Lâche-moi, j’ai 51 frères et sœurs ! (Don’t fuck with me, I have 51 Brothers and Sisters)

De Dumisani Phakathi

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Imaginez : votre père est mort en 1997 et vous ne connaissez pas tous vos frères et sœurs car ce phénomène a eu onze femmes et 52 enfants ! Vous vous mettez en tête de leur rendre visite pour mieux connaître ce père et cette famille. C’est ce que fait Dumisani Phakathi, à la recherche d’une bonne partie des 51 autres. C’est bien sûr aussi l’occasion d’en savoir davantage sur l’Afrique du Sud d’aujourd’hui.
Ajoutons que Dumisani Phakathi filme comme il est : direct, déjanté, éminemment sympathique et d’autant plus en phase avec ceux qu’il filme qu’il partage avec eux quelque chose de fort (la township dans Wa n’Wina ou Waiting for Valdez, la fratrie ici). Il a développé un style personnel vif et spontané où une caméra portée très baladeuse et le montage tiennent une grande place : multiplication des plans sur les objets et les personnes dans un rythme serré, raccords cassés qui mobilisent le spectateur en lui donnant la sensation de proximité d’un film amateur. Ce faisant, il évite tout systématisme, ce qui laisse au film une variété d’approches aussi riche que les multiples et drolatiques chapeaux qu’il porte au quotidien. Ce n’est pas du clip, c’est une approche très originale, en empathie avec ce qu’il filme. Ici, lorsqu’il rencontre un membre de sa famille avec qui il se sent familier, il se saisit de la caméra dv et le filme lui-même en plans rapprochés. Cette translation est signifiante si bien que les gros plans sont émouvants, qui auraient pu gêner autrement par leur manque de discrétion.
Cela n’irait pas sans le rapport qu’installe Dumisani avec ses interlocuteurs. On pense aux documentaires de Moussa Touré, qui les pousse à parler en établissant une relation paternelle. Chez Dumisani Phakathi, il s’agit davantage d’une relation fraternelle, égalitaire, qui lui permet de se brancher sur le physique : « J’aime tes yeux ! Montre-moi tes jambes, tes bras ! », le tout dans un grand éclat de rire, dans l’émotion des retrouvailles, des embrassades. Son rire est communicatif, comme celui des « caïds » amis de son père, et sa présence à l’écran bourre le film de vitalité. Il capte des instants photographiques, à la manière des Igolini, ce collectif de photographes gabonais qui avait présenté un mur d’images aux Rencontres de Bamako de 2003 : des instants de vie sans fioritures ni idéalisation. Mais il ne refuse pas non plus les pleurs de sa vraie sœur qui lui reproche de ne l’avoir jamais réconforté, de n’avoir jamais remplacé le père absent : « Je ne sais pas être un père, j’ai besoin d’un père aussi ! » Il décide alors de s’habiller ringard comme ce père découvert sur ces vieilles photos trouvées chez les uns et les autres. Ce coup de théâtre porte l’émotion à son comble, une émotion qui nous fait nous demander lorsque les lumières se rallument comment ce pays a pu oppresser et violenter si longtemps un peuple aussi remarquable et vivant.

///Article N° : 3957

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