Route du Jazz, du photographe Samuel Nja Kwa, nous donne quelques ébauches de réponse quant aux origines du jazz, cela en dépeignant le voyage initiatique de son auteur et ses rencontres à travers le monde. De l’Afrique aux Amériques en passant par les Caraïbes, ses photos de scène et de l’intimité sont accompagnées d’entretiens avec les musiciens qui ont fait les lettres de noblesses de ce genre.
Il aura fallu 15 ans à Samuel Nja Kwa pour donner naissance à son ouvrage, Route du jazz, sorti en 2014 aux éditions Duta, et dont l’idée lui aurait été soufflée par des visiteurs au cours de l’une de ses premières expositions photographiques : « À chaque fois, les gens me demandaient s’il était possible d’acheter un livre avec toutes mes photos », se rappelle-t-il. « Duta » signifie « image » en langue douala. C’est aussi le nom d’un festival d’arts visuels qu’il a créé en 2005 au Cameroun, qui s’est arrêté deux éditions plus tard, malgré le succès mais faute de moyens.
Samuel Nja Kwa a commencé la photographie en autodidacte à une époque où le numérique n’existait pas : il tirait ses photos en argentique et en développait lui-même les négatifs. De cette époque, le photoreporter a pris certaines habitudes, dont celle de toujours travailler avec la lumière ambiante en n’utilisant, donc, pas de flash. Par ailleurs, la photo ’jazz » possède une tradition monochromatique, c’est-à-dire en noir et blanc, et cela notamment parce que les premiers photographes du jazz, entre 1920 et 1930, travaillaient de cette manière Samuel aussi.
Durant ces 15 ans, celui qui a par ailleurs contribué à la revue Jazz Hot, ou encore créé son propre magazine en 1998 Le Disque africain, suit les musiciens sur scène et dans les coulisses. « Je travaille là où sont les musiciens. Je vais à leur rencontre où qu’ils soient : dans une chambre d’hôtel, chez eux, dans une salle de concert ou dans les coulisses après un concert » , explique le photo-globe-trotteur.
Les clichés sont alors accompagnés d’extraits d’entretiens en backstage notamment : « Je posais toujours des questions aux musiciens sur le thème de l’Afrique (
) Je bossais pour des magazines et j’avais accès à tous ces artistes. À travers eux, j’ai beaucoup appris sur le continent », dévoile ce Parisien de naissance, d’origine camerounaise. Il collabore également à la Revue Africultures mais il a aussi collaborer avec Jazzman, Télérama, ou encore Elle. Outre les photographies saisissantes de Route du jazz, Samuel explore donc la vision des artistes vis-à-vis du jazz, celle-ci prise à la source et en situation. Ainsi Francis Bebey lui confie : « C’est une musique qui aurait pu être métissée mais elle ne l’est pas tout à fait (
) parce que, pendant très longtemps, les blancs ne s’y sont pas véritablement intéressés. Ils ont cru que c’était de l’amusement pour les nègres dans les plantations du Sud. Et puis ces mêmes Noirs ont fait des prouesses, ils ont sorti des musiciens extraordinaires (
) et alors les blancs s’y sont intéressés. (NDLR : Le Jazz) c’est bel et bien une musique négro-américaine, née de la rencontre des instruments et de certaines mélodies européennes avec les battements de mains et les rythmes apportés d’Afrique par les anciens esclaves. »
Préfacé par Manu Dibango (qui invite d’ailleurs les parents à l’offrir à leurs enfants pour son côté ludique), et postfacé par Doudou Diene, Route du Jazz se divise alors en trois parties : Afrique, Amérique(s), Caraïbe, retraçant ainsi ses liens indéfectibles avec une histoire de la traite négrière trans-atlantique.
Au fil de cet ouvrage de 170 pages, on part alors à la rencontre d’artistes nord-américains contemporains comme Somi ou Wen Carter
Mais aussi d’icônes du jazz tel que Ahmad Jamal, Calypso Rose, Courtney Pine, etc. et de légendes qui ne sont plus de ce monde comme Myriam Makeba, Ray Charles, Gil Scott Heron, Mal Waldron, Abbey Lincoln, Elvin Jones, Sam Rivers, Ali Farka Touré, Francis Bebey ou encore Zim Ngqwana.
Au cours de ses pérégrinations, Samuel Nja Kwa a pu se rendre compte que le Jazz était devenu une musique dite intellectuelle et peu populaire : « Les Africains ont peur du jazz alors que c’est notre musique. Lorsque je parle de Jazz, les gens me disent d’arrêter avec ’ma musique là » car ils n’ont pas envie de ça… », confie-t-il. Et lui d’ajouter une dimension quelque part paradoxale : « Même les artistes américains viennent en Afrique pour s’inspirer ou réapprendre. »
Elvin Jones, l’ancien batteur de Jones Coltrane, en serait (selon l’auteur) un exemple type : le photographe l’a rencontré en 2002 alors qu’il devait se rendre pour la première fois sur le continent africain à l’occasion du Festival de Ouagadougou. C’était alors sa première expérience musicale avec des percussionnistes traditionnels et, quand il a commencé à jouer avec eux, il n’arrivait pas à suivre ! Ainsi, pour qu’il puisse jouer, il fallait qu’un membre du groupe lui donne le tempo : « Aussi grand musicien qu’il soit, il a du réapprendre à jouer et c’est le cas de nombreux musiciens de Jazz qui pareillement réapprennent à jouer en donnant un nouveau sens à leur musique », explique le photographe.
Accompagné de son beau livre Route du Jazz le photographe espère exposer l’histoire du jazz au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Maghreb, et aux Antilles. « C’est une musique avec une base africaine qui est devenue une musique universelle. Aux USA, on dit que c’est de la musique classique américaine. C’est la plus grande invention musicale qui a jamais existé », conclut l’auteur qui envisage un tome 2 à la rencontre entre autres, du jazz coréen et même indien.
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