Compagnie Sizang-Théâtre (Côte d’Ivoire), « L’Odyssée finale » de Coulibaly Chigatta Modibo. Mise en scène de Ablas Ouedraogo
Pourquoi avoir choisi ce texte, pourquoi l’artiste et la mort ?
Je trouve intéressant de s’interroger sur nos propres vies d’artistes avant d’édifier celle des autres. Ce texte parle de nos conditions d’artiste et à travers nous, de l’humanité toute entière parce que tout un chacun sera frappé par la mort.
Le texte expose une dualité permanente, la vie/la mort, le bien/le mal. Est-ce que cet aspect manichéen ne vous a pas gêné ?
La vie même est faite de dualité, elle est perpétuelle. Il nous faut aller au-delà pour la percevoir car elle est avec nous à tout moment : l’homme et la femme, le ciel et la terre, l’eau et le feu. Je m’inscris dans cette logique de la vie et c’est cette dualité continuelle que je mets en scène.
Le personnage pose des questions existentielles, la dimension de la mort est omniprésente mais finalement la pièce est complètement une histoire de vie. Qu’est-ce qui est important dans ce message ?
Nous, artistes d’abord, mais hommes en général, nous devons savoir gérer notre vie et aller au-delà. A chaque étape de notre vie, la mort est en nous, avec nous, contre nous, pour nous. A travers la mise en scène, j’ai voulu montrer que l’artiste ne meurt pas ; pendant, avant, après notre départ, nous avons notre place dans la société.
Vous pensez que c’est important de vivre avec l’idée de la mort ?
Quelqu’un disait que « pour être immortel, il faut oublier qu’on est mortel ». Aussi quand tu marches, à un moment, il faut s’arrêter, prendre du recul, voir la chose en face. C’est cette interrogation que je pose. Il est dangereux de vivre avec l’idée de la mort, mais il est aussi important à travers la mort, de voir le combat perpétuel de la vie et ses péripéties. Si nous limitons la mort à quelque chose de négatif qui vient annihiler la vie, nous n’allons pas toujours faire ce que nous devons – « puisque tôt ou tard nous allons mourir, pourquoi faire quelque chose ? ». Alors que si nous considérons la mort comme le combat perpétuel de la vie, nous aurons compris qu’il faut se battre à tout moment.
Le personnage est très tenté par un pacte diabolique. Cela ramène chaque spectateur à lui-même.
Chacun se retrouve dans cette pièce, dans ce sujet universel. Chacun sait qu’il va mourir et chacun voit les difficultés qu’il doit surmonter et vaincre.
Quelle est la signification du décor rouge ?
La pièce oppose deux mondes, l’un réel, l’autre fictif. L’espace essaie de rendre ce cadre qui n’est pas réel. A travers la toile rouge, c’est la souffrance qui se dégage, c’est la vie, c’est le linceul. L’artiste fait finalement le choix du rouge, celui de la vie.
L’autre élément important du décor est la musique, comment l’avez-vous travaillée ?
La musique joue un grand rôle dans la pièce. Dans notre façon d’être, il y a toute une musique qui se dégage en notre intérieur, dans notre façon de respirer, de parler et même de souffrir et d’agoniser. C’est cette musique-là que nous avons voulu traduire. La musique a été créée par des musiciens professionnels selon mes idées et mes directives.
Vous vous appelez Ouedraogo, un nom mossi. Comment vivez-vous les récents événements de Côte d’Ivoire vis à vis des Burkinabés ?
Tristement. Je suis Ouedraogo, je suis né en Côte d’Ivoire, j’ai appris à pratiquer l’art en Côte d’Ivoire, j’ai tout fait ici, j’ai tout ici. Dernièrement, j’ai découvert le Bukina Faso, mon pays d’origine. Je veux bien rentrer au Burkina Faso mais je suis d’ici aussi, je suis d’ici ! Aujourd’hui, les Ivoiriens sont arrivés à un stade où chaque naissance provoque une douleur. La renaissance de la Côte d’Ivoire ne pouvait pas se faire sans cette douleur-là. Je déplore le fait qu’il y ait eu des morts inutiles. Mais je sais maintenant que rien au monde ne peut se créer sans difficultés. Cela pouvait se passer au Burkina, en France. Ce sont de jeunes nations qui sont en train d’apprendre. Mais arrivé à un certain point, il faut s’arrêter et réfléchir. C’est la misère qui provoque cela. Ce n’est pas forcément un problème propre à la Côte d’Ivoire, mais ici il y a eu trop de dérapages.
La pièce est d’une brûlante actualité dans un tel cadre.
J’étais en tournée avec cette pièce quand les événements ont eu lieu. Du Bénin, nous n’avons pas pu rentrer en Côte d’Ivoire. Jean Pierre Guingané nous a alors invités au Festival au Burkina Faso. Nous étions devenus des réfugiés. Pourtant, je dirige une compagnie ivoirienne, je suis ivoirien, j’ai un passeport ivoirien. Quand je suis arrivé, avec ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu, j’ai pensé que l’espèce humaine ne pouvait pas descendre plus bas que ça ; même les animaux ne font pas ça. L’être humain a perdu sa raison, son côté animal a dominé. Quand cela ne va pas, on accuse les partis politiques, l’Autre – mais ce n’est pas l’Autre, c’est nous mêmes. Nous sommes responsables de nous-mêmes. De tout acte que nous posons. Nous en récolterons plus tard les conséquences.
Dans quelles conditions travaillez-vous ?
Partout ici on vous répondra toujours que les conditions sont difficiles. Néanmoins, je ne veux pas rentrer dans cette façon de voir les choses car c’est dans la difficulté qu’on est qu’on naît. Certes nous n’avons pas de financements, nous n’avons pas de salles. Nous répétons à l’INSAAC, l’Institut supérieur d’art et d’action culturelle, après les cours. Nous pensons qu’en travaillant et avec le temps, les gens nous découvriront, que l’on pourra s’auto-suffire et subvenir à nos besoins. C’est l’idéal que nous nous sommes fixés et pour lequel nous continuons de nous battre.
///Article N° : 1956