup. Je dois dire que le racisme, apparemment, a beaucoup diminué. Dieu merci, grâce à mes ancêtres, j’ai vécu dans un pays indépendant aussi bien en Afrique du Sud qu’au Zimbabwe. Mes rêves et espoirs je peux les accomplir sans être opprimée. Même si je n’ai pas tant de libertés que ça et qu’il y a toujours des combats à mener pour l’Afrique, mes grands-parents ont fait les premiers pas pour moi. J’ai besoin de porter cela au niveau suivant pour mes enfants et mes petits enfants. J’essaie de faire ça dans ma musique. Quand, par exemple, je vois quelque chose de mauvais dans la manière dont mes leaders au Zimbabwe se comportent. Robert Mugabé est président depuis trente et un an ! Quand je vois quelque chose comme ça, je sens que je dois parler. Je dois vraiment m’exprimer. Je suis pleine de compassion pour mes compatriotes zimbabwéens qui vivent dans ce pays et sont opprimés. Il y a des choses que tu ne peux pas passer sous silence. Il faut se battre pour sa liberté.
Comment avez-vous migré à Paris ?
C’était horrible car il y avait de la xénophobie en Afrique du Sud. Je fuyais la xénophobie car à ma dernière année en Afrique du Sud, je suis devenue une immigrée illégale. Certains Noirs sud-africains ressentaient de la xénophobie vis-à-vis des Zimbabwéens. Ils disaient qu’ils volaient leurs emplois. Il se trouve que je suis zimbabwéenne. Je devais donc me cacher. Je ne vivais pas dans un camp de réfugiés mais il fallait que je sois très discrète. Alors je suis partie un an à New York en espérant que les choses changeraient. Mais ça n’a pas changé, alors je suis venue à Paris.Je suis retournée dans mon pays et j’ai eu des papiers pour venir à Paris. Mon orchestre est constitué de gens que j’ai rencontrés à Paris, y compris mon manager et agent.
Quels sont vos projets ?
Pour le moment j’écris des chansons pour un album en préparation. Je n’ai pas encore le titre. Mes nouvelles chansons incluent ma vie au Zimbabwe, en Afrique du Sud, à New York, à Paris. Ma vie en tournée. L’année dernière je suis allée en Europe de l’Est, en Martinique. Cette année je vais en Afrique, au Congo-Brazzaville. J’ai beaucoup de choses à dire. J’ai appris énormément des différentes personnes que j’ai rencontrées à travers le monde entier. C’est ce que mon album sera. J’essaie de rendre aux gens ce qu’ils m’ont enseigné. Je veux faire de la musique, rendre les gens heureux, être aimée pour ce que je fais. Quand tu écoutes de la musique, tu veux te relaxer. Je suis une artiste de scène. Je veux jouer aussi longtemps que je peux. Chanter, jouer et créer aussi longtemps que possible…

[http://www.myspace.com/chengetaionmyspacemusic]

Chengetai Razemba à Vinnystsia, Ukraine, 26 septembre 2010

///Article N° : 10460

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Chengetai Razemba © julien Le Gros





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