Le Beurre et l’argent du beurre

De Philippe Baqué et Alidou Badini

Vous avez dit commerce équitable ?
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Dans le titre, c’est l’argent le sujet de ce film et c’est là son grand mérite. On y parle gros sous, de façon claire, précise, sur la base d’une véritable enquête de terrain, et c’est fondamental. Car il y a des chiffres qui parlent. Il est rare de sortir d’un documentaire en pouvant répéter à son entourage les données que l’on vient d’entendre durant 62 minutes. Si c’est le cas pour Le Beurre et l’argent du beurre, c’est parce que ce film est d’une appréciable limpidité. Construit comme un récit chronologique, il suit la chaîne commerciale et industrielle en partant de celles qui ramassent et préparent les amandes ou le beurre de karité, les femmes du Sissili au centre-sud du Burkina Faso, la région de Léo d’où provient une grande part du karité importé en Europe, de plus en plus demandé dans la cosmétique ou comme substitut du cacao. Et il suit la filière, d’intermédiaire en intermédiaire. Alors que le principal travail est fourni par ces femmes, les prix s’envolent à chaque échelon. Et voilà qu’en nous la colère monte en même temps que le dégoût, car c’est l’histoire d’un scandale humain, celui de femmes qui se tuent au travail pour un revenu de misère tandis que de gros bénéfices se construisent dans leur dos, à la faveur de leur ignorance des circuits et de leur précarité. Ce scandale, c’est bien sûr celui de notre monde.
Mais revenons au point de départ. Une femme vend les amandes de karité à 30 Fcfa le kilo (5 centimes d’euro) au marché. La semaine de travail nécessaire à ramasser et préparer les 40 kg vendus à un revendeur qui négocie ferme pour tenter d’obtenir le meilleur prix ne lui rapporte donc que 1200 Fcfa : 2 euros. Lorsque cette même femme amène son fils au dispensaire pour le faire soigner, on lui demande de payer 4800 Fcfa pour les médicaments…
De fil en aiguille, nous suivrons le circuit, chez les grossistes de Bobo Dioulasso, puis chez les exportateurs du port de Lomé, jusqu’à cette société française au grand discours sur le commerce équitable, l’Occitane, présente avec 600 magasins dans 57 pays. La culbute est incroyable. L’Occitane travaille avec une union de productrices de la région de Léo. Elle paye 700 Fcfa (1,07 euro) le kilo de beurre de karité. Cela paraît cadeau quand on sait qu’en dehors d’un circuit privilégié, le kilo se négocie entre 210 et 235 Fcfa (32 à 36 centimes d’euro). Mais la réalité est là : une femme met une journée de travail acharné à produire ce kilo de beurre. Après déduction des coûts, le revenu qu’elle en tire est insuffisant pour en vivre, même à 700 F. A l’autre bout de la chaîne, nous voyons le joli petit emballage avec lequel l’Occitane vend le beurre qui, au terme de son traitement industriel, revient à 4,70 euros le kilo à la sortie de l’usine. Ramené au kilo, le beurre coûte au consommateur 144 euros ! Soit 135 fois le prix payé aux femmes de Léo.
Commerce équitable ? C’est un des grands arguments de vente de l’Occitane. Le bénéfice de la société en 2005 s’est élevé à 14 millions d’euros. Oui, les chiffres parlent. Ce film le fait remarquablement. Il va aussi voir la société Andines, qui elle paye 3000 Fcfa le kilo de beurre aux femmes du groupement Laafi, leur permettant d’avoir un salaire équivalent à celui d’un instituteur, de s’acheter un vélo et de scolariser leurs enfants. Une société dont le bénéfice a été de 2000 euros en 2005. Et qui refuse de travailler avec la grande distribution.
Seulement voilà, à 3000 Fcfa le kilo, les industriels ne suivent pas et Andines reste une exception heureuse mais non généralisable. Cela aussi, ce film honnête le dit. Alors, nous nous prenons à rêver, que les femmes s’organisent en un cartel ayant connaissance des marchés, des contraintes et des possibles, que le rapport de forces soit tel qu’elles puissent véritablement négocier leur prix. Un rêve ? Oui, une utopie. Mais si nous voulons que le scandale du monde évolue, ne faudra-t-il pas en passer par là ?
Il faut écouter et voir ces femmes pour en sentir la nécessité. Remarquable écho à Djourou, une corde à ton cou, qui lui décortiquait la filière coton, Le Beurre et l’argent du beurre est un film passionnant, édifiant et foncièrement utile.

///Article N° : 5985

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