La photographie, contre les troubles de l’Histoire

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Partant de la condition des photographes et de l’évolution de leur métier, le photographe Kinzenguélé en appelle à davantage d’engagement.

Au Congo-Brazzaville, presque dans toutes les régions, il existe des photographes comme partout en Afrique, chacun présentant ses propres qualités. Nombreux sont ceux qui s’intéressent à la photographie picturale, rares à la photographie fonctionnelle.
La crise liée au passage à la photographie couleur avait suscité l’apparition d’une profession nouvelle, celle de photographe ambulant. Aujourd’hui, l’activité traditionnelle de photographe de studio a beaucoup diminué. De jeunes photographes se sont installés dans les villes, côtoyant quelques vieux irréductibles tels que Photo Kina, Dekoum, Niamba, Edouard Biantouma…, la liste n’est pas exhaustive. Ils sont le plus souvent inexpérimentés, mais parfois bien équipés avec de grandes marques d’appareils photographiques. Tous confient leurs travaux en sous-traitance aux laboratoires tenus exclusivement par des commerçants, et sont ainsi exposés aux risques que résume la mention sur les pochettes : « En cas de détérioration ou perte, notre responsabilité se limite à la restitution du film non exposé ».
Les photographes ambulants prennent le dessus sur les photographes de studios. Plus de 90 % des photos prises sont faites par ceux de la rue, ces hommes qui possèdent au moins un appareil compact ou reflex, et vivent de la vente de leurs photos sans posséder de studio ou de local propre. En général, ce sont des élèves, des étudiants ou des diplômés sans emploi qui portent en bandoulière des sacs remplis d’appareils photographiques qu’ils n’ont pas choisi mais ont reçu au hasard suite aux vols et pillages pendant les guerres ou parfois en cadeaux des frères.
Posez. Souriez. Ne bougez plus. Des mots particuliers, simples mais magiques quand ils sont prononcés par un photographe dans l’atmosphère conviviale du studio ou devant un appareil prêt à capter des images en plein air.
Aujourd’hui, ces mots perdent de leur valeur avec l’envahissement du marché par les jeunes photographes de rue ; et comme la tentation est très grande, beaucoup d’anciens photographes qui ne peuvent relever le défi de la couleur ferment boutique.
Pour ceux qui résistent, le marché ne leur offre que du papier photographique noir et blanc grade 2, en paquet de 100 feuilles de format 9 x 13cm qu’ils utilisent pour les photos d’identité.
Le nombre ne fait pas la valeur. Nous savons que par la passion du métier, certains se distinguent comme des professionnels mais le danger est qu’ils ne sentent pas les produits photographiques et ne tiennent pas le papier dans un laboratoire. Rares sont ceux qui font des photos de scène. Les artistes plasticiens ont du mal à faire photographier leurs œuvres pour se présenter à un concours.
Le manque d’agence dans le pays est un obstacle dans le placement des photographies dans le monde culturel et de l’information. Pourquoi s’acheter un appareil numérique alors que la photo de presse est achetée au prix de 500 FCFA ?
On sent l’urgence de garder la mémoire photographique de notre pays, paysages et traditions. Mais en périodes de guerre, les photographes s’attachent davantage à rendre compte du lot de misère et de peine de leur peuple. La photographie documentaire témoigne de l’horreur des guerres. Les Congolais peuvent ainsi regarder leur société différemment, d’un œil froid et intransigeant. Les messages passent très bien à partir des photographies. Si un photographe avait fixé les images pendant le retour des déplacés de guerre, on retrouverait aujourd’hui à partir du fonds documentaire que les médias auraient pu mettre en ligne les traces des disparus du Beach. (1) Les photographies accompagnent les récits des périodes de troubles. Les images n’ont alors pas d’ambition esthétique : elles doivent faire passer un message et le photographe ne doit retenir que l’impact social de la photographie.
Le manque de culture de l’image au Congo traduit la non-motivation des photographes. Le pays a traversé une période de profonds changements et les photographes auraient dû enregistrer ces événements. L’appareil photo devrait être une voix et une arme contre les atrocités perpétrées par l’Etat pour ceux à qui on refuse les droits humains fondamentaux, et contribuerait à révéler les exactions à la communauté internationale. Les photographes devraient en être persuadés.

(1) Le Beach désigne les ports reliant Brazzaville à Kinshasa, points de passage pour l’autre ville située en face, de l’autre côté du fleuve (ndlr). ///Article N° : 2109

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