Säb, Nëggus, Apkass, Edgar Sekloka et Gaël Faye, ont tôt fait le choix des arts, le choix des mots, comme armes miraculeuses pour dire, décrire l’indicible. Ensemble ils forment le collectif de slam Chant d’Encre, à la suite de leur communion dans une pièce de théâtre montée pour commémorer les dix ans du génocide des Tutsi au Rwanda, L’Eclipse des 100 jours : « il est des voix pour qui parler au nom des autres est un devoir », tonnait Nëggus. Leurs voix rebelles résonnent, elles appellent à la mémoire en partage, invitant au dialogue des langues, des imaginaires et des peuples, et au refus de l’indifférence. Alors il s’agira toujours d’écrire et dire, contre l’oubli, écrire encore et toujours. Et dire aussi. En souvenir du futur. Écrire pour entretenir la flamme de nos âmes, accorder son chant à l’espoir qui se rêvait déjà au-dessus des champs de canne et de coton. L’espoir qui s’élevait, au-dessus des camps de béton. L’espoir qui se rêve et s’élève encore. Et toujours. Là-haut, près du soleil. Des indépendances. Ibuka.
Bâillonner les poèmes
On n’écrit pas
La mort affreuse
La violence inouïe
La spirale du feu
Le déluge d’acier
Les vents mauvais
Les canines limées du diable
Et les ricanements de Dieu
Bâillonner les poèmes
On n’écrit pas
Les enfants en charpie
Les bébés pilés au mortier
Les pieux enfoncés dans les femmes
Les vieillards écartelés
Les gesticulations des agonisants
Les crépitements des flammes sur la peau
Les chairs labourées au gourdin
Les tendons sectionnés à la machette
Les fosses débordant d’un limon de sang et de boue
Les orbites évidées
Les bras sans les mains
Les pieds sans les jambes
Les têtes sans les corps
Le monde sans la raison
Bâillonner les poèmes
On n’écrit pas
Les momies saupoudrées de chaux
Les ossements empilés
Les fagots de fémurs
Les copeaux de crânes
Les pierres tombales invisibles
Les gerbes de fleurs inutiles
La solitude des survivants
Leurs curs en lambeaux
Emmurmurés dans des cauchemars impossibles à guérir
Bâillonner les poèmes
Ceux qui se regardent écrire
Avec leurs effets de manche
Leurs figures de style
Leurs rimes plates
Leurs césures
Leur lyrisme
Et leurs pieds à compter du bout des doigts
Bâillonnez les poèmes !
Qu’ils se taisent
Qu’ils se taisent
Qu’ils se taisent
Afin qu’il ne reste qu’un silence de mots
///Article N° : 12132