Le Messie du Darfour, paru en août 2016 aux Editios Zulma, est le premier roman traduit en français de l’écrivain soudanais Abdelaziz Baraka Sakin. Il s’agit d’une histoire fictionnelle puisant dans la réalité politique soudanaise. L’accent est mis sur l’absence d’une véritable guerre civile au Darfour, mais plutôt sur la présence d’une effective guerre menée de la part du gouvernement de Khartoum contre sa propre population. A travers la galerie de ses personnages, Le Messie du Darfour parle aussi de l’absence de liberté de presse, de l’isolement du pays et de l’impossibilité pour les aides internationales d’accéder aux vrais récits. Ce roman a été interdit, dès sa sortie par les autorités, mais circule toujours clandestinement et a été salué d’un grand enthousiasme par les lecteurs soudanais. Le 18 avril 2017, ce roman Abdelaziz Baraka Sakin est le lauréat de l’édition 2017 du Prix du livre engagé de La Cène Littéraire.
Africultures : Dans le chapitre « Comment tante Kharifiyya perdit la foi » vous confrontez les représentations médiatiques (celles des journalistes et des observateurs internationaux qui ne portent pas secours à la femme élancée) au rôle de la littérature. En effet lorsqu’à propos d’Ibrahim – qui ressemble à un jenjawid – il est dit : « personne dans cet enfer n’aurait assez de temps pour écouter son histoire ». Est-ce le rôle de la littérature selon vous de nous permettre d’écouter les histoires et la complexité de celles-ci, ce que regarder la télévision d’un peu loin ne permet pas ?
Abdelaziz Baraka Sakin : Le rôle de la littérature se retrouve exactement dans la phrase que vous avez citée et ce type de phrase permet de poser des questions sans forcément leur donner des réponses. Cela ouvre une porte, des possibilités au lecteur de comprendre la situation, mais ça ne lui donne pas forcément les réponses. Concernant les médias, les médias soudanais, mais aussi internationaux qui travaillent au Soudan, donnent une image déformée de la réalité, qui ne permet pas de trouver l’occasion d’expliquer quelle est vraiment la situation dans le pays. D’abord parce qu’il n’y a pas de liberté de la presse au Soudan, et ce pour la presse nationale mais aussi pour les représentants de la presse étrangère. Du coup, la parole est constituée de récits imaginaires qui ne correspondent pas du tout à la réalité, qui sont véhiculés par le gouvernement et sont ensuite transmis aux agences de presse internationales, ce qui fait que tout le monde reçoit le même message assez neutre par rapport à la situation, alors que la réalité est tout autre, tragique, indicible, horrible à raconter.
Un autre problème est la présence des instances de l’Union africaine dans le pays et c’est elle qui est censée écrire les rapports sur la situation du conflit au Darfour. Or, les responsables de l’Union africaine au Soudan sont corrompus par le gouvernement lui-même et donc véhiculent le message que le gouvernement veut délivrer. Le plus grand responsable de la déformation des informations concernant le Darfour, c’est vraiment l’Union africaine car elle est sous la coupe de la corruption orchestrée par le gouvernement soudanais.
Et justement, pour rendre compte d’une situation bien plus complexe que celle qui nous est renvoyée par les médias, est-ce pour cela que vous avez fait le choix de plusieurs personnages et de plusieurs points de vue aussi ? En effet, quelquefois il y a des changements de voix, une forme de polyphonie, plusieurs personnages employant le « je » pour prendre tour à tour la parole, est-ce que c’était une volonté de nous faire entrer, nous lecteurs, dans la complexité de la situation ?
Non, la polyphonie et la pluralité des voix correspondaient avant tout à une technique littéraire, une manière de travailler le positionnement du narrateur ou des narrateurs dans le roman et d’ajouter quelque chose à la construction du récit.
Quels sont les rôles symboliques du choix du personnage d’Abderrahaman dans le récit ? C’est un personnage qui est très paradoxal – une victime qui prend les armes, une femme avec un nom d’homme, et qui se sert des charmes de son corps violé -, pourquoi ces paradoxes ?
Abderrahman est en effet un personnage symbolique. Je voulais mettre en évidence le rôle des hommes dans la guerre au Darfour et dans les malheurs qui touchent le Soudan en général, que ce soit les viols, la guerre civile, les vols, les confiscations, tout cela est le fait d’hommes et non pas de femmes. Abderrahman a quelque part choisi son nom elle-même. C’est elle qui a choisi un nom masculin. Et tous ces paradoxes apparents sont en réalité le résultat de tout ce qu’elle a vécu, c’est-à-dire les viols, le meurtre des membres de sa famille, le fait qu’elle soit déplacée etc. On aurait pu imaginer qu’elle mène une vie normale, comme n’importe quelle enfant qui devient ensuite une jeune fille, une femme, qu’elle ait une vie heureuse mais tout ce qu’elle a subi a bouleversé son mode de vie. Elle ne cherche donc plus qu’une chose : se venger de ce qu’elle a vécu. Mais pour ce faire, elle va devoir perpétrer des actes qui sont des actes typiquement masculins, c’est-à-dire tuer, utiliser les armes, se venger de manière cruelle et pour cela, il faut, au moins symboliquement qu’elle devienne un homme parce qu’elle ne ressemble plus à l’image que traditionnellement on a de la femme. C’est là la symbolique de son changement de nom.
Et sur ce prophète, qui donne son nom au récit, pourriez-vous nous en dire plus ? Je n’ai pas pu m’empêcher de le rapprocher de l’écrivain parce qu’il y a chez lui ce goût et ce pouvoir du Verbe (rires) ?
Après avoir entendu cette explication, je l’accepte volontiers et vais l’utiliser à partir de ce jour (rires). Pour répondre plus sérieusement à la question, la personnalité de ce personnage est pour moi le fruit d’éléments qui viennent de trois personnalités différentes. D’abord, bien sûr, celle de Jésus, tel qu’on le connaît dans l’Evangile, mais il y a aussi une idée profonde de pacifisme qui est professée par le bouddhisme, et, enfin, une influence de la pensée de Nietzsche, notamment quand il parle de l’homme et du surhomme. Quand j’ai pensé à ce personnage, j’ai donc vu ces trois composantes : le sens du sacrifice de Jésus, la recherche de la paix et de l’amour qu’on trouve chez Jésus mais aussi chez Bouddha, et tout l’aspect charismatique qui se trouve dans la pensée de Nietzsche.
Pour terminer sur les personnages, celui d’Ibrahim Khidir est enrôlé de force pour son service militaire, chargé d’écrire un rapport sur le prophète, sensible aux idées de Mahmoud Mohammed Taha, il est également républicain et refuse de combattre
vous sentez-vous proche de ce personnage ? Est-ce en lui que vous avez mis le plus de vous-même, si ce n’est pas trop indiscret ?
Ibrahim Khidir est républicain, ce n’est pas forcément mon cas. En revanche je partage son pacifisme et son admiration pour Mahmoud Mohammed Taha. Mais les autres traits de sa personnalité, de même que son histoire personnelle lui sont propres. Nous avons des points communs mais on ne peut pas nous identifier. J’ai emprunté le nom de ce personnage à un homme qui a existé, un ami, qui vivait à Nyala, mais c’est juste un emprunt de son nom, ce n’est pas le doublet de la personne que j’ai connue. C’est un personnage à part entière.
Votre texte vient d’être traduit en français. La fin du texte mentionne « Khartoum 2008-2012 ». Pourriez-vous préciser les conditions d’écriture de cet ouvrage ? La censure dont vous faites l’objet ?
J’ai écrit ce roman sur une période d’écriture de quatre années mais les périodes d’écriture étaient entrecoupées car j’écris toujours mes romans comme cela. J’aime oublier puis reprendre le texte, trouver ensuite de nouvelles idées
Cela est lié à la difficulté de l’opération artistique. L’idée est d’obtenir un roman complexe, je ne veux pas d’un lecteur fainéant, je suis exigeant avec le lecteur, je ne veux pas d’un lecteur qui ne réfléchit pas, qui ne revient pas en arrière dans le livre, qui ne va pas avoir la curiosité d’aller chercher des informations historiques sur les événements qui sont mentionnés.
Pour ce qui est de la réception du roman, il a été interdit dès sa sortie par les autorités tout simplement parce qu’il parle de la situation au Darfour, or on ne peut pas, au Soudan, parler de ce qu’il se passe au Darfour, même à travers la fiction. C’est un tabou total. Le gouvernement a émis toutes sortes de doutes sur les objectifs du roman en se basant d’ailleurs uniquement sur le titre – pourquoi un Messie au Darfour ? C’est une région où il n’y a pas de chrétiens
- et personne dans le gouvernement n’a vraiment pris le temps de le lire avant de l’interdire. On l’a interdit et point, tout simplement parce qu’il mentionne le Darfour. C’est donc un refus violent de la part des autorités mais qui est tout à fait à l’opposé de la réception du roman au sein de la population. Les lecteurs soudanais ont très favorablement accueilli le livre, il a eu beaucoup de succès au Soudan. Il y a par exemple un camp de réfugiés au Darfour qui se trouve près d’Al Fachir, une des grandes villes du Darfour, où chaque vendredi, un groupe de gens réunissait les enfants pour jouer, sous forme de pièce de théâtre, le dernier chapitre du roman, « le cortège ». Il s’agissait de donner de l’espoir aux réfugiés puisqu’il s’agit de la scène la plus optimiste du roman, mais bien sûr ces représentations ont été très rapidement interdites.
Vu de loin, il arrive que l’on confonde parfois les deux conflits, celui entre le Nord et le Sud Soudan et celui du Darfour. Votre personnage, Charon, parle de « schizophrénie du spolié » quand il évoque les changements d’allégeance au gouvernement. Pourriez-vous expliciter un peu cela ?
Ce point de la personnalité de Charon est très important. Pour parler de la différence entre les deux conflits, la guerre du Darfour n’est pas une guerre civile, comme on le dit, car une guerre civile, c’est entre deux composantes de la population, mais une véritable guerre du gouvernement de Khartoum contre sa propre population, contre les peuples qui constituent le Soudan. C’est le gouvernement de Khartoum qui se bat en réalité contre toutes les parties de l’opposition, pas seulement l’opposition du Darfour mais aussi des opposants qui viennent de l’Est du pays, du Sud etc. Et ironiquement, les membres de ce gouvernement viennent parfois de ces composantes. Même si l’idéologie officielle du gouvernement est de prôner l’arabité du Soudan et son islamité, certains membres du gouvernement, certains officiers de l’armée, certains haut placés viennent des populations qui sont en même temps combattues par le gouvernement. D’une certaine manière la guerre dans le Sud était différente géographiquement mais on avait une composante assez similaire, c’est-à-dire que c’était une guerre du gouvernement contre la population du Sud du Soudan, mais en même temps il y avait dans l’armée, parmi les officiers et parfois dans le gouvernement, des représentants qui étaient parfois originaires de ces mêmes provinces du Sud du pays. La guerre civile qui a lieu pratiquement sans discontinuer depuis 1955 (avant l’Indépendance) est en réalité, plutôt qu’une guerre civile, une guerre politique. Charon, comme vous l’avez très bien souligné, représente parfaitement cette contradiction, d’où le terme de « schizophrénie », car il a deux personnalités : on peut le voir au Darfour comme un rebelle qui défend la population locale contre le gouvernement, et puis on apprend un peu plus tard qu’en réalité, lors des guerres précédentes, les exactions qu’il prétend faire arrêter au Darfour, il les a perpétrées lui-même dans le Sud du pays. Une partie des rebelles au Darfour se battent, mènent un « combat de réaction ». On les attaque et ils réagissent mais il n’y a pas forcément une idéologie politique derrière. Par contre, paradoxalement, pour revenir à cette question de « schizophrénie », on trouve dans l’opposition au gouvernement des islamistes proches de Hassan al-Tourabi qui était avant au pouvoir au Soudan et qui est quelque part à l’origine de l’idéologie défendue aujourd’hui par le gouvernement. Certains de ces islamistes, mais originaires du Darfour, se retrouvent dans les rangs de l’opposition et ce sont des gens qui, du coup, ont perdu toute légitimité et toute conscience morale car ils mènent une guerre qu’ils prétendent juste ou justifiée, mais eux-mêmes ont commis des exactions similaires dans le Sud.
Vous prenez soin d’indiquer que la question de l’ethnie est complexe et peu directement lisible, que la distinction est difficile entre les Arabes et ceux que l’on nomme « Zourga ». La racialisation du conflit est-elle donc une manuvre politique du gouvernement ou existe-t-elle vraiment comme problématique sociale au Darfour ?
L’idée de désigner quelqu’un comme étant un Africain plutôt qu’un Arabe est le résultat de l’idéologie gouvernementale récente au Darfour. Il y a depuis des siècles des Arabes et des Africains qui vivent au Darfour, mais la différence entre les deux n’avait pas vraiment d’influence sur la vie sociale. On peut considérer que les premiers occupants de la région étaient plusieurs populations africaines, puis les Arabes sont arrivés, et ont été au départ plutôt bien accueillis. Il y avait coexistence et ce jusqu’à l’arrivée du gouvernement. Puis le gouvernement a commencé à classer la population, à désigner untel comme étant arabe, untel comme africain, alors qu’en réalité la ligne entre les deux était une ligne imaginaire.
Du coup, le fait que le personnage d’Ibrahim considère l’antique sultanat Bleu avec l’esclavage comme la source des problèmes identitaires ne concerne pas le Darfour ?
Le Darfour a été inclus tardivement au Soudan, en 1916. Avant cela, le Darfour ne faisait pas partie de la sphère d’influence du Soudan, c’était un sultanat à part. L’histoire d’Ibrahim concerne l’histoire du Soudan historique, pas celle du Darfour. Il y a eu effectivement un esclavage qui faisait partie de l’histoire du Sultanat Bleu ou Sultanat de Sennar, mais qu’il faut différencier de la situation du Darfour, comme il ne faisait pas encore partie du Soudan. L’esclavage a bien eu une influence sur l’histoire du Soudan, mais pas sur la situation au Darfour.
Qui sont les jenjawids ? Vous parlez de « groupe hétéroclite », vous dites qu' »ils se battaient pour une obscure raison ». Certains sont étrangers. Leur motivation est-elle essentiellement économique ? Idéologique ? Sur quoi repose leur alliance avec le gouvernement ?
Le gouvernement lui-même a organisé l’arrivée des jenjawids en leur promettant des terres, en leur disant que s’ils tuaient et chassaient les gens de leurs terres, ils pourraient prendre leur place. Le Darfour est constitué de terres fertiles, avec beaucoup de ressources en eau, propices à l’agriculture et à l’élevage. Il y a aussi la richesse du sous-sol. Il y a donc certes un objectif économique, mais il est doublé d’un objectif idéologique. On en revient à l’idéologie islamiste et arabiste des Frères Musulmans qui veulent faire du Soudan une terre arabe et musulmane sans autre présence culturelle, en donc l’idée est d’effacer tout ce qui n’est pas arabe dans la région (tout le monde est musulman). Mais un jour, ce gouvernement tombera, il sera renversé et cela posera problème pour les jenjawids car, une fois qu’ils auront perdu le soutien du gouvernement (ils bénéficient notamment pour leurs opérations de couvertures aériennes etc.), ils seront affaiblis et le peuple pourra reprendre possession de ses terres. Autre hypothèse, un jour le gouvernement soudanais aura peur de ses propres alliés, qui pourront le renverser parce qu’ils n’ont pas forcément obtenu toute les promesses qui leur ont été faites.
Il n’y a vraiment pas d’ « africains » parmi les jenjawids ?
La question de l’identité au Soudan, le fait d’être arabe ou ne pas être arabe, est toujours une question très compliquée au Soudan. Les jenjawids se considèrent comme des arabes, et c’est cela le plus important. Après peut-être que dans les faits, ils ont des origines différentes, une histoire différente, une langue différente et qu’ils ne parlent pas forcément l’arabe. Mais ils promeuvent une identité arabe. C’est une contradiction que l’on peut nommer l' »arabité politique » et qui est très présente au Soudan. Cela est lié à la religion. En Islam, il y a un hadith, un propos, du prophète Mahomet qui dit que le Calife doit être arabe, mais, en plus de cela, issu d’une tribu particulière, celle de Quraych, qui était la tribu du prophète. Tout ça fait que les gens qui recherchent une certaine légitimité politique recherchent une certaine arabité. Il y a toute une série d’exemples historiques. Le Sennar, dont on a déjà parlé, était un royaume composé d’une alliance entre des Arabes et des populations africaines, mais tous les hauts responsables du royaume se revendiquaient tous comme appartenant à la tribu de Quraych. C’était une manière de légitimer leur pouvoir. De la même manière, des chefs africains se réclamaient comme étant Omeyyades [une dynastie arabe de califes qui gouverne le monde musulman de 661 à 750]
En gros, tout le monde veut toujours devenir arabe car ça permet de légitimer son pouvoir. Il y a des exemples encore plus concrets au niveau politique. [Pour n’en citer qu’un,] Sadeq al-Mahdi qui a joué un rôle très important dans la vie politique contemporaine du Soudan, tout le monde sait qu’il est d’origine nubienne, mais il sait que pour prétendre à une certaine légitimité politique, il faut être considéré comme un Arabe et donc il a créé une espèce de filiation qui lui donne des ancêtres arabes. Ce qui est intelligent dans ces démarches, c’est que si l’on contredit l’arabité d’une de ces personnes, cela devient quelque part une atteinte d’ordre religieux car ils prétendent toujours non seulement être des Arabes, mais aussi de la famille proche de Mahomet ou de son entourage. Donc on transforme ce qui pourrait être une attaque politique en une attaque de nature religieuse.
Même Omar el-Béchir, le président actuel, prétend que ses ancêtres étaient des Abbassides [une dynastie musulmane qui règne sur le califat abbasside de 750 à 1258 et dont le fondateur, Abû al-Abbâs As-Saffah, est un descendant d’un oncle de Mahomet]. C’est même mentionné dans la version arabe de Wikipedia lorsqu’on tape son nom.
Curieusement, tous les chefs qui ont un certain pouvoir politique au Soudan descendent tous de la famille du prophète. Il y a pourtant d’autres ancêtres potentiels, des poètes, d’autres personnages de l’histoire arabo-musulmane, mais on ne descend jamais de ceux-là
Les obstacles à la reconnaissance juridique de génocide ont longtemps concerné l’intentionnalité de l’Etat. Vous la martelez pourtant
Les preuves sont là. Omar el-Béchir est recherché par le Tribunal Pénal International. Il y a des vidéos dans lesquelles Omar el-Béchir explique que les massacres ont été planifiés. Beaucoup de documents sont disponibles au tribunal de La Haye. Quand Omar el-Béchir fait une visite à l’Etranger, il s’empresse de rentrer au Soudan car il sait qu’il peut être arrêté à tout moment.
A l’image de l’opération « Rwanda, écrire par devoir de mémoire » organisée par Fest’ Africa après le génocide des Tutsi au Rwanda, y a-t-il urgence pour une prise de position commune des intellectuels et écrivains d’Afrique, et au-delà, sur la situation au Darfour ?
Au Soudan, il s’agit d’une guerre idéologique menée par des personnes très habiles, les Frères Musulmans, qui sont responsables du chaos dans le monde arabo-musulman. Pour ce qui est de l’engagement potentiel des intellectuels africains, on ne laisse personne entrer au Darfour. Même les ONG, les associations caritatives. L’aide doit passer par Khartoum avec le risque de ne pas arriver, d’être pillée. Le Darfour est inaccessible pour les gens qui viennent de l’extérieur.
Si je vous parle du Rwanda, c’est parce que votre roman m’a aussi fait penser à ceux qui ont été écrits dans le cadre de cette opération, notamment par l’emploi de l’humour. Avez-vous ressenti la distance qu’il permet comme une nécessité pour aborder l’atrocité des faits, ou, pourquoi pas, comme une forme d’espoir possible, au sein même du désespoir ?
Je confirme ce que vous dites. On est obligé d’ajouter quelque part la dimension humoristique pour décrire ces événements, sinon on a tout simplement un rapport journalistique, un rapport des faits tels qu’ils se sont passés froidement. Il faut une dimension humoristique pour passer au-dessus, pour passer à travers.
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